LECTURES VAGABONDES

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Irène Némirovsky : Le bal…. Un petit bijou qui étincelle dans le grand bal des livres du XXème siècle.


Voici un roman qui pourrait bien être une sorte de petit chef-d’œuvre à lui tout seul… Difficile de trouver la bonne catégorie pour le présenter sur ce blog et finalement, je crains bien d’être assez injuste avec le bal d’Irène Némirovsky, paru en 1930 aux éditions Grasset.  La notice de présentation du livre mentionne cependant que ce roman fut écrit d’un trait entre deux chapitres de David Golder, premier roman de l’auteure. Effectivement, Le bal s’apparente plus à une nouvelle qu’à un roman : très court, le livre se lit en à peine une heure… et c’est la seule raison pour laquelle je ne le mettrai pas dans le top de ce blog… une bien mauvaise raison ! Sans doutecar le bal est véritablement un petit bijou de perfection tant au niveau de la construction d’ensemble, du traitement des personnages et des différents thèmes qui s’y croisent… 

Antoinette a 14 ans… Ses parents, M et Mme Kampft, nouveaux riches (dans les années 30 au moment de la crise, cette soudaine richesse est sans doute un peu suspecte… mais Irène Némirovky ne fait que le suggérer habilement) décident de donner un bal splendide – bien clinquant, pourrait-on dire plutôt - pour la première fois chez eux…  Antoinette voudrait bien y participer… Adolescente, elle commence à penser aux garçons, à une vie de femme… Cependant, la décision de ses parents - et particulièrement de sa mère - est irrévocable : c’est non. Alors, la jeune fille, pleine de colère rentrée, de haine et de rancœur, trouve, sans préméditation, l’occasion de se venger… La domestique qui l’accompagne à sa leçon de piano a profité de cette sortie pour donner rendez-vous à son amoureux. Afin de se débarrasser pendant quelques minutes d’Antoinette, elle charge la jeune fille d’aller poster les invitations à sa place… Vous devinez la suite ! Et la fin également !

Une histoire simple et courte, mais impeccablement traitée. Irène Némirovsky y a adroitement entremêlé la satire sociale, les tourments de l’adolescence, et les conflits familiaux.  

Les Kampft sont des nouveaux riches, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’Irène Némirovsky n’est pas tendre avec cette catégorie sociale ! Les invités de ce bal ? Un mélange de VIP de l’époque, de maquerelles pour bordel de luxe, de gens pas très nets… ce qui laisse planer un doute sur la provenance même de la richesse des Kampft !  M Kampft, homme plutôt insignifiant et insipide se laisse écraser par ce terrible dragon qu'est son épouse, Mme Kampft (Rosine) qui ne cherche qu’à étaler le luxe de sa table et de ses bijoux… tout en faisant montre d’une vulgarité terrible lorsqu’il s’agit d’évoquer le passé de ses invités, de discuter – et de se disputer – avec son mari, ou encore de s’adresser à sa fille, Antoinette. Bien sûr, la jeune fille vit très mal le traitement drastique qui lui est infligé. Elle commence à rêver d'amour, à songer à cette douceur que ce doit être que de danser entre les bras des hommes, d’être admirée d’eux, jalousée des autres femmes.  Alors que sa sensualité s’éveille, ses parents la traitent encore comme une enfant qui n’a sa place qu’auprès des professeurs d’Allemand, d’Anglais, ou de piano.

J’ai beaucoup aimé le portrait très sensible qu’Irène Némirovsky a su faire de cette adolescente brimée, rêveuse … tout en opposition avec le milieu dans lequel elle grandit…. Elle s’avère être finalement d’une cruauté à la fois innocente et redoutable…

A ce double thème de l’adolescente en conflit avec l’éducation que ses parents lui infligent et d’un milieu social où le snobisme et la vulgarité font bon ménage, Irène Némirovsky a ajouté une réflexion sur le passage à l’âge adulte… 

Bien entendu, vous avez deviné que le bal n’aura pas lieu… l’attente est interminable… personne n’arrive… Seule Antoinette sait pourquoi… Elle observe avec une cruauté jouissive sa mère s’énerver, puis se décomposer dans l’humiliation qui lui est infligée… Car seule la professeure de piano – invitée de vive voix – est présente… et c’est une vraie cancanière !

Cependant, ce bal dont Antoinette rêvait tant, car, pensait-elle, elle aurait pour la première fois l’occasion de côtoyer les hommes, ce bal qui devait selon elle initier sa vie de femme et dont elle fut privée par sa mère, ce bal, dis-je, a bien eu lieu… et c’est une vraie femme qui naît à la fin du roman. Pour la première fois, Antoinette a eu le dessus sur sa mère, pour la première fois elle a pu juger de la futilité de ses préoccupations : pourquoi pleure-t-elle pour si peu cette mère si laide dont les larmes décomposent le visage et dissout le fard dont ce dernier était enduit ? Est-ce vraiment un drame que ce bal avorté ? Lorsqu’on songe à la médiocrité de toute sa vie ! Oui, Antoinette est devenue une femme, à la fin… elle a appris quelque chose de la vie… quelque chose de dur et d’impitoyable, bien loin des rêvasseries à l’eau de rose qu’elle pouvait imaginer concernant les hommes…

« (…) mais tu ne peux pas comprendre, ma pauvre fille ! Et ton père ! … Ah ! tiens, je n’ai que toi !... acheva-t-elle tout à coup, je n’ai que toi, ma pauvre petite fille…

Elle la saisit dans ses bras. Comme elle collait contre ses perles le petit visage muet, elle ne le vit pas sourire. Elle dit :

-       Tu es une bonne fille, Antoinette… 

C’était la seconde, l’éclair insaisissable où sur le chemin de la vie elles se croisaient, et l’une allait monter, et l’autre s’enfoncer dans l’ombre. Mais elles ne le savaient pas. Cependant Antoinette répéta doucement :

-       ma pauvre maman… »

Ainsi s’achève ce roman, sur l’éclosion d’une femme après un vrai bal - et non pas un bal de toc et de pacotille - qu’elle aura mené contre sa mère…  C’est décidément somptueux !


Quelques mots sur cette écrivaine que je découvre : Irène Némirovsky est née à Kiev en 1903. Une enfance et une éducation qui ont des relents de celles vécues par Antoinette dans le bal. Après la révolution bolchevique, c’est à Paris que les Némirovsky rétablissent leur fortune. Dans les années 30, Irène Némirovsky écrira 9 romans et des nouvelles. Déportée à Auschwitz, elle meurt en 1942.



08/11/2009
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