Dennis Lehane : Shutter island / Beautiful island !
Alors que je suis en pleine périple à travers trois îles des Cyclades grecques – Naxos, Amorgos et Santorin - aussi belles que réjouissantes, me voilà également partie pour une fabuleuse lecture sur une île bien plus inquiétante et hostile : Shutter island, dont le nom fait figure de titre à l’excellent roman de Dennis Lehane – Shutter island – paru en 2003 aux éditions Payot et rivages.
Teddy Daniels et Chuck Aule débarquent à Shutter island, petite île au large de Boston qui abrite un asile psychiatrique destiné à des criminels très violents. Nos deux comparses sont flics et ont à résoudre une affaire de disparition : celle de Rachel Solando. La jeune femme est introuvable et s’est volatilisée de manière incompréhensible. Cependant, Teddy a aussi un compte à régler sur l’île car là se trouve aussi un certain Andrew Laeddis, un pyromane à cause duquel sa propre femme, Dolores, a péri. Très vite, Teddy se sent oppressé sur l’île. Il est en proie à des angoisses et un certain nombre d’indices et d’événements lui font penser que le docteur Cawley ne le laissera pas repartir, que l’île sert à de redoutables expériences sur le cerveau. Au terme d’une périlleuse enquête, Teddy découvrira une vérité qu’il ne parviendra pas à admettre et qui met en cause son identité et sa santé mentale.
Au départ, Shutter island se présente comme un roman policier classique : deux flics sont chargés de résoudre une affaire de disparition et mènent des interrogatoires auprès des patients et du personnel d’Ashecliffe Hospital. Cependant, Rachel est très vite retrouvée et c’est alors que Teddy se met en tête de vouloir retrouver le patient 67, Andrew Laeddis qui a tué sa femme et dont il veut se venger. A partir de là, l’enquête devient clandestine car Teddy n’est pas chargé de cette mission. Les découvertes qu’il fera sont surprenantes, mystérieuses, et ménagent un suspense inquiétant qui entraine le lecteur au cœur des parties les plus secrètes de l’île et de l’asile psychiatrique.
Très vite, le lecteur se trouve donc entrainé dans une enquête qui porte, non pas sur Rachel, mais sur Laeddis, personnage qui touche de près notre flic Teddy. De si près que son propre passé ressurgit, et que le flic lui-même est soumis à l’enquête du lecteur qui soupçonne bien que le véritable enjeu de toute l’histoire, c’est Teddy lui-même. Ainsi, si Teddy inspecte l’île et ses secrets, le lecteur inspecte Teddy et ses secrets tant il est vrai que les découvertes que fait ce dernier s’avèrent être mystérieuses, peu plausibles, parfois entremêlées à des cauchemars, des hallucinations. Oui, le problème, se dit très vite le lecteur, c’est Teddy et son lourd passé trouble : une femme dépressive qui décède dans un mystérieux incendie, l’expérience traumatisante de la seconde guerre mondiale.
Cette mystérieuse enquête se déroule dans un endroit à l’atmosphère fantastique, sombre, torturée : l’île de Shutter island. Bien peu accueillants, les lieux sont brumeux, parfois escarpés, hérissés de forêts buissonneuses et difficilement pénétrables. Là se dresse l’asile d’Ashecliffe Hospital, endroit assez effrayant, qui comporte des ailes, elles aussi, très bien gardées, secrètes, notamment, le fameux phare où résiderait le patient 67 et où se dérouleraient d’effrayantes expériences médicales secrètes sur le cerveau. Cette atmosphère mystérieuse et effrayante est renforcée par le fait que lorsque Teddy et Chuck débarquent sur l’île, un gigantesque ouragan est en train de la ravager. En réalité, l’île est la métaphore de la folie dont Teddy est la victime ; elle la matérialise. En effet, la révélation finale fait apparaître la véritable identité du soi-disant flic : Andrew Laeddis, c’est lui, c’est Teddy. Il a tué sa femme, Dolores qui, dépressive, venait d’assassiner leurs enfants. Cependant, il vit dans le déni et les docteurs Cawley et Sheehan tentent de l’en sortir en recréant exactement l’histoire qu’il ne cesse de rabâcher dans son délire : ainsi, le roman raconte-t-il, en réalité, le délire paranoïaque d’un homme qui dénie avoir tué sa femme, être capable d’actes d’une violence extrême. L’atmosphère confinée de l’île, isolée du monde, endroit fermé où l’on tourne en rond dans les turpitudes apocalyptiques d’un ouragan traduit très bien l’enfermement terrifiant du délire paranoïaque.
Mais pourquoi les docteurs Cawley et Sheehan s’acharnent-ils tellement sur le cas de Teddy-Andrew ? A une époque où on pratique encore la lobotomie pour « guérir » les patients violents, les deux médecins sont convaincus qu’une autre voie de guérison est possible. Leur expérience à base de jeu de rôle destiné à sortir Teddy-Andrew du déni doit également lui épargner la prévisible opération qui devrait transformer le loup en agneau… Il faut attendre les toutes dernières pages pour savoir si l’expérience est une réussite ou un échec.
Ainsi, Shutter Island est-il un thriller complexe qui joue à entraîner le lecteur dans différentes directions : au départ, c’est un roman policier classique où un inspecteur mène l’enquête, mais très vite, l’inspecteur a l’impression d’être au cœur d’une conspiration qui le poursuit et le roman bascule ainsi dans le genre « survival » inquiétant pour finalement s’achever dans une veine psychologique originale. J’ai sans doute eu du mal à me laisser prendre par le film de Scorsese qui cherche à adapter le roman de Dennis Lehane dans toute sa complexité ; après lecture, je sais que désormais, je vais pouvoir apprécier le film qui me paraît maintenant plus abordable. Mais avant de retourner sur l’angoissante et sombre Shutter Island en compagnie de Leonardo Di Caprio, je vais quand même achever mon périple cycladique ensoleillé et relaxant !
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