LECTURES VAGABONDES

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Paul Auster : Mr Vertigo / Vertigineux !

                Il paraît que voler, c’est un des plus vieux rêves de l’Homme. En tout cas, ce n’est pas le mien car depuis vingt ans, et une malheureuse descente en rappel mal négociée - et assez terrifiante, par conséquent - dans le canyon du rio Mascun (nord de l’Espagne), je suis sujette à la peur du vide et au vertige de manière maladive. Mais peu importent mes petites misères ! Paul Auster s’empare du thème de l’envol et le traite de manière originale dans ce roman paru en 1994 aux éditions Actes Sud : Mr Vertigo.

                Le petit Walt Rawley vit misérablement auprès de son oncle Slim lorsque le mystérieux maître Yehudi le recueille et modifie son destin, convaincu que le jeune garçon sera capable, un jour, de voler. Certes, le maître est très dur avec le petit Walt qui n’a, au départ, qu’un seul désir - s’enfuir. Peu à peu, et à force d’entrainement et de concentration, Walt décolle du sol et entre en lévitation. Mais un évènement va retarder l’entrée sur scène du jeune garçon (car c’est dans le but de monter un numéro de cirque que maître Yehudi entraîne son poulain) : Esope et Maman Sioux qui vivent avec le maître et Walt sont sauvagement assassinés par le Ku Klux Klan. Dès lors, maître Yehudi et Walt s’installent chez madame Witherspoon et vont végéter pendant un certain temps : le maître est en effet dépressif et passe son temps à dormir. Et puis, la lumière revient et avec elle, s’ouvre le temps de la scène : après des débuts un peu difficiles, Walt et son maître deviennent célèbres, célébrité qui parvient aux oreilles de l’oncle Slim, bien décidé à tirer bénéfice de la réussite de son neveu qu’il enlève. Heureusement, Walt parvient à s’enfuir et la vie et le succès continuent…. Jusqu’au jour où Walt est sujet à d’horribles migraines, conséquence de trop fréquentes séances de lévitation. Maître Yehudi décide de mettre un terme à la carrière de Walt, et de traverser l’Amérique, direction : Hollywood. Walt peut devenir une star ! Il est déjà tellement célèbre ! Mais en chemin, oncle Slim leur tombe dessus, leur dérobe leur argent et les laisse en rade dans le désert. Maître Yehudi meurt. Dès lors, Walt n’a plus qu’un seul désir : tuer oncle Slim. Ce qu’il fait. Alors commence pour Walt une vie plutôt chaotique : entre argent et pauvreté, entre honnêteté et truandage… jusqu’au jour où il rencontre le petit Yussef, dans lequel il détecte un don encore caché : celui de savoir voler.

                Mr Vertigo est un roman qui comporte différents niveaux de lecture.

            D’abord, c’est un roman d’initiation, écrit à la première personne, sous la forme, donc, d’une autobiographie fictive plutôt divertissante, dans la veine picaresque. Si j’ai tenté de rendre compte de certains heurs et malheurs de Walt dans mon résumé, sachez que le livre regorge d’épisodes rocambolesques, foisonne de personnages étonnants et hauts en couleur, d’anecdotes surprenantes, comme celles des virées automobiles en compagnie de madame Witherspoon… qui appuie un peu trop sur le champignon : résultat ?

             « J’allais mourir sur cette route stupide, et je vivais mes derniers instants sur terre. C’est alors que l’étron s’échappa de ma fente ; un cigare mou et onctueux qui s’affala contre mon caleçon dans une ignoble tiédeur humide, puis et mit à glisser le long de ma jambe ».

          Ensuite, Mr Vertigo peut se lire comme un conte initiatique qui mettrait en relief, à travers la métaphore de l’envol, l’idée de dépassement de soi. Certes, la vie est dure pour Walt. Certes, il a dû se frotter à de nombreuses épreuves douloureuses mises au point par son maître. Mais à force de travail, de volonté, d’acharnement, il réussit à s’envoler, ou, pour le dire autrement, à soulever une montagne. Si on y croit, si on le veut, si on y met les moyens, on peut réaliser le rêve le plus fou.

          De plus, on peut aussi voir, dans Mr Vertigo, une parabole sur la vie : le roman est en effet fortement déséquilibré. S’il retrace toute la vie de Walt, l’âge adulte est raconté en accéléré, comme s’il avait peu d’intérêt. La majeure partie de l’œuvre raconte l’initiation de Walt à l’envol et les relations de ce dernier à son maître. Car c’est sans doute là que Walt apprend la vie, apprend ce qu’ensuite, il reproduira ad libitum dans divers domaines, à savoir, l’élévation et la chute, le succès et la descente aux enfers : mais passé l’âge de l’adolescence, ce sont aussi les illusions qui nous quittent, laissant notre enthousiasme et notre fureur de vivre quelque peu émoussés ; Walt ne montra jamais aussi haut qu’à l’âge de l’adolescence, âge des grandes espérances. Ensuite, toute sa vie n’aura été qu’une succession de hauts et de bas. Et c’est là l’essence même de la vie : on grandit, on s’élève, et puis on redescend doucement avant de mourir, si on en croit la parabole de la roue qui tourne, définition de la vie.

             Enfin, Paul Auster a introduit dans son roman différentes facettes de l’Amérique, facettes mythiques ou traumatisantes. Inutile de dire qu’avant toute chose, il y a, dans Mr Vertigo, un éloge du self made man. Walt, enfant des rues, s’est construit seul : son maître apparaît dans le roman comme un personnage un peu magique, un peu imaginaire comme le génie de la lampe d’Aladin. S’il conseille Walt, c’est seul que le héros trouve la clef de l’envol. A la fin de l’adolescence, Walt part faire sa vie en solitaire : il réussit, il rate, il touche à tout. Le roman comporte aussi des allusions au melting pot américain : Walt vit, au départ, en harmonie,  avec un noir, Esope, une indienne, maman Sioux. Mais ces derniers seront assassinés par le Ku Klux Klan : et voilà le mythe de la terre américaine comme creuset harmonieux des races et des couleurs de peaux qui s’effondre face aux dérives racistes qui le gangrènent. Le banditisme est également un thème important de l’œuvre : oncle Slim est un bandit. Walt en sera un également : entre le bien et le mal, l’Amérique perd parfois ses repères, témoin, cette fascination de la culture américaine pour le crime qui vient peut être de la mythique terre de l’ouest, des cow-boys et des indiens, de la grande période de la prohibition, de la mafia qui sévit peut être plus là qu’ailleurs.  

          Inutile de dire que Mr Vertigo est une œuvre très dense, très riche, qui finit par donner le vertige ! Mais de ce vertige-là, je n’ai pas peur !



30/10/2013
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