LECTURES VAGABONDES

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Jean-Pierre Gattégno : J’ai tué Anémie Lothomb / l’hygiène d’un assassin


Plusieurs années après le fabuleux Hygiène de l’assassin d’Amélie Nothomb, Jean-Pierre Gattégno trouve l’idée cocasse de reprendre la thématique du premier roman de la célèbre romancière et de l’exploiter à sa façon pour un résultat, ma foi, presque aussi efficace.

Ainsi donc, J’ai tué Anémie Lothomb, paru en 2009 aux éditions Calmann-lévy propose-t-il une satire du monde littéraire et une interrogation sur la légitimité de ceux qui tiennent la vedette dans ce domaine.

Antoine Galoubet est un romancier sans succès ; son dernier roman : une saison dans les ténèbres ne se vend pas. A la rentrée, dans un quelconque salon du livre, il subit l’humiliation de voir le public se ruer sur l’écrivaine à succès Anémie Lothomb qui vend et dédicace à qui-mieux-mieux son dernier roman. Quelques heures plus tard, sur la route, en pleine nuit, Antoine est attiré par une voiture qui semble accidentée sur le bas-côté. Il s’approche et découvre Anémie Lothomb morte : une balle dans la tête. Nul doute : c’est son amant, le japonais Sun Si qui a fait le coup avant de s’enfuir. Antoine a alors une idée : il s’empare du corps d’Anémie et le fait disparaître. Ensuite, il envoie aux journaux une lettre dans laquelle il stipule qu’il a enlevé la jeune femme : il espère ainsi se faire connaître du grand public et du même coup, faire connaître son œuvre. Cependant, le romancier s’avère être très maladroit et son courrier se perd dans une multitude d’autres lettres : les journalistes n’y prêtent guère attention. C’est avec l’aide d’Ernest Bourdin, un génie de l’informatique qui habite dans un mystérieux manoir, qu’Antoine parviendra à rendre crédible sa responsabilité dans l’enlèvement d’Anémie Lothomb… et à faire vendre des milliers d’exemplaires d’une saison dans les ténèbres. Mais Ernest n’est-il vraiment qu’un lecteur isolé et inconditionnel des œuvres d’Antoine Galoubet ? N’a-t-il pas en tête un plan destiné à lui apporter, à lui aussi la notoriété ?

Avec  J’ai tué Anémie Lothomb, Jean-Pierre Gattégno s’amuse à éborgner gentiment ou non – à chacun d’en juger – le monde des écrivains en vogue, le monde de ceux qui vivent aisément de leur plume, le monde de ceux qu’on voit partout dans les émissions littéraires, voire dans les talk-shows. En effet, leur nom est à peine dissimulé par le principe de la contrepèterie. C’est ainsi que nous retrouvons Marc Céry (Marc Lèvy), Philippe Solex (Philippe Sollers), Margarine Pingeot, ou encore le très honoré Houellebedecq sublime contraction de Houellebecq et de Beigbeider.

Allons donc, je ne résiste pas à taper ici la page qui concerne Houellebecq : pour une fois qu’on ose une critique contre lui !

Je ne sais pas si tu as lu du Houellebedecq, mais tout est convenu là-dedans. Moi, ce que je cherche dans un livre, c’est une image inattendue du monde, une image qui me surprend, qui me force à réfléchir, à voir les choses autrement. Houellebedecq, lui, il fait semblant de te parler du monde en réalité : il te parle de ses déprimes, il te propose un univers de vieillards frileux, sans risques. De la baise sans risques dans des bordels transformés en supermarchés pour classes moyennes. Qu’est-ce qui te dépasse là-dedans ? Si tu crois trouver une critique le la société, tu es vraiment naïf : il n’y a pas plus conformiste que ce Houellebegbedecq. C’est pour ça que ses livres marchent bien, ils répondent à une demande de déprimés. Son éditeur a anticipé le phénomène. C’est certainement un bon vendeur mais pas un éditeur. Tout ce qu’il sait faire, c’est du marketing.

Ainsi donc, Gattégno souhaite éveiller l’esprit critique du lecteur qui se rue sur les livres et les auteurs dont on parle et qui n’ont pas la curiosité d’aller vagabonder un peu ailleurs afin de découvrir des auteurs peut-être un peu moins connus, mais sans doute plus intéressants et plus talentueux.

L’originalité de la démarche consiste dans le fait que l’auteur a choisi la forme policière pour régler ses comptes avec le monde des lettres. Le corps d’Anémie est enterré dans une clairière, il sera plusieurs fois revisité pour y prélever des preuves de sa détention et de son enlèvement (cheveux, bouts de vêtements…). Le complice, Ernest Bourdin, vient se mêler à l’affaire : un plan est échafaudé…. La plupart du temps, les scènes se déroulent la nuit, sous la pluie, dans le brouillard… Bref : tous les ingrédients sont réunis pour plonger le lecteur dans une ambiance très polar noir qui s’avère être tout à fait plaisante.

L’ironie de l’œuvre réside dans le fait qu’Antoine Galoubet connaîtra, certes, la gloire, mais pour de très mauvaises raisons : la médiatisation d’une affaire qui n’a rien à voir avec son talent d’écrivain. A-t-il donc vraiment ce talent qu’il revendique ou n’est-il qu’un arriviste prêt à tout pour se faire connaître et vendre ses livres ? Jean-Pierre Gattégno a l’intelligence de faire de son héros-romancier un antihéros : on le retrouve, à la fin du roman, en pleine panne sèche, incapable d’écrire un autre roman, prêt à se laisser doubler par son lecteur des premières heures : Ernest Bourdin. Ainsi, l’auteur n’affirme pas qu’Antoine Galoubet soit un génie : il souligne simplement la présence de génies possibles dans toute cette manne d’écrivains à peine lus… génies parmi lesquels se trouvent, bien entendu, des écrivaillons de premier rang ! Mais il souligne aussi la part importante des médias dans la renommée d’un écrivain : car tous les écrivains cités par Gattégno ont assurément une renommée qui dépasse leur talent réel.

Cependant, j’ai quand même le regret de souligner le fait que Jean-Pierre Gattégno n’arrive pas à explorer le thème de l’usurpation du succès et de la renommée de manière aussi fouillée et complexe qu’Amélie Nothomb le fait dans son roman : Hygiène de l’assassin.

Voilà pourquoi, il est important que nous sauvions Anémie Lothomb !



08/10/2010
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