LECTURES VAGABONDES

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Jean Teulé : darling / I like it !


Voici un roman qui n’est pas fait pour remonter le moral et qui commence par une citation désabusée de la grand-mère de Jean Teulé, histoire de mettre le lecteur d’emblée au parfum : « Que de misères sur terre, tout ça pour finir en dessous ». Le titre de ce roman paru en 1998 aux éditions Julliard : Darling, ne laisse pourtant pas présager d’une telle noirceur !

Catherine naît dans un petit village rural du fin fond de la Basse-Normandie. La vie n’est pas rose pour la jeune fille qui reçoit souvent des coups de la part de son père : Georges. Et puis, la vie à la ferme a de quoi en traumatiser plus d’un ! On y tue des bêtes sans grand ménagement. C’est pourquoi Catherine ne rêve que d’une seule chose : partir. Elle passe son temps à regarder les camions passer sur la nationale, elle voudrait épouser un routier. En attendant, elle est employée à la boulangerie du village. Là, elle reçoit un peu d’amour car ses patrons, Chantal et Bernard sont très gentils avec elle. Un jour, elle s’achète une CB et réussit à entrer en contact avec un routier. Son noms de code, à elle, c’est Darling, lui, c’est Roméo, autrement dit : Joël Epine qu’elle épouse très vite. De leur union naîtront trois enfants : Kévin, Tommy et Océane. Mais bien loin de trouver le bonheur, ce mariage achèvera de détruire la jeune femme : coups, viols, sévices sexuels : un jour, Catherine plaque tout et part pour Paris. S’ensuit un long combat pour récupérer ses enfants qui ont été placés à la DDASS.

L’œuvre se présente comme le témoignage de Catherine, réécrit par Jean Teulé. A l’intérieur des chapitres, en italique, on peut lire des extraits du dialogue entre l’héroïne et l’écrivain, dialogue qui est à l’origine du roman. Bref, sans doute, ce roman n’est-il pas pure fiction mais il semble qu’il puise sa source dans une rencontre entre Jean Teulé et celle qu’il nomme, à la fin de l’œuvre, sa cousine.

Je commencerai par souligner la grande qualité de l’écriture de ce roman, écriture qui colle au sujet très violent des femmes battues, de la rudesse de la vie à la ferme. Le vocabulaire ordurier est très présent : il est le garant d’une odeur d’authenticité par rapport aux personnages et au milieu dans lequel ils évoluent, mais aussi d’une sacrée pointe d’humour nécessaire à la dédramatisation de l’ensemble : inutile d’attendre de Jean Teulé des pleurnicheries à n’en plus finir sur les pauvres femmes violentées. Le ton est, certes, violent, teinté de compassion, mais sans apitoiement. Frontière qui peut paraître difficilement tenable… Mais Jean Teulé réussit parfaitement à ne jamais la franchir.

Voici un petit extrait particulièrement « hard » qui m’a personnellement soulevé le cœur : j’y reviendrai dans la suite de cet article. A la ferme, on abat la truie Raïma :

« Les longs intestins blancs derrière elle ressemblaient à une traîne de mariée… Elle se secouait pour s’en débarrasser, alors c’était des éclaboussures de merde partout dans la cour. Il en était tombé sur ma figure et ma robe… Maman en entendant la cavalcade est sortie de la cuisine et m’a demandé : « Mais qu’est-ce qu’elle a, celle-là ? » « Elle ne veut pas crever ici » « Pourtant, faudra bien ! » qu’elle a répliqué en retournant à ses marmites ».  

Il est vrai qu’en tant que petite-fille d’agriculteurs, j’ai pu voir, dans mon enfance, des choses traumatisantes telles que les lapins que mon grand-père énucléait, les poules égorgées et ébouillantées, les cochons… l’abattage à la ferme ! La grande affaire du dimanche : il faut s’y prendre tôt… à la fin de la journée, basta ! Même le pâté de foie aux pruneaux : terminé. Tout ça, c’était assez beurk.

Cependant, je mettrai un gros bémol à la vision d’ensemble des paysans véhiculée par Jean Teulé. Certes, mes grands-parents n’étaient pas des intellos : un peu rustres, langage cru, sans fioritures… Mais jamais je n’ai vu un seul paysan du village où j’allais passer mes vacances être saoul, battre sa femme, ses enfants… à ces derniers, des claques, sans doute, lorsqu’ils ne respectaient pas l’instituteur, lorsqu’ils avaient mal travaillé… mais rien de plus.

Par ailleurs, je note qu’énormément de fils et de filles d’agriculteurs sont devenus polytechnicien(ne)s, ingénieur(e)s de haut vol, chirugiens : la culture du travail, dans le monde paysan, ce n’est pas du chiqué. Aujourd’hui, à Nédon, petit village de l’Artois duquel ma famille paternelle est originaire, il n’y a plus guère que trois grosses fermes en activité. Volonté de partir ? Nécessité de s’adapter aux mutations économiques du pays ? Le monde agricole a bien changé : il n’a plus rien à voir avec celui de mon enfance. Les paysans d’aujourd’hui sont davantage des chefs d’entreprise que des tueurs de poulet et des gros jardiniers. Alors, à quoi correspond cette peinture atroce des paysans que nous présente ici Jean Teulé ? Je reste sur l’idée qu’il s’agit ici d’une histoire particulière, non emblématique du milieu dans lequel elle se déroule. Après tout, des tarés, il y en a partout… Cependant, dans le village d’Heurleville en Basse-Normandie, c’est qu’il y en a, des tarés ! On se croirait parfois dans la colline a des yeux, le film de Wes Craven.

Par ailleurs, je relève aussi l’image détestable que ce roman véhicule au niveau des hommes : ils sont tous grossiers, violents, alcooliques… Fichtre ! De quoi avoir envie de rester célibataire pour toujours ! Heureusement, on sait tous que les hommes peuvent être aussi à l’opposé de ce tableau lamentable !

Cependant, il s’agit bien de l’histoire particulière d’une femme, aux prises avec une famille particulière et des rencontres particulières : sans doute, dans nos vies y a-t-il un karma et souvent, nous reproduisons des schémas sentimentaux initiés dans l’adolescence. En ce qui concerne Catherine, elle se débat dans une violence de plus en plus extrême, jusqu’à en avoir finalement assez, jusqu’à vouloir rompre avec ce schéma pour sauver ses enfants. Et s’il y a un message dans ce livre, il n’est certes pas destiné à dégrader les paysans, les hommes : seulement ceux qui font preuve de violence envers les femmes et à ce niveau, à travers un langage toujours très cru et violent, Jean Teulé arrive à faire passer beaucoup de la tendresse et de la complicité qu’il partage avec Catherine.

D’ailleurs, ce qui le fascine, c’est qu’au plus profond de la déchéance et de l’humiliation, Darling a le courage de la révolte : elle ensanglante les murs de sa chambre avec ses règles, elle plaque tout et part seule, sans bagage pour Paris : redémarrage à zéro.

Darling est donc un roman extrêmement violent et explosif mais aussi, par là-même, extrêmement prenant : difficile de décrocher de cette lecture qui retourne les tripes et dont on sort assez ébranlé. On se demande même si Jean Teulé n’en rajoute pas un peu. Sans doute que non, si l’on songe à l’histoire de certaines femmes battues.



24/02/2012
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