Jean Teulé : Les lois de la gravité / De la légèreté de la gravité
Que diriez-vous d’une petite soirée lecture qui vous emmènerait au commissariat de police pour un voyage jusqu’au bout de la nuit ? C’est ce que nous propose Jean Teulé avec le roman Les lois de la gravité paru en 2003 aux éditions Julliard.
Le roman se conçoit comme un huis-clos de quelques heures, au sein d’un commissariat de police. Deux personnes face à face : une femme dont l’identité restera une énigme, et un policier, Gilles Pontoise, s’affrontent pendant quelques heures. Dix ans auparavant, elle a tué son mari, suicidaire et violent, en le poussant par la fenêtre. Elle vient au commissariat, cette nuit-là, pour se dénoncer car le poids de la culpabilité est trop important. Cependant, le commissaire Pontoise, à quelques heures du week-end, n’a pas envie d’embrouilles de dernière minute. Le Jimmy en question est mort il y a dix ans, déclaré suicidé, par ailleurs homme violent et peu recommandable…. Allez, madame, fichez le camp d’ici et on n’en parle plus. Mais la femme ne l’entend pas de cette oreille : elle est venue se dénoncer à quelques heures de la prescription ; en effet, dans quelques heures, c'est-à-dire après minuit, l’affaire sera caduque ; il y aura prescription pour le meurtre d’un individu mort dix ans auparavant. S’ensuit alors un bras de fer entre les deux personnages : surtout ne pas enregistrer de déclaration avant minuit / insister pour que l’affaire soit enregistrée avant le délai de prescription.
Avec Les lois de la gravité, Jean Teulé signe un roman au scénario original : c’est un peu ce qui le caractérise à chaque fois qu’il prend la plume. Une révélation de dernière minute concernant un crime bientôt prescrit, qui laisse l’affaire au jugement seul d’un commissaire de police. Soit il prend la déposition et la femme sera jugée pour meurtre, soit il retarde de quelques heures le rapport établissant la culpabilité de la femme et celui-ci ne sera pas pris en considération par la justice. Alors, quel sera le dénouement final ? Qui remportera ce face-à-face impitoyable ?
Ainsi, les lois de la gravité est un roman qui pose le problème de l’absurdité de la prescription pour un crime : en effet, pourquoi décréter la gravité d’un crime pendant dix ans, et puis, à minuit pile, on décide que ce même crime ne vaut plus… qu’il n’a pas même existé ? il y a prescription. D’une minute à l’autre, sa gravité bascule donc : de la gravité telle qu’elle mérite de passer en cour de justice, à une gravité qui n’existe plus ; tout ça en une seconde. Un peu comme ce tour de passe-passe que nous vivons chaque année au jour de l’an : une seconde avant, on est en 2011, une seconde après on est en 2012 et tout est bouleversé ! On s’appelle pour ce grand événement, on se souhaite plein de trucs qu’on n’imaginait pas possibles dans le marasme de l’année précédente… mais c’est la magie de la trotteuse : ce qui est impossible une seconde auparavant, le devient deux secondes plus tard !
Cependant, le titre s’explique aussi par les personnages : la gravité, c’est ce qui alourdit le coupable, au point qu’il éprouve, en dernière minute, de besoin d’être jugé. Le crime le taraude depuis trop longtemps. Il a ajourné le face à face avec la justice jusqu’à la dernière minute, mais… c’est si lourd à porter qu’il ne peut s’imaginer ne jamais avoir à rendre de comptes pour ce geste. Voilà pourquoi, quelques heures avant la tranquillité absolue, il joue le va-tout : il met son destin entre les mains d’un vulgaire commissaire de police qui ne pense qu’à son week-end… à quoi tient la justice, parfois !
En réalité, le double portrait qui se dégage de ce face-à-face, est quelque peu cruel : elle est une factrice adorée de ses clients, elle est une bonne mère, elle n’a vraiment rien à se reprocher, sauf, ce geste, dix ans auparavant : un mari violent… L’envie d’être tranquille. Tandis que le flic ! Quelque peu violent, il a déjà passé à tabac un homme, il vole des roses dans le parterre de la ville pour décorer son bureau… des broutilles ou non… cependant, si on met les deux personnages en balance, on se dit que le plus nuisible n’est pas celui qui doit être condamné par la justice.
Alors, que penser du dénouement ? Entre un flic au départ humain, qui décide de faire justice lui-même et de laisser trainer la déposition afin que celle-ci soit déclarée caduque, le cachet de la poste faisant foi, et un flic qui revient sur ce qu’il a fait, en antidatant la déposition, parce que finalement, il faut respecter la loi… On voit toute l’ampleur et la complexité de ce qu’est la notion de justice et de culpabilité : la jeune femme est globalement bonne, mais est coupable d’un geste isolé destiné à se débarrasser d’une vie injuste / le commissaire est coupable d’être fondamentalement méchant sans jamais avoir fait un geste véritablement condamnable. Pour juger tout ça – c'est-à-dire celle qui a péché une fois - il y a la loi, et il est bien confortable pour les impétrants de s’y conformer. Mais la loi n’est bien souvent pas suffisante, et c’est alors qu’on est dépendant d’un homme, de ses valeurs, de sa conscience – bref, de ce fameux fond humain, ou non. Sur ce point, on tombe bien ou non : l’ensemble est extrêmement faillible et se joue bien souvent sur un coup de dé.
Bref, ce roman a pour caractéristique intéressante de nous mettre face à la part d’humain discutable (le jugé de chacun) et d’inhumain indiscutable (la loi bête et méchante) dans ces grands rouages de la justice qui nous gouvernent. Et bref ! La loi n’est pas une science exacte ! La jeune femme est jugée à deux moments différents de la journée, par un même individu et le verdict ne sera pas le même ! De quoi faire réfléchir aux textes de loi et à l’application qui en est faite au cas par cas ! Et si les lois de la gravité étaient celles de la plus grande légèreté ?
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