Solenn Colleter : je suis morte et je n’ai rien appris / témoignage vivant et instructif sur le bizutage.
Me voilà en vacances en Corse avec pour première lecture un roman qui traite de la rentrée ! Une rentrée plutôt galère, qui plus est, puisque nous sommes plongés au cœur de ces classes préparatoires aux grandes écoles qui pratiquent un bizutage dur sur les nouvelles recrues. C'est donc un roman-témoignage assez fort et assez original que propose Soleen Colleter avec je suis morte et je n'ai rien appris, paru en 2007 aux éditions Albin Michel.
Nous sommes au lycée Sainte Thérèse qui prépare l'entrée aux plus prestigieuses écoles scientifiques et qui obtient des résultats non négligeables en ce qui concerne les admis… Ainsi donc, ce lycée jésuite et catholique possède une belle renommée : n'y entre pas qui veut. Cependant, avec l'arrivée d'une nouvelle promotion la rentrée est inaugurée par une semaine de bizutage sans répit. Les nouveaux autrement appelés les beuzeux doivent subir tout un tas d'épreuve plus humiliantes et plus éprouvantes les unes que les autres : ramper dans un fossé rempli de détritus, le rio crade, mettre la tête dans des seaux de viscères de poisson pourri, embrasser une tête de porc en décomposition, être réveillé à n'importe quelle heure de la nuit, mal manger, subir des insultes permanentes… J'en passe et des meilleurs, car Solenn Colleter, en 350 pages, prend le temps de bien décortiquer tous les événements de cette semaine cauchemardesque pour son héroïne : Laure Godin.
En ouvrant les premières pages de ce livre, je me suis bien demandé comment j'allais faire pour être passionnée par un récit qui promettait d'être finalement répétitif, puisque ce roman raconte exclusivement la semaine de bizutage au lycée Sainte Thérèse, heure par heure. Pourtant, je dois dire que j'ai eu peine à lâcher ce livre qui nous fait véritablement entrer dans les arcanes de cette tradition plus que contestable. D'abord, on y apprend que cette pratique du bizutage a un but : souder les membres d'une promotion, développer l'esprit d'équipe et d'entraide. Ensuite, on y sent bien le cauchemar collectif des bizuts, dans un premier temps : tous ont peur ; tous sont pitoyables à obéir à des ordres humiliants. Et puis, progressivement, il y a les bizuts qui veulent se faire remarquer : qui semblent prendre plaisir à exécuter les pires horreurs… ils font tout pour être désignés lors des exécutions publiques. Il y a aussi l'envers du décor : les bizuteurs qui arborent des maquillages guerriers et terrifiants, qui hurlent et déversent continuellement des insultes dans les oreilles des beuzeux… ne prennent pas forcément plaisir à ce genre d'actes dégradants : ils s'y soumettent aussi parce que c'est une tradition que le proviseur veut pérenniser. D'ailleurs, les véritables sadiques sont écartés du comité de bizutage.
Vient ensuite la période du lavage de cerveau : les bizuteurs se font plus tendre, ils montrent leur fatigue : après avoir fait peur aux bizuts, après les avoir torturés moralement, ils relâchent la pression et selon le syndrome de Stockholm, les bizuteurs commencent à s'attacher à leur tortionnaires. Grâce à cette tactique, les bizuts revivent leur expérience dans leurs souvenirs de manière moins brutale : c'est ainsi que l'esprit d'équipe se créée entre les anciens et les nouveaux.
Ainsi, le mécanisme du bizutage, ses différentes étapes, sa psychologie sont passés au crible de manière très efficace dans ce roman qui a l'audace de traiter d'un sujet tabou et peu évoqué en littérature.
Mais ce n'est pas tout : à cette trame déjà dense vient s'ajouter une intrigue policière : Tristan Lebeau a été défenestré lors de la première nuit de bizutage qui semble avoir dérapée : Laure mène l'enquête ; difficilement, car le proviseur est bien décidé à étouffer l'affaire et à faire disparaître le corps. Je n'en dirai pas plus sur ce côté-là du roman qui ne fait pas son intérêt essentiel, mais qui ajoute au plaisir de cette lecture déroutante.
Quoiqu'il en soit, je remercie Solenn Colleter pour ce témoignage fort en défaveur d'une pratique désormais interdite mais qui continue de se pratiquer dans certaines classes préparatoires aux grandes écoles. Je me souviens être passée moi-même par ces fourches caudines : de manière, fort heureusement bien plus supportable… néanmoins, jamais je n'ai trouvé d'intérêt, de plaisir, d'utilité à ces brimades humiliantes qui peuvent sans aucun souci être remplacées par d'autres types d'activités.
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