Amélie Nothomb : Métaphysique des tubes / Encore un tube signé Amélie…
Comment pourrait-on croire que derrière un titre aussi déjanté, aussi peu expressif, aussi rébarbatif – Métaphysique des tubes - se cache un essai d’autobiographie original d’Amélie Nothomb publié en 2000 aux éditions Albin Michel ?
Autobiographie bien peu conventionnelle, en effet, puisqu’elle ne couvre que les trois premières années de la vie de l’auteure. L’œuvre parcourt en effet ce laps de temps qui commence à la Genèse, alors que le nouveau né n’est encore qu’un tube digestif et qui se termine avec la mort – à laquelle Amélie a heureusement échappé – par noyade, moment pendant lequel notre auteure a pleinement conscience et retourner à l’état de tube qui ingurgite et rejette des matières extérieures.
L’œuvre s’ouvre de manière originale avec des pages qui s’apparentent à la Bible, à son tout début, dans la partie Genèse. « Au commencement il n’y avait rien. » Puis vient l’évocation de Dieu : un être qui existe à l’état de tube. Très vite, on comprend qu’Amélie parle de l’état du nouveau-né. Car qu’est-on d’autre, à ce stade, qu’un tube digestif qui ingurgite et rejette ce qu’on lui donne ? La particularité d’Amélie ? Elle est restée muette pendant les six premiers mois de sa vie. Un vrai tube digestif, donc. Et puis vient le temps de la colère : Amélie hurle tout le temps pour montrer qu’elle existe. Amusante introspection dans la tête d’un bébé : qui, en effet, se souvient de cette époque bénie où rien ne nous atteignait ? Personne. Alors Amélie écrit le vide de l’ « être » qu’est un bébé selon l’idée qu’il n’est qu’un tube, mais pourtant, un tube divin ! Car oui, tout le monde se prosterne devant cette exceptionnelle merveille de la nature qu’est un bébé ! Particulièrement au Japon, pays d’adoption d’Amélie, pays que son cœur élit comme étant le sien : l’enfant est considéré comme un dieu jusqu’à l’âge d’environ trois ans. Alors, entre être un dieu ou un simple bébé, la petite Amélie a vite fait son choix et opte pour la culture qui la couronne.
Amélie Nothomb raconte donc les choses et les êtres qui ont balisé sa vie durant ses trois premières années de vie. D’abord, il y a sa grand-mère qui lui apprend le plaisir en lui offrant une barre de chocolat blanc belge. Puis, il y a la bonne Nishio-San, qui aime tellement notre auteure et qui lui raconte l’histoire de la douleur du Japon durant la seconde guerre mondiale. Enfin, sa sœur, Juliette. Parmi les personnes honnies, il y a l’autre bonne – Kashima-San – qui garde rancœur aux occidentaux du malheur qui s’est abattu sur sa famille et plus généralement sur le Japon. Amélie ne porte guère son frère dans son cœur : celui-ci aime l’embêter, ce qui ne sied pas à notre chère bambine.
Cette autobiographie ne manque pas d’humour et Amélie égrène les histoires baroques qui ont peuplé son enfance : son père, par exemple, est l’un des seuls européens à bien maîtriser l’art du théâtre No…. bien malgré lui ! Car disons qu’il fut plus ou moins forcé, par politesse et diplomatie, de se rompre à cette discipline très rude, austère…et peu appréciée des oreilles occidentales, il faut bien le dire. Et n’oublions pas le jour où ce digne ambassadeur fut repêché dans les égouts au fond desquels il attendait depuis plusieurs heures les secours demandés à sa fille qui s’est fort peu alarmée du sort paternel !
Autre originalité de l’œuvre : les clins d’œil récurrents à la bible, aux œuvres religieuses, manière plaisante de sacraliser faussement l’enfance. Ainsi, un jour, Amélie se retrouve bien malgré elle propriétaire de trois carpes qu’elle prénomme Jésus, Marie et Joseph, trois poissons qui la dégoûtent car leur vision lui rappelle qu’elle aussi n’est qu’une bouche liée à un tube digestif. Ou encore, la saison des moussons qui s’apparente au déluge voulu par dieu pour anéantir le péché. Entre sérieux et dérision, notre auteure louvoie sans cesse pour notre plus grand plaisir.
Car bien évidemment, si, lorsqu’on est très petit, on est très proche de l’état de tube digestif, on n’en est pas moins à l’âge où les questions métaphysiques s’imposent le plus à notre perception du monde si neuve et si naïve ! C’est ainsi qu’on apprend le plaisir, la déception, le mensonge, et tant d’autres sentiments ou travers humains… avec d’autant plus d’acuité qu’ils sont éprouvés pour la première fois et qu’ils sont pure découverte ! De la même manière, la première fois qu’on prend conscience du temps à travers la succession des saisons, c’est avec angoisse qu’on appréhende le phénomène car lorsque vient l’automne, on ne sait pas si l’univers ne marche pas vers l’anéantissement : il faut attendre un cycle complet pour comprendre qu’il y a renaissance et que tout recommence dans un train-train et une routine rassurants.
Ainsi Métaphysique des tubes est une autobiographie amusante, originale, ludique, qui tord le cou à la tradition quelque peu égocentrée du genre : qui, en effet, s’amuserait à raconter les trois premières années de sa vie quand à vingt ans, il a fait monts et merveilles et la guerre en plus ? Eh bien Amélie décide d’achever son autobiographie avec cet accident – une noyade – dont elle a été sauvée mais grâce à laquelle elle a fait l’expérience de la mort. « Ensuite, il ne s’est plus rien passé ». Vraiment, Amélie ? Plus rien du tout ? Mais n’est-il pas extraordinaire d’apprendre tant de choses pendant les trois premières années d’une vie ? N’est-ce pas à ce moment-là qu’on est vraiment génial, puisque l’on passe le l’état de tube digestif à celui d’être humain qui a déjà connu l’amour, la haine, la peur, la déception, la trahison… et même la mort ! Un être humain qui sait parler et jouer avec les sentiments des autres ! Alors, oui, je vous le demande… après trois ans, que peut-il encore se passer de très révolutionnaire dans une vie ?
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