LECTURES VAGABONDES

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Yann Moix : Podium / top à Yann Moix


                Avec le retour du fatidique 11 mars, jour de la mort de Claude François, la sortie du film de Florent Emilio Siri, le phénomène Cloclo, on peut dire que si ça s’en va parfois, ça revient aussi, et en ce moment, plus que jamais. Je ne vois pas pourquoi je ne sacrifierais pas à la mode, moi aussi, en proposant sur mon blog, une petite « cloclodinade » : surtout s’il s’agit de l’excellent Podium, écrit par Yann Moix en 2002 et paru aux éditions Grasset.

Jean-Baptiste Cousseau, alias Couscous, raconte sa vie de sosie de star : hier, sosie de Claude François, reconverti aujourd’hui en sosie de C Jérôme sous le pseudo de D Jérôme… Mais le véritable héros de l’histoire, c’est son copain Nanard, alias Bernard Frédéric, qui officie en tant que sosie de Claude François. Bernard, en plus d’être le meilleur ami de Couscous, est aussi son beau-frère, puisqu’il a épousé Véro, la sœur de Couscous, dont il a un fils : Mouss. Bernard est un sosie free-lance et reçoit les foudres du CLOCLOS (comité légal d’officialisation des Clones et Sosies). Par ailleurs, Véro en a assez de la vie de patachon qu’elle mène en tant que Bernardette (Claudette de Bernard). Bernard raccroche donc pendant plusieurs années durant lesquelles il fait la plonge à l’Arche, resto autoroutier de l’A10, en pleine Beauce. Et puis un jour, ça le reprend : Bernard veut participer à l’émission de sosie organisée par Evelyne Thomas pour C’est mon choix. Il reprend du collier : il réembauche 4 Bernardettes : Delphine, Magalie, Maïwenn et Mélinda, et le voilà reparti pour de fabuleux concerts à Monsieur Meuble dans le centre commercial de Cora Villlevoque et autres podiums Ricard. Cependant, pour pouvoir participer à l’émission d’Evelyne Thomas, il faut être un Cloclo officiel : Nanard va donc passer le concours qui se déroule au moulin de Dannemois. Réussite ! Et puis, vient l’heure de l’émission : là, le roman bascule dans une scène onirique où Claude François en personne vient visiter ses sosies. A 39 ans, Bernard tire sa révérence : électrocuté dans sa baignoire en trifouillant une ampoule électrique.

Avec Podium, Yann Moix réalise un roman totalement déjanté, cruel et tendre à la fois, novateur tout en étant aussi nostalgique. On pénètre dans l’univers des sosies de star, mais aussi, forcément, un peu dans celui du personnage de Claude François.

Le roman nous offre tout d’abord un portrait savoureux : celui de Nanard, alias Bernard Frédéric, sosie de Claude François. Nanard est habité par Claude François : comme lui, il est excessif, comme lui, il pique des colères terribles, comme lui, il a le souci du détail et de la perfection. Pourtant, Nanard, c’est aussi un anti-Claude François : radin comme on n’en fait plus, super beauf, super plouc, vulgaire à ses heures : il déteste les « homossessuels », et adore s’empiffrer de bidoche bien saignante. Le roman se conçoit comme un patchwork de scènes plus désopilantes les unes que les autres, dans lesquelles Nanard tient le haut du pavé : rien que pour les scènes où Nanard se bâfre comme un tonneau des Danaïdes dans les restos à volonté « parce que c’est gratuit », le roman vaut le détour ! Quant aux costumes de scènes : envoyez la couleur ! La casquette de Charles Bovary a trouvé rival à sa taille ! Nanard possède toute la garde-robe de Cloclo et met un point d’honneur à mêler toutes les époques : mélange savoureux des yéyés, de la période disco et autres fantaisies Claudiennes.  

Bien évidemment, le roman est une satire des sosies de star, qui vivent leur vie par procuration, dans un fanatisme sans limites. Ils ramassent les miettes du succès d’un autre : leur gloire se fait sur les parkings de zone commerciale, dans les bals de province, sur les podiums des braderies. Ce sont des « Zombiz » :

« Oh ! Je sais très bien qui nous sommes, nous, les sosies. Nous voulions être des grands, mais d’autres l’ont été à notre place. Notre vie, faite de l’ombre qu’ils nous font, nous la passons dans les morceaux de lumière qu’ils nous laissent. Nous sommes des presque : presque Michel Sardou, presque Johnny Hallyday, presque Elvis Presley, presque Claude François. Notre tragédie, c’est que Claude François a été un peu plus Claude François que nous. Que Michel Sardou a été plus loin en Michel Sardou que nous (…) Nous sommes des petits dans la cour des grands. Nous avons nos fans, mais ce sont d’abord les leurs.»

Le fanatisme qui se crée autour d’une star, en l’occurrence, ici, Claude François, est également au centre du roman, et ce thème est traité de manière très originale : sous forme de documents annexes, inventés ou non. Bienvenue dans l’univers des fans de Cloclo : il existe un calendrier Claudien, basé sur la vie et les chansons de Claude François, un concours très érudit où le prétendant sosie officiel doit effectuer des épreuves de musicologie Claudienne, des commentaires, des dissertations… sans compter qu’il faut savoir reproduire une chorégraphie X ou Y, de telle date à telle émission, à tel concert… Fichtre ! Connaître toute la garde-robe Claudienne, les femmes qu’il a aimées, les animaux qu’il a eus, les colères qu’il a piquées… Cependant, tout en se moquant de ce fanatisme lié à la moindre petite crotte de nez de Cloclo, Yann Moix rend aussi un hommage à Claude François et au travail de sosie, car il y a une certaine naïveté attachante liée à cette adoration, une certaine souffrance, également. Tant de travail et de passion pour finir sous les huées et les tomates, dans un quelconque recoin d’un vulgaire Monsieur Meuble ! Il faut dire aussi que des sosies, il y en a de toutes les couleurs ! Et Yann Moix nous régale de petites scènes désopilantes où les super sosies se lancent dans du Cloclo approximatif.  

Enfin, Yann Moix a également réussi à insuffler une certaine poésie à tout ce fatras organisé autour de feu-Cloclo : scènes éminemment baroques où se croisent des Michels Sardous, des Elvis Presleys, des Frédérics François, tous plus hallucinants les uns que les autres ! Tiens ! Voici, Afrik François, le premier sosie de Cloclo de couleur noire ! Et là, c’est Claudy Charles, fils d’un sosie de Georges Guétary, ex-sosie de Dave reconverti en Claude François en 1977. J’en passe et des meilleures !

Reste à dire que le livre est construit d’une manière que j’aurais peine à définir : c’est un patchwork de scènes toutes plus délirantes, drôles, acides, cruelles, tendres, grotesques… les unes que les autres, scènes entre lesquelles le trait d’union qui unit Cloclo et ses sosies ou ses fans est souvent établi. En gros, Podium, c’est construit comme un show explosif, délirant, psychédélique, à l’image de la démesure de Claude François, peut-être. Une véritable compilation de tous les registres possibles comme autant de chansons de Cloclo : de l’exubérant « Je vais à Rio », à la mélancolique « je suis le mal-aimé ».

Inutile de dire que j’ai adoré Podium, un roman qui ne ressemble à nul autre, qui conjugue habilement l’univers grotesque, dérisoire, mais aussi totalement fou, décalé, et par là, poétique des sosies de star, à celui des vrais stars : car, c’est vrai qu’il y a un peu de l’odeur des yéyés ou des années disco dans Podium. Entre ringardise et nostalgie, Cloclo n’a pas fini de nous faire chanter et danser !



30/03/2012
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