Delphine de Vigan : Les heures souterraines /lecture lumineuse.
Les vacances vont bientôt s’achever et dans quelques heures, je vais retrouver la grisaille du nord de la France, mais c’est encore dans la pleine lumière de la mer grecque que j’ai lu ce très beau roman de Delphine de Vigan paru en 2009 aux éditions JC Lattès : les heures souterraines.
Mathilde est au bout du rouleau : depuis plusieurs mois, elle est harcelée au travail par son supérieur hiérarchique – Jacques – qui n’a pas supporté d’être publiquement contredit par la jeune femme. Mathilde sent qu’elle va craquer, qu’elle a besoin de s’arrêter, qu’elle a besoin d’un médecin. De son côté, Thibault vient de quitter Lila. Motif, la jeune femme ne l’aime pas et il ne peut plus supporter d’aimer en sens unique. Cependant, nous sommes le 20 Mai, et une voyante a prédit à Mathilde que ce jour-là, une rencontre allait tout changer… Comment la journée va-t-elle donc se passer ?
Avec les heures souterraines, Delphine de Vigan nous offre une sorte d’anti-conte de fée, un roman très sombre et totalement désespéré.
Tout d’abord, il y a la toile de fond : un univers urbain, bétonné, inhumain… décor moderne que nous connaissons bien : Paris, mais un Paris très loin de cette capitale européenne, touristique et romantique qu’on découvre au mois d’Août. Dans les heures souterraines, on plonge avec Mathilde dans les galeries souterraines du RER, du métro, aux heures de travail, d’affluence, aux heures de suffocation. Avec Thibault, médecin de garde, on plonge au cœur des embouteillages, du trafic, des embarras parisiens. Partout, les visages sont fatigués, fermés, muets. Les regards sont tournés vers l’intérieur, les tracas du quotidien qu’il va falloir affronter et gérer.
Le lecteur est invité à partager la journée du 20 mai selon une succession de chapitres alternés : Mathilde / Thibault. Bien sûr, il y a les heures de la journée qui s’égrènent : usantes, elles amènent nos personnages jusqu’au seuil d’une soirée de solitude où la perspective d’un apéritif et d’une douche chaude permettent de se dire qu’on va réussir à affronter le lendemain. Mais il y a aussi le passé : nos personnages ont des blessures secrètes qui les ont rendus amers. Mathilde est veuve depuis 10 ans. Elle élève seule ses deux fils. Son travail, ce travail qui aujourd’hui la tue, c’est aussi lui qui l’a sauvée au moment du deuil. Thibault a perdu deux doigts dans un accident de voiture. Envolé à jamais le rêve de devenir chirurgien. Depuis, Thibault, médecin de garde, sillonne les rues de la capitale au gré des coups de fil d’urgence de patients en détresse. Cependant, nos deux personnages croisent des individus en état de crise : une femme, dans le métro, en proie à l’étouffement, des gens seuls, malades, désespérés, qui appellent le médecin pour une brûlure au un début d’angine. Autant de destins qui mettent en perspective la trajectoire de Mathilde et Thibault, autant d’heures souterraines que le lecteur entrevoit comme dans ces dédales de galeries toutes semblables à travers lesquelles on emprunte cependant un seul itinéraire.
Cependant, Mathilde ne peut s’empêcher de se dire qu’aujourd’hui, il va se passer quelque chose, peut-être, puisqu’on est le 20 mai et qu’une rencontre est prévue. Delphine de Vigan construit son roman de manière à suggérer qu’une rencontre est possible entre Mathilde et Thibault : Mathilde a besoin de repos, elle songe à appeler un médecin à plusieurs reprises. Leur itinéraire dans la ville se rejoignent sur une ligne de RER… cependant, nous sommes dans un anti-conte de fée… Enfermés dans des désespoirs différents mais par là-même, proches l’un de l’autre, nos deux personnages ne feront que se croiser, s’entrevoir. Des existences tragiques, prisonnières d’un monde inhumain qui rend toute rencontre impossible, tout bonheur illusoire… On n’est jamais plus disponible à l’autre, jamais plus réceptif à l’extérieur qui n’est qu’agression, et par conséquent, toujours fermé, replié sur soi, dans un état de légitime défense face au monde. Autant dire qu’il y a très peu de lumière dans les heures souterraines.
Même si je suis en vacances, même si je suis à un moment où il est nécessaire d’oublier le métro-boulot-dodo du quotidien, j’ai beaucoup aimé cette lecture qui pourtant, plonge le lecteur au cœur d’une journée de travail angoissée et désespérée. La principale faiblesse du roman tient à l’inégalité de traitement entre les personnages : en effet, Delphine de Vigan semble bien plus inspirée par la détresse de Mathilde que par celle de Thibault. L’engrenage du harcèlement que l’héroïne a eu à subir depuis des mois est bien détaillé et bien plus : sa souffrance, son angoisse, l’impasse dans laquelle elle a le sentiment de se trouver, toutes les conséquences liées aux situations de stress au travail… l’écriture de Delphine de Vigan parvient à rendre toute sa dimension à la cruauté indifférente du monde du travail moderne. Par contre, la situation de Thibault est croquée de manière bien plus superficielle : le jeune homme vient de tailler dans le vif d’un amour à sens unique. Son cœur saigne : voilà tout. Autour de lui, des gens détraqués par la vie moderne : des patients en proie à des lombalgies, des cervicalgies, des problèmes gastriques…. Autant de somatisations que le médecin doit soigner à défaut de pouvoir changer le monde.
Il me reste donc à sortir de la noirceur de ce roman pour profiter des quelques heures de pleine lumière méditerranéenne qui me sont encore données avant d’affronter mes propres heures souterraines…
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