LECTURES VAGABONDES

   Voici un roman totalement drôle et réjouissant. Cependant, au fond, les problématiques qu’il développe sont plutôt graves et sérieuses. Nous allons donc faire connaissance avec le fameux Vincent Ravalec qui a écrit Sainte-Croix-les-Vaches en 2018, roman qui paraît aux éditions Fayard.  

      Nous sommes à Sainte-Croix-les-Vaches, trou du cul du monde situé dans les Causses. Avec son cousin Benoît, Thomas Sorlut – également maire du village – a repris la ferme de ses parents tous deux décédés d’un cancer déclenché par la manipulation des pesticides. Mais Thomas n’est pas un agriculteur comme les autres : il a fait ses études à Lyon et a lié connaissance avec des voyous lyonnais et marseillais. D’ailleurs, il est à la tête d’un sacré magot, abandonné dans la montagne par un de ses copains voyous, Monré, avant sa mort. Ces connaissances lui permettent également de mettre sur pied dans cet endroit coupé de tout qu’est Sainte-Croix, de juteux business de trafic de faux papiers et de cannabis bio. Mais un jour, la jolie Sheila se pointe à Sainte-Croix-les-Vaches : elle est candidate aux élections législatives pour le parti En avant ! Une fois élue, elle compte bien jouer la carte rurale et terroir pour avancer dans sa carrière. Elle a comme projet, entre autres, de réaliser un film sur le village de Sainte-Croix-les-Vaches et ses environs, avec, en guest-star, le maire - Thomas Sorlut – qui est tombé amoureux d’elle. Cependant, à l’occasion du tournage, les malentendus surgissent, notamment parce que Sheila a pour ambition de faire venir du monde à Sainte-Croix-les-Vaches (notamment en implantant un fab-lab pour artistes bobos, ou encore via un camp de migrants). De son côté, Thomas veut rester tranquille et continuer son petit business pas très légal. A la rigueur, il accepte d’ouvrir une réserve pour les loups. Tandis que le film se tourne tant bien que mal, Thomas se débrouille pour conclure une affaire de vente de beuh qui manque de mal finir (et qui finit mal, d’ailleurs, pour ses partenaires lyonnais). Après visionnage du film, Thomas se rend compte des conséquences et de l’impact que ce dernier pourrait avoir sur le village. Mais pour l’heure, il est amoureux de Sheila et voit l’avenir en rose.

      Avec Sainte-Croix-les-Vaches, Vincent Ravalec signe un roman déjanté qui joue particulièrement sur l’absurde. En effet, les situations s’enchaînent sur le mode burlesque. C’est ainsi qu’on fait connaissance d’un des quatre habitants du village, un certain Médée, qui est convaincue que Sheila est une sorcière. Il s’adonne donc à des cérémonies de magie noire pour sonder les intentions de cette dernière, ce qui donne lieu à des scènes totalement improbables et assez désopilantes.  

      Mais Sainte-Croix-les-Vaches, c’est aussi un roman basé sur des scènes d’action qui s’enchaînent à un rythme effréné. Prenons l’exemple du film que Sheila tourne sur le village. Alors que l’équipe est occupée à filmer Joël sur son tracteur, ce dernier vient percuter la voiture de Jean-Pierre, l’amant de Sheila, qui rentre chez lui bien mal en point. 

      Par ailleurs, l’auteur joue avec les codes du conte de fée. Sainte-Croix-les-Vaches, c’est un royaume dont Thomas est le roi. Il espère que Sheila finira par accepter d’en être la reine. Et les chapitres s’enchaînent selon des titres qui finissent par raconter une histoire que voici :

« Quelques jours plus tôt », « Des années auparavant »", « Dans une contrée oubliée », « Les loups avaient régné en maître », « Car c’était un pays sauvage », « Que les habitants avaient déserté », « Et le roi n’avait pas d’héritier », « Alors le diable s’en mêla », « Et la montagne en trembla », « Il y a des éclairs », « Mais on ne les voit pas », « Et tout le monde espère que le ciel », « Oublie de nous tomber sur la tête », « Et que le soleil continuera de briller longtemps ».

      Cependant, cette légèreté n’est qu’apparente. Le roman propose aussi une satire des milieux politiques, notamment des élus parachutés dans une région avec laquelle ils n’ont aucune attache (ici, en ce qui concerne Sheila, une soi-disant grand-tante) et qui veulent tout chambouler pour satisfaire leurs ambitions électorales. En effet, le film tourné par Sheila est agencé pour servir leurs discours basés sur le concept de « permaculture sociale » et les idées à la mode en matière d’écologie : le bio, le développement durable et la revitalisation du territoire.

      Par ailleurs, le roman met en scène le choc de deux mondes qui s’opposent : d’une part, celui de Sheila – c’est-à-dire les milieux politiques et ceux du pouvoir - d’autre part, celui de l’agriculteur Thomas qui ne jure que par le repli sur soi dans le petit territoire dont il est le roi : « pour vivre heureux, vivons cachés ».

      Enfin, Sainte-Croix-les-Vaches critique aussi les politiques en place qui mènent le monde agricole à sa perte et conduisent à la désertification, à l’utilisation des pesticides, à l’endettement des paysans qui doivent investir et se diversifier (ici, de manière humoristique, Thomas diversifie sa production en cultivant du cannabis). Et puis, il faut aussi compter avec tout ce que la modernité peut apporter comme nuisance ; ainsi, il est question d’une nouvelle route qui saucissonnerait les Causses pour permettre le transport plus rapide du lait vers l’usine Lactalis. Quant aux nouveaux habitants destinés à redynamiser le village, ils n’ont rien à voir avec les activités locales : il s’agirait d’intellectuels venus en retraite.

      Reste à dire que le roman est écrit dans un style vif et alerte. Pourtant, malgré tous ces compliments, si j’ai assurément aimé Sainte-Croix-les-Vaches, c'est quand même sans plus. Il faut dire que je ne suis pas une inconditionnelle des histoires déconnantes basées sur l’absurde.

       Malgré tout, je vais sûrement lire la suite de Sainte-Croix-les-Vaches intitulée :Le retour d’Horace.