Vikas Swarup : les fabuleuses aventures d’un indien malchanceux qui devint milliardaire…. Est-il chanceux ou malchanceux, notre slumdog millionnaire ?
Voici un livre que j'ai découvert il y a peu, en visionnant le désormais cultissime Slumdog Millionnaire, puisque c'est de ce roman de Vikas Swarup : Les fabuleuses aventures d'un indien malchanceux qui devint milliardaire que Danny Boyle a tiré le scénario de son film. Un film, je dois dire, très bien réalisé, mais qui manque sans doute de profondeur au niveau du traitement des personnages. Et c'est cette profondeur-là qui m'a sans doute terriblement manquée pour apprécier véritablement l'histoire.
C'est un peu le même reproche que je puis adresser au livre… mais pour d'autres raisons tant il est vrai que le livre et le film offrent des dissemblances qui paradoxalement aboutissent à la même sensation de superficialité.
Quelques mots de l'histoire… déjà connue de beaucoup !
Le jeune Ram Mohammed Thomas vient de gagner un milliard de roupies au grand jeu populaire « qui veut gagner des millions ». Cependant, la société de production n'a pas les moyens d'honorer une telle somme : elle accuse donc le vainqueur de tricherie et illico presto, le voilà envoyé à la torture. Une avocate, Smita, est chargée de l'affaire : c'est à elle que Ram va confier toute son histoire.
Le roman est donc construit en chapitres qui se succèdent au rythme des questions du présentateur de « Qui veut gagner des millions » : Prem Kumar ; Ram, notre héros, explique à Smita comment sa petite vie d'orphelin déshérité, lui a offert la réponse à chacune des énigmes du jeu.
Cependant, chaque petite histoire paraît plutôt être un prétexte à offrir au lecteur un regard sur un phénomène social de l'Inde : c'est ainsi que sont abordés, entre autres, les difficultés de vie dans les « chawls » (les bidonvilles), la haine entre les musulmans et les Hindis, les trafics en tout genre (trafic d'enfants, paris truqués, vols et cambriolages, prostitution…). Bref, un tableau bien noir d'une société plongée dans une sorte d'anarchie et de corruption permanentes.
Je dois dire que ce roman est extrêmement plaisant à lire : je l'ai dévoré. A ce titre, la plupart des romans que j'engouffre à ce rythme se retrouvent dans la suprême catégorie de ce blog. Pourquoi pas celui-là ? Eh bien ! Il comporte quand même un certain nombre de défauts un peu gênants. Mais quoi ! Avant tout, on s'évade, on ne s'ennuie pas, on n'a pas envie de décrocher… n'est-ce pas là l'essentiel ?
Tout d'abord, cette œuvre renoue avec la tradition picaresque : son titre est d'ailleurs tout à fait révélateur de ce genre dans lequel on peut la classer. Elle raconte effectivement une succession d'aventures où se mêlent une multitude de personnages de toutes origines, de tout caractère, et c'est bien à travers eux, avec eux, ou malgré eux que notre héros, Ram, fait son apprentissage de la vie, de ses turpitudes, de son cynisme. On n'oubliera pas non plus les quelques récits enchâssés, dans la pure tradition du genre ! A ce titre, par exemple, un chapitre est consacré à Selim, l'ami de Ram, qui raconte à l'intérieur de la narration principale comment le monde bollywoodien lui a ouvert ses portes.
Bref, tout cela est bien plaisant ! N'empêche qu'en arrivant à la fin, on se dit qu'il manque quelque chose pour que ce roman soit parfaitement accompli. Le personnage principal n'a hélas aucune personnalité bien affirmée. Il se pose trop souvent comme témoin, bien plus que comme acteur, des aventures dans lesquelles il se fourvoie, et d'une manière générale, il ne tire de tout cela, aucune réflexion, aucune philosophie, aucune vision particulière de la vie. Bref, il n'offre rien d'autre au lecteur qu'une explication développée de la réponse à une question de « qui veut gagner des millions », qui semble être un prétexte à montrer un aspect de la société indienne.
On est bien loin de la densité d'un Jacques le Fataliste dans lequel Diderot mène une véritable réflexion sur la part de hasard et de nécessité qui gouverne nos vies. Pourtant, on sent bien que Swarup aurait voulu atteindre ce point d'orgue en offrant au lecteur une réflexion sur la part de chance qui peut bouleverser une vie ; réflexion qui ne va pas plus loin que ce constat : Ram, héros totalement inculte, répond aux questions d'un jeu télé parce que les hasards de sa vie le lui permettent. Bof, bof ! Un peu limite comme questionnement !
Par ailleurs, la fin est une déception totale : on sombre dans le lénifiant et les bons sentiments « tarte à la crème ». En effet, l'avocate de Ram, Smita, n'est autre que Gudiya, la petite fille que notre héros avait aidée au début du roman : de belles retrouvailles totalement parachutées pour un sauvetage miraculeux (dont la narration est d'ailleurs escamotée). Le méchant Prem Kumar, l'animateur pourri de QVGM, est puni. Ram devient donc milliardaire et vient en aide à tout plein de petits enfants maltraités en Inde... Bref ! Il est vrai que le scénario de base est original, mais pas forcément simple à dénouer !
En résumé, si la trame générale du roman diffère sensiblement de celle du film (on ne trouve pas, dans le livre, le fil conducteur de l'amour et de l'amitié qui vaut dans le film), l'un et l'autre se rejoignent sur une sensation d'inaccompli. Dommage ! Cependant, il ne faudrait surtout pas, au nom de ces reproches, se priver de la lecture de ce roman ! Un vrai plaisir ! Il faut bien le dire !
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