LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Eric-Emmanuel Schmitt : l’évangile selon Pilate : ni bible, ni évangile, ni coran… mais assurément un très bon roman.


Ainsi donc, me voilà face au grand ténor de la littérature française actuelle : Eric-Emmanuel Schmitt…  et à un roman qu’il a écrit en 2000 : L’évangile selon Pilate.

Dans cette œuvre - et sur ce coup-là, point d’innovation -  l’auteur s’attaque à un mythe… il l’avait déjà fait avec Hitler dans le génialissime : la part de l’autre, avec Don Juan dans la nuit de Valogne, il récidive dans ce roman avec Jésus, le Christ tout puissant.

L’œuvre se divise en deux parties : la première offre le témoignage de Jésus lui-même le soir de son arrestation dans le jardin des oliviers. C’est l’occasion pour Schmitt de revenir sur le parcours de celui que les chrétiens nomment le Messie. Revenir ? Ou plutôt revisiter ? Car bien évidemment, l’auteur profite de cette belle occasion que lui donne l’écriture façon confession… une forme qui permet de laisser la part belle aux doutes et aux incertitudes d’un homme. Quel est donc le portrait que Schmitt nous offre de Jésus ? Inutile d’espérer obtenir de ce roman une réponse à la question : Jésus est–il le fils de Dieu, sinon celle à la normande : peut-être bien, oui, mais aussi, peut-être, non.

Jéchoua a grandi en Galilée. Peu intéressé par la menuiserie, profession paternelle qu’il tente d’honorer à son tour, il se passionne pour La Loi,  et très vite, ose de sévères critiques à son encontre. Nombreux sont ceux qui, dans le malheur, viennent le voir, car sans s’en rendre vraiment compte, il a le talent des mots qui apaisent et guérissent les douleurs. Bref, c’est l’itinéraire de Jésus raconté par Jésus lui-même : un homme qui fait les choses sans s’en rendre compte, dans un premier temps, puis qui se dit : « et si c’était vraiment moi ? ». C’est alors qu’il arrange ses affaires pour entrer dans la légende : il lui faut mourir en martyre. Qu’à cela ne tienne ! « Mon Dieu ! Faîtes qu’ils ne soient pas modérés. Rendez-les sots, violents, expéditifs. Épargne-moi la fatigue de les exciter contre moi ! Qu’ils me tuent ! Vite !  Et proprement ! » Telle est la prière adressée par Jéchoua à Dieu, dans le jardin des oliviers, la veille de son procès.

En seconde partie, la parole est donnée à Pilate, le préfet de Judée. Il écrit à son frère, Titus. Une affaire extrêmement gênante l’obsède : le corps de ce fichu Jéchoua a disparu du tombeau où il reposait après la crucifixion. Envolé ! Malgré les gardes. Et puis, il y a ces rumeurs que font courir Salomé et Magdalena : elles ont vu Jéchoua. Il est ressuscité ! Pilate ne peut y croire. Il mène l’enquête et ses hypothèses sont celles d’un esprit profondément rationnel : selon lui, des opposants au sanhédrin ont subtilisé le corps de Jéchoua pour faire naître une nouvelle religion. Il s’agit ici d’une vaste entreprise d’intoxication, dangereuse pour le pouvoir romain sur la Palestine, car s’il existe des accointances entre le sanhédrin et Rome, les disciples de Jéchoua sont, quant à eux, incontrôlables. Pilate s’emploie à dévoiler la supercherie. Cependant, il finit lui-même par douter, et par se lancer à la recherche de Jéchoua ressuscité. Tant de juifs l’ont vu depuis les fêtes de Pâques !

L’évangile selon Pilate est donc un roman qui risque de déranger les chrétiens pur jus : d’abord parce qu’il fait de Jésus un personnage romanesque à part entière et non pas un objet d’étude. Il s’exprime tant qu’il est vivant, on accède à ses pensées, à ses doutes, à la confidence de ses faiblesses et jusqu’au bout, pour lui, il y aura l’incertitude : « suis-je vraiment le fils de Dieu ? » Et c’est bien l’attente et l’espoir d’une révélation qui lui donne la force d’aller jusqu’au bout. La foi ? Ses disciples l’ont bien plus que lui et ils savent aussi manipuler Jéchoua pour qu’il accomplisse la parole de Moïse.

Un roman qui peut aussi déranger tous ceux qui ne sont pas chrétiens. Ce sont eux que Pilate représente. Les lettres que ce dernier écrit à son frère sont bien singulières, en vérité, car Schmitt n’a pas respecté les codes du roman épistolaire. L’écriture de Pilate se conforme aux canons du roman : dialogue, narration, description. Ainsi, c’est une multitude de personnages qui se croisent et se décroisent au fil des lettres qu’on peut aussi bien lire comme une enquête policière. Chaque personnage-témoin porte avec lui son degré d’implication, d’intérêt, de questionnement dans l’affaire Jéchoua.  Il est clair que Schmitt se positionne sur des bases agnostiques et met  le doigt sur tous ces miracles qu’on peut lire dans les textes sacrés pour tenter de les expliquer de manière rationnelle. Cependant, la part de mystère subsiste. D’ailleurs, Pilate ne déclare-t-il pas, à la fin : « Je ne serai donc jamais chrétien, Claudia. Car je n’ai rien vu, j’ai tout raté, je suis arrivé trop tard. Si je voulais croire, je devrais d’abord croire le témoignage des autres ».

Et c’est sans doute là la force du roman : ne pas laisser indifférent, faire douter, dans un sens comme dans l’autre. Et si au départ l’œuvre veut semer le doute dans l’esprit des chrétiens à travers la parole de Jésus lui-même, par la suite, c’est à l’esprit rationnel qu’elle s’attaque à travers la parole du romain bien carré : Pilate. On retrouve donc là la fascination de Schmitt pour le doute et le refus des vérités quelles qu’elles soient.

Et Claudia de  répondre à Pilate : « c’est peut-être toi, le premier chrétien. »



24/08/2009
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