LECTURES VAGABONDES

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Amélie Nothomb : Journal d’Hirondelle / une envolée belle.


                Avis à tous les adolescents – et peut-être aussi les autres ! - qui tiennent un journal intime : les pages que vous écrivez peuvent être mortelles ! En tout cas, je défie quiconque de tenir encore le journal de sa petite vie pépère après lecture de Journal d’Hirondelle, écrit par Amélie Nothomb en 2006 et paru aux éditions Albin Michel.

                Le narrateur de cette macabre histoire vient de vivre une déception amoureuse qui a anesthésié toutes ses émotions, mais également toute sa sensualité. Il n’y a plus guère que la musique de Radiohead qui réussit à le transporter. Un jour, il rencontre un russe, Youri, qui le prend comme tueur à gages pour le compte d’un mystérieux patron. C’est en tuant son premier client qu’il ressent à nouveau l’orgasme. Dès lors, s’installe pour lui une véritable addiction au meurtre et les contrats s’enchaînent. Jusqu’au jour où sa mission est d’exécuter un ministre et toute sa famille alors que ces derniers passent le week-end à la campagne. L’affaire se déroule sans encombre, sauf pour le ministre et sa fille ainée : en effet, le narrateur, qui se fait désormais appeler Urbain, est témoin d’une scène étonnante : le ministre est tenu en joue, puis tué, par sa fille qui lui reproche d’avoir dérobé et lu son journal intime. Aussitôt après le meurtre du ministre – assassiné par sa fille - Urbain termine le travail et exécute l’adolescente. Il prend la mallette du ministre, comme le stipule le contrat. Cependant, avant de remettre l’objet à Youri, il l’ouvre et découvre le fameux journal intime qui a valu la mort du ministre. Le cahier ne lui semble d’aucun intérêt, voilà pourquoi il décide de le garder et de le lire. Petit à petit, il tombe amoureux de la jeune fille, auteure du journal tandis que Youri est persuadé qu’il manque un document à la mallette du ministre. Urbain est alors envoyé sur une affaire difficile : il doit assassiner un cinéaste très entouré. Cependant, il tombe dans un traquenard : des hommes lui réclament le journal intime et l’emprisonnent. Notre héros décide de faire disparaître le journal – soigneusement camouflé sous son pull – en avalant les pages écrites du cahier tandis qu’il attend la mort dans sa geôle en écrivant sa confession sur les pages vierges qui restent.

                Certes, on peut lire – et prendre beaucoup de plaisir à lire – Journal d’Hirondelle comme une sorte de thriller macabre qui mettrait aux prises un tueur à gage plutôt pervers avec une mission qui tournerait mal. Urbain remet bien la mallette du ministre à Youri, mais il ne sait pas que ce qui intéresse son mystérieux patron, c’est l’insignifiant journal intime d’une jeune fille exécutée sur son ordre. Pourquoi cet intérêt ? Et le piège se referme sur Urbain qui ne se résout pas à donner le précieux cahier.

                On peut aussi lire Journal d’Hirondelle comme une histoire d’amour au romantisme échevelé, macabre, gothique. Un homme, qui a perdu toute sa sensualité, la retrouve en lisant le journal intime de la fille qu’il a assassinée. Dès lors, il tombe éperdument amoureux d’elle. Il passe donc d’une anesthésie totale à l’amour fou, un amour qui deviendra sacré : une véritable religion. Car si l’histoire d’amour est écrite à l’envers, si le narrateur tombe amoureux d’une inconnue morte, il finit par se donner la mort en mangeant les pages du journal – qui doivent le constiper de manière irréversible (on retrouve bien l’humour désacralisant d’Amélie) -  des pages qui ont le goût d’hostie. C’est ainsi qu’on ne fait plus qu’un avec le corpus Christi ! J’ai adoré cette fin à la fois macabre et baroque qu’Amélie place sous le signe du noir et romantique Gérard de Nerval. C’est en effet sur la tombe de ce dernier qu’Urbain enterre une hirondelle venue mourir chez lui, une hirondelle qui donnera son identité à celle qui n’en a pas (ou plus). Journal d’Hirondelle : celle qui annonce le printemps, le renouveau, celle qui rendra à Urbain toutes les sensations de la vie alors qu’elle est morte.

                Et puis, comme toujours, chez Amélie Nothomb, on retrouve les grandes thématiques de l’amour, de la perversité et de leur imbrication. C’est en donnant la mort qu’Urbain retrouve l’orgasme. Cependant, le véritable amour n’aura rien de sexuel, ou alors sera empreint d’une sexualité transcendée. La chair d’Hirondelle, c’est ce qui reste d’elle : un journal intime. Urbain mange ce corps et cet acte peut s’apparenter à l’acte sexuel. On retrouve donc la fascination d’Amélie pour l’amour platonique, le seul qui puisse mener, de par la frustration, aux accomplissements les plus extrêmes, puisque l’accomplissement physique normal est impossible. Et puis ce questionnement : n’est-ce pas du mystère d’une personne dont on tombe amoureux ? Le journal d’Hirondelle n’offre que fort peu d’éléments intimes : la jeune fille garde son mystère. Et si le patron d’Urbain voulait, lui aussi, ce journal pour tenter de saisir le mystère d’une personne qu’il ne peut avoir autrement ? Le patron n’est-il pas, lui aussi amoureux d’Hirondelle ? C’est la seule piste plausible entrevue par Urbain.

                Bref, encore une fois, Amélie fait mouche avec un roman ultra light mais ultra complexe et ultra savoureux : eh oui, je n’ai pas perdu mes sensations, moi ! Et je m’en vais à tire d’ailes vers d’autres extases livresques… dont à coup sûr Amélie fera partie !



27/10/2012
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