Yann Queffélec : D’où vient l’amour ? / D’où vient l’ennui ?
Je sais bien que Yann Queffélec a obtenu le prix Goncourt en 1985 pour Les noces barbares. Livre éblouissant si j’en crois les avis les plus partagés. N’ayant pas Les noces barbares sous la main, je me suis rabattue sur le dernier roman que Yann Queffélec a fait paraître en 2022 aux éditions Calmann Levy. Ce roman s’intitule : D’où vient l’amour.
Nous sommes en pleine seconde guerre mondiale. Dans l’autocar qui l’emmène aux Fabrègues, sur les hauteurs de l’Hérault, Maud songe à son amoureux : Samuel Pujol, fils du patron de l’usine de fabrication de sous-vêtements de luxe à Le Vigan. Il faut dire que la jeune femme est enceinte des œuvres de Samuel : elle se rend chez ses parents pour accoucher d’un petit Eddie avant de rentrer sur Le Vigan où l’attend Samuel et la réponse à une question : voudra-t-il d’elle ? Cependant, rien ne va plus à Le Vigan : Samuel a disparu. En fait, l’homme a été dénoncé en tant que résistant, passeur de juifs et lui-même juif, par une ancienne maîtresse : Sonia. Certes, Samuel fréquente les officiers allemands au café des Sports, sorte de QG de la Gestapo – il fréquente surtout l’officier Astecker, un mélomane soumis à un chef tyrannique : Müller. Mais ces fréquentations sont opportunistes : il s’agit pour le fils Pujol de soutirer aux officiers allemands des renseignements sur leurs projets. Arrêté et torturé, Samuel ne parlera pas. Tandis qu’il cherche à infiltrer le réseau G dans lequel œuvre Samuel, Astecker croise la route de Maud qui recherche éperdument son amoureux. Séduit par la jeune fille, il décide d’épargner la famille de cette dernière, impliquée dans le réseau G, ce qui lui vaudra la vie : il est fusillé sur ordre de son chef Müller. Cependant, aux Fabrègues, Eddie grandit ; sa mère n’est jamais revenue. Où est-elle ? Ce n’est qu’à la fin de la guerre qu’elle revient, accompagnée d’un second enfant : Jack. Qui est le père de cet enfant ? Après avoir été torturé, il semblerait que Samuel ait trouvé refuge dans une cachette organisée par son père : Pierre Pujol. Là, l’aurait rejoint Maud et ensemble, ils auraient vécu le reste de la guerre en reclus. Mais Samuel serait resté impuissant. L’enfant serait-il celui d’Astecker, l’officier allemand séduit par la jeune femme, l’officier allemand qui a payé de sa vie cet amour ? Nous sommes en 2020 et nous découvrons que tout ce que nous venons de lire, c’est le roman qu’a composé Eddie, de son vrai nom Claude. Quant à Jack, son frère, atteint d’une maladie cognitive, il meurt dans l’EPHAD où il vivait lorsque l’épidémie de COVID 19 l’a fauché.
Peut-être faudra-t-il récidiver et tenter de lire un autre Queffeléc ? Car il est vrai que je n’ai pas apprécié D’où vient l’amour.
Pourtant, le roman commence plutôt bien : on fait la connaissance de la petite Maud, écolière modèle et si jolie ; Bichon, le fils de madame Fortier, l’institutrice, fait subir à la pauvrette des attouchements sexuels traumatisants. Quelques années plus tard, elle part pour la ville, devient ouvrière dans une usine de confection de sous-vêtements et tombe amoureuse du fils du patron.
C’est à ce moment-là que le roman a commencé à perdre de l’intérêt. En effet, la guerre est là et les deux amants vont être séparés brutalement…. Jamais plus on ne les retrouvera ensemble, sauf au moment où ils vivent clandestinement dans un temple protestant arrangé pour l’occasion par le père de Samuel. Cependant, on se demande si cet épisode est réel ou fantasmé car il semble totalement invraisemblable. Lorsqu’à la fin, le roman se situe de nos jours, Jake, l’énigmatique second fils de Maud, croit dur comme fer qu’il est l’enfant issu des amours de sa mère avec Astecker, l’officier allemand, tandis que Claude, alias Eddie, maintient que ce dernier a été conçu au moment de la vie clandestine du couple et que son père est donc Samuel.
