R.J Ellory : Seul le silence… le bruit et la fureur.
Eh bien ! Je dois dire que je viens de passer un moment assez exceptionnel en compagnie de ce roman d'un genre dont je ne suis pourtant pas friande : le thriller. En réalité, Seul le silence de RJ Ellory paru en 2008 aux éditions Sonatines est bien plus qu'un de ces innombrables polars mal écrits, plats, ennuyeux… qui pullulent aux éditions du fleuve noir. Je ne suis d'ailleurs pas convaincue que l'intrigue policière soit le principal intérêt de l'œuvre, même si elle l'innerve.
Nous sommes en Géorgie, un peu avant la seconde guerre mondiale. Notre narrateur, Joseph Vaughan, est marqué, dès sa plus tendre enfance, par la mort. Celle de son père, tout d'abord, foudroyé par une attaque en pleine campagne. Puis, viennent une série de meurtres : des petites filles sont violées, démembrées et retrouvées nues sur les bords des routes de l'état. Les premières victimes faisaient partie de la classe de Joseph : c'est pourquoi, il décide, avec quelques camarades, de former un groupe de surveillance : les anges gardiens. Mais qui est le meurtrier ? Où va-t-il frapper ? Les battues des jeunes garçons s'avèrent improductives. Les meurtres s'étendent aux états voisins. La police n'a aucune piste… Sauf que… Sauf que dans la ferme d'à côté, il y a Günter Kruger, un allemand, un étranger… un boche, l'amant de la mère de Joseph : un coupable tout désigné… qui finira par se suicider. Dans ses affaires, on retrouvera des rubans ayant appartenu à des victimes… La page semble tournée…
Je m'arrêterai là quant au résumé de l'intrigue policière… Je ne vais pas dévoiler le nom du coupable qui ne sera démasqué que dans les dernières pages.
Je m'attarderai davantage sur ce qui fait la qualité et l'intérêt du roman : le personnage de Joseph et l'écriture de RJ Ellory.
C'est en effet autour du narrateur que se déploie l'intrigue, et nous le suivons à travers sa vie, ses amours, ses voyages, ses relations avec sa mère. Ainsi, à de nombreuses reprises, l'histoire des meurtres passe en arrière-plan, jusqu'à parfois être totalement gommée. Cependant, toujours, à un moment ou à un autre, une petite fille assassinée surgit de l'ombre et vient rappeler bizarrement à Joseph son devoir d'ange gardien. Ainsi, l'intrigue est menée de son point de vue, à travers ses sensations, ses tourments… Il s'égare sur de fausses pistes entrainant avec lui le lecteur qui est souvent amené à se demander si ce n'est pas lui, le coupable : une double enquête se met donc progressivement en place…
Cependant, ce que j'ai le plus apprécié, c'est sans doute l'évocation très forte et sensible du Sud des Etats-Unis : Géorgie, Alabama… autant d'endroits où le racisme et le rejet de l'étranger sont passés depuis longtemps dans les mentalités. A ce niveau-là, on est à la croisée des deux plus grands William de la littérature américaine. Seul le silence fait en effet penser à la fois à Styron pour l'évocation du Sud, de sa moiteur, de sa violence cachée et silencieuse, et à Faulkner pour le portrait saisissant d'une âme tourmentée. L'écriture est d'une qualité rarement atteinte dans la catégorie thriller.
Voici un petit passage, pris plus ou moins au hasard :
« Et il y a des moments dont je me souviens – principalement des jours d'été ; flous, chargés d'air et de lumière ; monsieur Tomczak traînant son gramophone Victrola dans la cour, les disques de Bakélite aussi lourds que les assiettes ; les adultes à moitié débraillés, et le fait que personne n'avait d'argent, et n'en aurait probablement jamais, n'avait pas d'importance car l'amitié et le sens de la communauté étaient une richesse.
Les gosses dans les champs jouaient à s'attraper et à s'embrasser, quelqu'un avait une caisse de bière pour les pères, et quelqu'un d'autre préparait du jus de melon pour les femmes.
Ma mère portait une robe d'été, et un jour elle a dansé une valse avec mon père, qui arborait un sourire comme on arbore une médaille ; pour sa bravoure, sa fidélité, son amour.
Et les jours dont je me souviens sont partis. Ils se sont fondus en silence dans un passé indistinct. Pas seulement partis, mais oubliés ».
Ainsi, je conseille vivement ce roman à tous ceux qui aiment les thrillers, mais aussi à tous les accros de bonne lecture. Seul le silence est un roman sombre et tourmenté, un roman où l'on sent sourdre derrière chaque page le bruit et la fureur de l'âme du sud des Etats-Unis. Assez incontournable !
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