LECTURES VAGABONDES

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Walter Kirn : Pouce ! / Lecture non stop.


Cette semaine, je vous propose de découvrir un véritable ovni littéraire : Pouce ! de Walter Kirn, paru en 2000 aux éditions Albin Michel. Avouez que vous aussi, si vous aviez parcouru comme moi les rayonnages de la bibliothèque par un triste temps d’automne, vous auriez craqué pour la couverture flashy de ce livre – véritable rayon de soleil framboisé - qui semble dire stop à la société de consommation, tout en nous invitant à siroter son contenu jusqu’à la dernière goutte. Et vous auriez eu raison car la mixture intérieure est véritablement savoureuse et tout à fait surprenante.

Justin Cobb est un adolescent pas tout à fait comme les autres : à 14 ans, il suce encore son pouce. Un dentiste quelque peu extravagant, Perry Lyman, le guérit de cette manie grâce à une séance d’hypnose. Cependant, Justin n’est pas au bout de ses peines ; il sera la proie d’autres addictions : par exemple addiction à la Ritaline, médicament qui lui permet de se surpasser. Se surpasser, c’est justement l’objectif de Justin qui veut à tout prix épater son père, Mike, avec lequel les relations sont compliquées. Pendant un peu plus d’un an, Justin multipliera les expériences qui le feront grandir ; jusqu’au jour où… il se remet à sucer son pouce : ce jour-là, c’est justement celui où il quitte sa famille, direction : une nouvelle vie à New York.

Difficile de proposer un véritable résumé de ce roman qui raconte avant tout l’histoire d’une famille américaine - la famille Cobb – famille composée d’individus qui paraissent paradoxalement plutôt indépendants les uns des autres. Au sein de cette famille, il y a Mike, le père, Audrey, la mère, et leurs deux fils, Justin, le héros, et Joël, son frère. Chacun vit sa vie de son côté, sans véritablement faire attention à l’autre : Mike est accro à la pêche, Audrey rêve de Don Johnson, Joël ne pense qu’au sport… et Justin dans tout ça ? Eh bien, notre héros cherche tout à la fois à s’épanouir au sein de cette famille, et à s’en émanciper : ainsi, il participe à des tournois d’éloquence, car il a un véritable talent dans ce domaine, il trouve un job d’été dans une station service, ce qui lui permet d’acheter une voiture ; et puis, il y a les parties de pêche avec Mike, son père : moments délicats, car les deux hommes n’ont pas grand-chose à se dire ; alors Justin veut à tout prix pécher plus de poissons que Mike : c’est ainsi qu’il tente de communiquer avec ce dernier.

Je dois dire que lorsque je commencé la lecture de Pouce !, j’ai eu du mal à décrocher de ce roman à la fois drôle et sérieux.

Drôle, parce que les personnages sont croqués dans toute la bizarrerie de leurs obsessions. Ainsi, Mike ramasse et collectionne dans le congélateur familial les cadavres d’animaux écrasés sur les routes, cadavres qui servent ensuite pour la pêche à la ligne. Audrey participe à des concours publicitaires dans l’espoir de rencontrer Don Johnson….

Sérieux, parce que derrière cette apparente légèreté se cache une véritable dénonciation de la culture américaine. En effet, chaque personnage est en réalité à la recherche d’une orientation qui donnerait un sens à sa vie ; mais dans une société dénuée de spiritualité, où seules la télévision et la publicité font office de repère, difficile de s’y retrouver. Alors comme dirait notre bon vieux tonton David : « à chacun sa route, à chacun son chemin ».

Cependant, un jour, deux mormons viennent sonner à la porte des Cobb et voilà que toute la petite famille semble enfin trouver des repères et des principes communs qui pourraient la réunir : fini la société de consommation. Télévision, lave-linge, boîtes de conserves… terminent leur vie à la poubelle. On vit avec le minimum, on cherche à retrouver l’essentiel. Sauf que… au bout d’un mois, Mike passe des heures à regarder une télé portative en douce planqué dans son garage… La religion mormone, son extrémisme, c’est intenable et chacun compose à sa manière avec celle-ci en secret : difficile de parler d’un véritable esprit de famille ! Les choses n’auront finalement pas changé.

Sans véritablement l’égaler, Pouce ! peut être rapproché de ce chef d’œuvre du cinéma sorti il y a quelques années : American Beauty de Sam Mendes. On y retrouve la même sensibilité et la même thématique : névrose et incommunicabilité au sein d’une famille américaine où chaque individu cherche sa propre voie en solitaire : une voie bien souvent en toc dans laquelle il se fourvoie aveuglément. On se souvient de la formidable scène finale du film qui résume - sous la forme métaphorique d’un pauvre petit sachet plastique blanc filmé dans toute la tristesse d’un jour d’automne désertique et venteux - la vie de chaque individu né dans une société moderne dont la seule philosophie serait de consommer et qui ne génèrerait donc que des êtres vides, versatiles, artificiels et totalement dérisoires comme autant de petits sachets en plastique abandonnés au vent d’automne…. Sans doute, Pouce ! est-il moins noir, moins pessimiste et moins violent dans sa chute qu’American Beauty, mais j’ai trouvé le livre de Kirn aussi corrosif que le film de Mendes.

Ainsi, Pouce ! tient-il vraiment la promesse alléchante affichée sur sa couverture : un pur régal… disons qu’on le boit comme un petit lait un peu acide… Le goût ? Banane-framboise. Miam !



05/11/2010
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