LECTURES VAGABONDES

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Jean Teulé : Mangez-le si vous voulez/ A dévorer tout cru…


Voici un court roman – Mangez-le si vous voulez, écrit par Jean Teulé en 2009 et paru aux éditions Julliard – qui reconstitue avec une précision redoutable un horrible fait divers qui s’est déroulé le Mardi 16 Août 1870 à Hautefaye, dans le Périgord.

Ce jour-là, Alain de Moneys quitte sa belle demeure de Bretange pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin. Loin, vers l’Est, gronde la guerre contre les Prussiens. Alain doit s’y rendre dans deux jours. Malheureusement, il n’aura guère l’occasion de goûter aux joies de l’armée.

A peine a-t-il franchi la limite du village de Hautefaye qu’il est victime d’une maldonne : un colporteur l’aurait entendu dire « à bas la France ». Sans doute a-t-il prononcé ces mots, mais encore l’a-t-il fait de manière ironique ; par ailleurs, ceux-ci ont été totalement détachés de leur contexte par le colporteur.

Car, en réalité, Alain de Moneys est un bienfaiteur de la région et un patriote convaincu. Mais peu importe, ce jour-là, à Hautefaye !

Tout commence par un soufflet qui lui est sauvagement admonesté par une de ses connaissances : Jean Campot. Deux heures plus tard, la foule, devenue folle, l’aura lynché, torturé, brûlé vif : certaines parties de son corps auront même été mangées par une femme en plein délire.

Deux heures de calvaire décrites avec minutie par Jean Teulé en vingt petits chapitres comme autant de stations sur un chemin de croix. En ouverture de chacun d’entre eux, l’auteur a adjoint un petit croquis qui localise exactement l’endroit du supplice. Ainsi, l’association avec le martyre du Christ est-elle nette.

Pas facile de raconter un fait divers aussi macabre sans tomber dans l’écriture grotesquement gore… et du gore, il y en a dans Mangez-le si vous voulez.

« Son cœur, ses os, son sang, ses pieds et ses paupières forment une bouillie avec ses chairs entières. Ils broient tout de lui, tout. »

Heureusement, l’écriture de Jean Teulé sait bien souvent alléger l’insoutenable par de nombreuses touches d’humour décalé. Par exemple, ci-dessous, un extrait de la crémation.

« Devenu surtout poulet à la broche, la peau des cuisses, épaules, grésille, boursoufle, s’enfle de cloques emplies de graisse bouillante. Celles-ci, crèvent et coulent, bouillantes, on pourrait dire appétissantes. »

Par ailleurs, Jean Teulé a su également mettre de la beauté dans ce martyre, à faire d’Alain de Moneys un véritable saint.

« Des cendres de lui montent vers le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui le réclame. Il quitte donc ces délices-là, ce désagrément qui n’eût pu tourner pire. Les cendres de son corps s’élèvent enfin en paix au-dessus de ce monde imbécile et des abîmes sourds de ces gens coupables d’un crime qui les a dépassés. » 

Le seul point faible de ce roman se situe au niveau de la pénétration psychologique d’une foule, calme au départ, et saisie en quelques minutes d’une frénésie barbare. Car la plupart des gens qui torturent Alain de Moneys le connaissent bien, l’apprécient : comment donc expliquer qu’ils puissent ainsi se livrer à un tel acharnement sur une personne estimée ? Jean Teulé ne l’explique pas, prend très peu en considération ce paramètre : les dialogues entre les différents membres de la foules sont plutôt faibles, plats. Ils traduisent très mal la folie meurtrière qui est censée provoquer l’horreur du supplice d’Alain de Moneys.

Reste donc un roman d’excellente facture dans l’ensemble, un roman qu’on lit sans peine d’une seule traite. Disons qu’on dévore tous ces petits chapitres avec bien plus d’appétit que s’il s’agissait d’un morceau de bidoche humaine grillée ! Gloups ! Si le cœur vous en dit !



07/10/2011
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