En réalité, la majeure partie du roman, on le comprend à la fin, est constitué du roman qu’Eddie – de son vrai nom Claude – le fils de Maud et de Samuel, a écrit sur ses parents et de manière plus générale, sur ses grands-parents et toute sa famille pendant la guerre. A travers ce roman, ce sont donc ses origines et ses souvenirs d’enfance qu’il tente de relater. Mais comme il vivait « là-haut », aux Fabrègues, seul avec sa tante Rachel, son grand-père Célestin et sa grand-mère Muriel, on imagine qu’il a dû fantasmer l’histoire de ses parents ; d’ailleurs, à la fin de la guerre, il rencontre Maud, sa mère, et Jack, son petit frère… mais où est donc passé Samuel ? A-t-il été déporté dans un camp après avoir été torturé ? Que s’est-il passé entre Maud et Astecker ? Rien ? Ou tout ?
Bref, l’histoire comporte de nombreuses zones d’ombres, des incohérences, des ellipses, des questions qui restent en suspens. Bien sûr, c’est chose voulue, car il s’agit ici de coller au plus près à la mémoire du petit Eddie, et à son désir d’avoir une maman, un papa, un petit frère, bref, d’avoir une famille normale. Ainsi, Eddie cherche-t-il d’où il vient, de l’amour de qui il vient, et ce n’est pas simple car les cartes ont été brouillées par la guerre… Peut-être aussi que celle-ci a détruit l’amour en tuant Samuel, en laissant Astecker aimer Maud qui, dans son enfance, a déjà été la victime sexuelle d’un homme. Aussi Eddie-Claude doit-il rendre aussi hommage à ses grands-parents, à leur engagement dans la résistance car l’amour, il est aussi venu d’eux.
Par ailleurs, l’histoire d’amour de Maud et de Samuel se brise brutalement au moment où celle-ci va accoucher. Ainsi, c’est bien la naissance d’Eddie-Claude qui interrompt le récit de la romance qu’entretenaient ses parents, comme s’il était aussi responsable de la brisure de ce couple. C’est alors que le lecteur tombe dans cette ennuyeuse histoire de réseau G où les familles de Samuel et de Maud sont impliquées (là encore, c’est un peu gros), aux prises avec la gestapo et des collabos qui en dénoncent certains membres. Toute cette histoire m’a semblée sans intérêt (elle est essentiellement composée de scènes d’action) sinon qu’à montrer qu’en temps de guerre, on ne sait vraiment ni qui est qui est qui, ni qui fait quoi. Parfois, on retrouve le même personnage dans les deux camps : résistance et collaboration. Par exemple, on découvre que Nénesse, le patron du lieu préféré de la gestapo, l’hôtel de la Poste, est en fait un résistant qui se sert de ce qu’il entend dans son tripot pour informer le réseau.
Autre ennui : l’écriture utilisée par Queffeléc dans ce roman. Dans une courte préface, Queffeléc nous avertit : il n’a pas écrit en patois, même si ses personnages sont des montagnards frustres qui s’expriment normalement en patois ; il n’a pas écrit en allemand alors que le roman se passe durant la seconde guerre mondiale, sous l’occupation allemande. La raison de ce choix, c’est de se ménager (il ne connait aucun des deux langages), et de ménager son lecteur (qui ne connait sans doute aucun des deux langages). Peut-être aurait-il dû s’abstenir totalement d’écrire D’où vient l’amour car la prose qu’il utilise est soulante. Parfois, elle est émaillée d’accents surréalistes, parfois de propos lénifiants, rapportés dans un vocabulaire bêbête. Et partout, des ellipses narratives, des scènes vaguement oniriques… Finalement, on ne comprend plus rien à rien et on se désintéresse de ce roman qu’on a hâte de finir.
Bref, si j’ai bien l’intention de lire un jour Les noces barbares de Yann Queffélec, ce n’est pas demain la veille car il me faut déjà digérer D’où vient l’amour qui me semble être la réponse adaptée à la question D’où vient l’ennui ?
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