LECTURES VAGABONDES

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Milan Kundera : la valse aux adieux / encore une petite valse, Monsieur Kundera


    Me voici repartie à la rencontre de l’œuvre de Milan Kundera avec ce roman : la valse aux adieux, paru en 1976 aux éditions Gallimard, une œuvre assez glaçante sous son apparente légèreté.

    Nous sommes non loin de Prague, dans une petite ville d’eau où des femmes viennent soigner leurs problèmes de stérilité. C’est dans cet huis-clos que vont se croiser et se décroiser huit personnages dont les destins se rencontrent de manière parfois fortuite. Ruzena appelle le célèbre trompettiste Klima : elle est enceinte de lui. De son côté, Klima est fortement épris de son épouse : il est hors de question pour lui de quitter cette dernière pour une amourette d’un soir. Il se rend à la station thermale, prêt à jouer toutes les comédies possibles pour convaincre Ruzena d’avorter. D’un autre côté, Jakub s’apprête à quitter la Tchécoslovaquie après avoir été persécuté par le régime. Il se rend à la station thermale pour dire adieu à sa pupille, Olga. Rien ne laisse présager la rencontre entre ces quatre personnages… et pourtant. Jakub détient un petit comprimé bleu mortel. Il veut s’en défaire car il estime que désormais, il n’en a plus guère besoin. Par hasard, il trouve le tube de tranquillisants de Ruzena, abandonné sur une table de brasserie. De couleur similaire, le comprimé mortel va rejoindre ceux du tube de Ruzena qu’elle vient rechercher et qu’elle emporte, sans que Jakub fasse quoique ce soit pour l’en empêcher. La mort accidentelle de Ruzena viendra dénouer l’intrigue, au grand soulagement de Klima.

    Ce roman a ceci d’original qu’il se conçoit comme une sorte de vaudeville noir : d’abord, il y a unité de lieu : nous sommes confiné dans une petite ville d’eau au charme suranné et toute l’intrigue se déroule dans cette atmosphère particulière de station thermale. Ensuite, l’histoire se déroule sur cinq journées, comme autant d’actes d’une pièce de théâtre. Comme dans tout vaudeville qui se respecte, la tromperie est au cœur de l’intrigue. Chaque personnage cherche à tromper l’autre. Klima va jouer à Ruzena la comédie de l’amour pour la convaincre d’avorter. De son côté, Ruzena trompe Klima qui n’est sans doute pas le père de son enfant mais qui représente pour elle la possibilité d’échapper à son destin. Jakub et Olga se trompent mutuellement sur la profondeur de leur attachement. Quant au docteur Skreta, il trompe les couples en inséminant son propre sperme dans le corps des femmes stériles.

Au thème de la tromperie vient se superposer celui de la légèreté de l’être et des intermittences du cœur. Ruzena se croit amoureuse de Klima, mais elle succombera en quelques secondes à la douceur du richissime américain Bertlef avec lequel elle passera sa dernière nuit. Kamila, la femme de Klima est aveuglée par la jalousie, elle porte à son mari un amour excessif. Pourtant, elle croise Jakub dans le couloir de l’hôtel : celui-ci est subjugué par sa beauté et la jeune femme, d’un seul coup, se rend compte de son pouvoir sur les hommes et de leur multiplicité. L’exclusivité de son amour pour Klima semble avoir fait long feu.

    Bref, chacun avance masqué, dans ce roman, mais lorsque le masque tombe, il n’y a aucune vérité derrière : il n’y a qu’un autre masque, tout aussi illusoire que le premier.

    Enfin, ce roman met mal à l’aise car il traite de choses très graves de manière très légère. La mort de Ruzena ne cause que soulagement ou indifférence à son entourage, elle est accidentelle : elle sera classée comme suicide, elle n’est pas tragique : chez Kundera, même la mort est dérisoire. La maternité en prend un sacré coup également : l’enfant de Ruzena n’est qu’un enjeu pour la mère, un atout pour changer son destin. Il est un embarras pour le présumé père. Enfin, la vision de tous les rejetons provenant du docteur Skreta a quelque chose de grotesque : ils ont tous un grand nez.

    Voici donc huit personnages qui vont se livrer devant nous à une valse décadente pour notre plus grand plaisir. La valse aux adieux est un roman très noir écrit sur un ton délicieusement léger et c’est ce double jeu qui fait la particularité géniale de Kundera, encore ici fidèle à lui-même.



20/06/2010
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