David Foenkinos : Les souvenirs /Tel David d’heureuse mémoire.
Lorsqu’il m’arrive de songer que la vie est une roue qui tourne et que je suis peut-être aux environs de la moitié de sa course, alors j’ai le vertige et je me hâte de penser à autre chose. Cependant, le temps de la lecture de Les souvenirs de David Foenkinos, paru en 2011 aux éditions Gallimard, on est, qu’on le veuille ou non, face au thème de la fuite du temps.
Patrick, veilleur de nuit dans un hôtel parisien et écrivain sans grande inspiration vient de perdre son grand-père. S’ensuit une période sombre durant laquelle il faut placer la grand-mère à l’hospice, puis faire face à la dépression de la mère qui a du mal à supporter la retraite, puis partir à la recherche de la grand-mère qui s’est enfuie de l’hospice… C’est à Etretat - là où la grand-mère a passé son enfance, là où elle s’est enfuie - que Patrick rencontre Louise qu’il épouse au moment du divorce de ses parents. S’ensuivent huit années de bonheur et un enfant : Paul. Malheureusement, le couple se perd et se sépare au moment où les parents de Patrick se retrouvent.
Comme dans tous ses romans, David Foenkinos nous parle de couples et d’amour. Cependant, dans les souvenirs, ces deux paramètres sont liés à celui de la fuite du temps. En effet, avant de rencontrer lui-même un grand amour, Patrick voit la mort séparer son grand-père et sa grand-mère, puis la crise liée au départ en retraite de sa mère sème la zizanie dans le couple de ses parents. Ainsi, le roman se construit-il sur l’idée de la roue qui tourne, puisque le livre va de l’évocation du couple le plus âgé à celle du couple le plus jeune ; pourtant, leurs histoires se ressemblent : elles sont toutes faites d’une rencontre forcément unique et magique, d’un mariage, d’enfants qui naissent… et de séparations. De là à dire que nos souvenirs personnels sont tous plus ou moins semblables à ceux des autres… bien évidemment. D’ailleurs, on quitte le livre sur un final en boucle : devenu père célibataire, Patrick emmène son fils voir le spectacle de Guignol, et renoue par là avec son grand-père qui l’a également emmené voir ce même spectacle intemporel : on finit forcément par avoir tous des souvenirs plus ou moins semblables qui nous relient les uns aux autres. Quels sont les vieux enfants de ma génération qui ne sourient pas lorsqu’ils voient Casimir dans les émissions télévisées nostalgiques ?
D’ailleurs, pour appuyer l’idée de l’universalité du souvenir, David Foenkinos a inséré dans son roman des passages en italique où il livre une bribe de mémoire d’un étranger lié de près ou de loin à l’histoire, comme autant de pétales abandonnés au vent du temps qui passe pour tous : pour les personnages du livre, pour d’autres, pour nous.
Ainsi, le roman est-il aussi, outre une histoire sentimentale entre des hommes et des femmes, des pères, mères et enfants, un hymne à la beauté du souvenir : entre les souvenirs des personnages les plus vieux, ceux bien plus sporadiques des étrangers au roman, et ceux encore en gestation de Patrick et de Louise, nous sommes face à l’idée que le souvenir est ce qui importe le plus dans la vie, car c’est ce qui reste lorsque tout a fui, lorsque tout est ruiné : la grand-mère de Patrick se trouve confrontée à cette dure réalité lorsqu’elle cherche à retrouver une amie d’enfance, à Etretat, et que celle-ci ne se souvient de rien, puisqu’elle est atteinte de la maladie d’Alzheimer : que reste-t-il de toutes ces années ? Rien, sauf un bien fragile souvenir qui n’est guère plus partagé.
Par ailleurs, le souvenir, c’est aussi ce qui donne de la consistance à un être humain : avant de trouver l’inspiration pour son roman, Patrick doit remplir son petit bagage de souvenirs personnels ; sa propre histoire de rencontre, d’amour, de mariage, de séparation… Oui, le souvenir, c’est ce qui forme et forge un être humain.
Cependant, le roman les souvenirs comporte des scènes un peu forcées, qui hésitent entre le comique et le dramatique, entre le farfelu et le réalisme : par exemple, avant de mourir, la grand-mère passe une journée à l’école d’Etretat, à la rencontre, non pas de sa jeunesse, mais de celle des autres. L’idée de la rencontre entre les générations, dans ce lieu symbolique qu’est l’école, est certes, assez jolie, mais assez peu plausible ; on passe sur le fait que c’est là que Patrick rencontre Louise, sa future épouse… afin de ne pas avoir à répéter qu’il y a la roue qui tourne et qu’après le malheur, il y a le bonheur, etc.… J’ai trouvé ces scènes vraiment forcées et fort démonstratives.
Par ailleurs, il est également vrai que Foenkinos ne renouvelle pas beaucoup ses personnages : Patrick est une sorte d’antihéros plutôt maladroit et rêveur, à l’instar de tous les autres personnages masculins des autres romans de l’auteur ; Louise est une femme lisse aux longs cheveux lisses (sans doute blonds), plutôt fragile, douce et effacée : elle ressemble à Claire, Alice et à toutes les autres femmes des précédentes œuvres de Foenkinos.
Bref, rien de bien nouveau dans les souvenirs pour qui connaît déjà Foenkinos : des couples croqués dans différentes phases de leur parcours, et des personnages déjà croisés ailleurs. Pour celui qui ne connaît pas l’auteur, je conseille ce roman au même titre que les autres : la fraîcheur, la poésie et un optimisme doux-amer font toujours la patine des romans de Foenkinos qu'on retrouve ici, comme ailleurs. De plus, le roman se lit, comme tous les Foenkinos, avec beaucoup de plaisir, d’une seule traite : il est décidément difficile de résister à l’incorrigible optimisme de l’auteur qui fait s’entremêler les moments de bonheur et de malheur des uns et des autres, même si on a, en filigrane, le souvenir des autres romans décidément tous des frères-jumeaux. On espère donc que la certes encore fraîche « vieille chanson du jeune temps » de Foenkinos ne devienne pas une de ces rengaines des années 30 remise au goût du jour par une sorte de Patrick Bruel en mal d’inspiration : ce serait tellement dommage !
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