Tracy Chevalier : la jeune fille à la perle / une perle minutieusement ciselée
C’est après avoir visionné le très beau film de Peter Webber que j’ai eu envie de lire le roman qui porte le même titre : la jeune fille à la perle, écrit par Tracy Chevalier en 1999 et paru aux éditions de la table ronde en 2000.
Griet est forcée de quitter sa famille, trop pauvre pour joindre les deux bouts : elle trouve une place de servante chez le peintre Vermeer. Le travail est éprouvant : lessive, courses, ménage, affaires domestiques… Notre jeune Griet n’a pas une minute à elle. Par ailleurs, c’est elle qui doit se charger de la tâche délicate de faire le ménage dans l’atelier du maître. Très vite, elle est fascinée par cet univers. Peu à peu, elle gagne la confiance du maître qui l’emploie également pour broyer les couleurs. Elle tombe amoureuse de lui : sans espoir. Elle n’est qu’une servante… Un jour, le mécène Van Ruijven commande un tableau où Griet apparaitrait. Vermeer s’arrange pour faire d’elle un portrait unique. Il va même jusqu’à subtiliser les boucles d’oreilles de son épouse afin de mettre une tache de lumière dans le portrait.
Ce roman comporte de nombreux centres d’intérêt : d’abord, il dépeint la vie quotidienne à Delf, au XVIIème siècle : plus particulièrement celle du quartier de l’Oude Langendijck, un quartier papiste où la vie s’étire entre les messes, les courses au marché, la vie confinée dans les maisons, surtout en hiver. La toile de fond est particulièrement présente, toute en relief : le lecteur se promène de boutique en boutique, le long du canal, ou encore à travers le fourmillement du marché. Dépaysement assuré ! Si bien que Delf est un personnage à part entière du roman.
Cependant, le personnage principal, c’est bien Griet, la servante : à travers elle, c’est la condition des filles pauvres qui est évoquée. Elle doit se plier aux exigences des bourgeois qui agissent parfois avec beaucoup d’indélicatesse avec elle. Son travail est harassant et lorsqu’on soupçonne une relation privilégiée entre elle et Vermeer, le scandale risque d’éclater. Cependant, Pieter, le fils du boucher n’est pas indifférent aux charmes de la jeune fille. C’est avec lui qu’elle fera sa vie après avoir été renvoyée par Catharina, la femme de Vermeer. Sensible, discrète et intelligente, c’est un très beau portrait de femme pleine d’humilité que nous offre ici Tracy Chevalier.
Enfin, la jeune fille à la perle, c’est aussi l’histoire de la maison Vermeer dans son quotidien. Il y a Maria Thins, la mère de Catharina qui est prête à aider la jeune Griet contre sa propre fille, car elle songe avant tout aux tableaux de son beau-fils et à l’argent qu’ils sont susceptibles de rapporter. Catharina, la femme de Vermeer, acariâtre et jalouse de Griet : elle passe son temps à mettre au monde des bébés. Il y a les enfants et particulièrement Cornélia, petite fille sournoise qui cherche à nuire à Griet… Et puis enfin, il y a les autres domestiques, et particulièrement Tanneke : chacune veille sur ses prérogatives : il n’y a guère de solidarité entre les domestiques.
Reste à voir si le livre vaut le film…. Sans doute le roman est-il plus fouillé et plus nuancé, car le film se contente peut-être un peu trop des images d’Epinal liées à la peinture hollandaise du XVIIème siècle, au point qu’on se croirait parfois dans une pub pour les yaourts la laitière. Cependant, on est bien vite envoûté par la lumière qui émane du film et qu’on ne retrouve pas dans le livre. Par ailleurs, l’histoire d’amour entre Vermeer et Griet est bien plus émouvante dans le film : car là, il n’y a pas d’ambigüité : jeux de regards, troubles, oui, le maître est bien amoureux de sa servante : un amour impossible, qui se vit dans l’ombre et le non-dit lors même que la particularité du peintre est la maîtrise de la lumière. Dans le livre, c’est Griet qui est la narratrice : tout est perçu de son point de vue si bien qu’on ne sait pas trop si Vermeer est amoureux d’elle ou simplement attiré par la qualité du tableau qu’il pourrait tirer d’un pareil modèle. Griet se pose la question. Aucune réponse n’est apportée. Sauf peut-être à la fin : Vermeer, avant de mourir, a légué à Griet les boucles d’oreilles de sa femme. Boucles d’oreilles que la jeune fille s’empresse de revendre car il serait inconvenant de les garder. D’un sens comme d’un autre, c’est une histoire d’amour douloureuse où l’on est face à une jeune fille qui se contente de quelques miettes d’intérêt de la part d’un grand maître, et ce, avec résignation et humilité. Heureusement pour elle, cette situation ne dure pas et elle finit par trouver le bonheur auprès de Pieter, le boucher, qui va l’aimer comme une femme, et non comme une icône.
Voilà pourquoi, je crois que le livre et le film sont complémentaires et valent autant l’un que l’autre. A vous de voir.
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