LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Richard Russo : le déclin de l’empire Whiting : subtile déclinaison du quotidien d’un petit coin d’Amérique.



Voici un roman bien difficile à définir ! J'ai pris beaucoup de plaisir à le lire, mais je dois avouer que je ne comprends pas exactement pourquoi, tant la narration est lente et sinueuse. Je situerai cependant : Le Déclin de l'Empire Whiting de Richard Russo, prix Pulitzer 2002, entre le genre « saga d'une famille de ratés » et « fresque romanesque d'une petite ville oubliée et décadente des Etats-Unis ».

Bienvenue à Empire Falls, une petite ville du Maine, dominée par l'acariâtre Francine Whiting dont la famille possédait, à la base, toutes les usines et entreprises du coin. Cependant, on apprend très vite que son mari s'est suicidé, qu'elle vit seule avec Cyndi, sa fille, gravement handicapée. Son empire, elle entend bien en profiter égoïstement, n'ayant que faire de transmettre quoique ce soit à une descendance aussi décevante. Ainsi vend-elle ça et là, à d'ignobles promoteurs, différentes usines qui finissent par fermer ou être revendues, plongeant ainsi un fort pourcentage d'autochtones dons le désarroi, la ruine et le chômage. Cependant, elle reste mystérieusement très attachée à l'Empire grill, une sorte de café-dineurs décadent, géré par une certain Miles Ruby, personnage pivot de l'ensemble du roman.

Autour de lui gravitent les membres de sa famille : sa fille, Tick, une ado déchirée entre ses parents et ses amours, sa future ex-épouse, Janine, qui divorce parce qu'elle vient de découvrir l'orgasme entre les bras de Walt, Charlène, la femme dont il a toujours rêvé, Max, son père, un être instable et déroutant… et puis toute une flopée d'autres personnages : le curé du coin, le père Mark, les habitués du café, le flic de la ville, Jimmy Minty et son fils Zack….

Le roman se déploie donc en réseau autour de Miles : chaque personnage est soigneusement croqué ; il mène son existence tantôt en symbiose avec les autres, tantôt dans sa problématique personnelle et solitaire. C'est donc véritablement la fresque sociale d'une petite ville désespérée qui nous est donnée à lire. Voilà pourquoi on se demande souvent, en lisant ce roman : mais pourquoi en faire tant sur ce personnage dont l'histoire finit de toutes manières en cul-de-sac ? Il n'est finalement relié à Miles que parce qu'il fréquente l'Empire grill: personnage inutile, dérisoire, qui paraît mener dans une voie de garage, nous entrainer dans un égarement dont on ne revient pas.

Cette sensation est renforcée par la construction du roman : un montage en scènes-cut, dont la plupart se situent entre les murs de l'Empire Grill où s'échangent des conversations banales et quotidiennes. On navigue, presque toujours entre les limites d'Empire Falls : vision étriquée du monde à l'image de la vie des personnages qui croupissent dans un quotidien ancré là depuis si longtemps ! Comme autant de navires échoués sur les rives de la ville, à l'abandon.

Cependant, si au niveau des lieux, on a l'impression de tourner en rond, de croupir à Empire Falls, le traitement temporel offre des ouvertures-clefs sur le personnage de Miles, mais aussi sur l'ensemble du roman. Ainsi, Richard Russo a-t-il inséré au cœur de la narration du quotidien d'Empire Falls, des chapitres typographiés en italique qui narrent l'enfance et l'adolescence de Miles auprès de sa mère. C'est ainsi que l'on comprend ce qui le relie, lui, mais aussi le reste de la ville, à la famille Whiting. Car là est l'origine du mal : dans le secret des adultères, des rancœurs, des liens tissés entre les parents… Ces passages sont la clef qui ouvre la porte aux turpitudes et au croupissement des générations suivantes.  

En faisant la critique de ce roman, je sais bien que je m'attaque à un monument, et il y a tant à en dire qu'un simple article de blog ne saurait en épuiser la matière ! J'ai quand même envie de souligner l'extraordinaire humanité de cette œuvre qui parvient, à travers la narration de scènes du quotidien, à nous mener au cœur de nos propres vies : de manière générale, vers une réflexion sur le poids du passé, de l'ancrage dans une région et ses données socio-économiques…  de manière plus insidieuse, vers une réflexion sur les rêves auxquels on renonce au nom de tout çà, jusqu'à parfois exploser ou imploser : car l'implosion ou l'explosion, c'est bien le lot de tous les personnages de ce roman, à un moment ou à un autre.

Et certes, si la note finale du livre laisse en bouche un goût  étrange (la fin m'a parue un peu décevante... peu crédible ! ) il n'empêche que Richard Russo a su amuser et tenir son lecteur jusqu'au bout, tant l'humour et l'ironie sont là, du début à la fin de tous ces petits bouts d'histoires dérisoires qui se croisent et se décroisent pour former ce roman-fleuve qui se déploie un peu à l'image du Knox, cette rivière qui traverse Empire Falls, charriant quotidiennement son lot de détritus, de petites choses dont il est urgent de se défaire, mais qui finissent par s'accrocher, stagner et pourrir sur les rives de la ville… comme autant de sources de pollution qu'on finit par ne plus voir et dont surtout, il ne faut pas faire un drame !



13/04/2009
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