LECTURES VAGABONDES

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Timothy Findley : Pilgrim / Pile-poil

         

           Aujourd’hui, je vous emmène à la rencontre d’un ovni littéraire avec ce roman signé Timothy Findley, intitulé Pilgrim. Le roman parait en 2001 en France aux éditions du Serpent à plumes. Autre information, capitale pour certains : il comprend 823 pages.

 

             Nous sommes en 1912, à la clinique Burghölzli – Zurich – Suisse. Monsieur Pilgrim vient d’y être interné. L’homme vient de ressusciter après une énième tentative de suicide (par pendaison, cette fois) et est devenu mutique. Il est accompagné par une amie nommée Sybil Quatermaine. A l’hôpital, deux médecins se disputent le cas Pilgrim : le professeur Furtwängler, psychiatre classique, qui pense qu’il faut tenter par tous les moyens de ramener le fou dans le monde normal, et le professeur Carl Gustav Jung, plus proche des théories freudiennes. Sybil Quatermaine, persuadée que Jung peut guérir Pilgrim, met à la disposition du docteur les journaux de ce dernier. C’est ainsi que Jung part à la découverte de ce mystérieux patient mutique. Le premier journal transporte le docteur Jung au XVème siècle, à Florence, à la rencontre du célèbre Léonard de Vinci. Celui-ci, en pensant être face à son amant, se retrouve en fait devant Elisabetta Gherardini, la sœur jumelle de ce dernier. Furieux, il la viole. Lorsqu’il a peint La Joconde, c’est le visage d’Elisabetta – ou de son frère jumeau – qu’il a représenté. Puis Jung décide de laisser à sa femme le soin de lire les journaux et de lui en faire un compte-rendu. Celle-ci tombe sur le récit d’une rencontre avec Oscar Wilde dans un bordel, au moment où ce dernier va être jugé et emprisonné pour délit d’homosexualité. Puis, c’est Thérèse d’Avila qui apparait dans le journal de Pilgrim. Avant de devenir celle qui intercède par la prière auprès de Dieu, elle a refusé de prier pour qu’un jeune berger boiteux, Manolo, retrouve l’usage normal de ses jambes ; elle méconnaissait alors son pouvoir. Cependant, les événements se précipitent à la clinique Burghölzli : Pilgrim retrouve la parole et affirme être éternel ; il veut mourir car il est las de vivre. Cependant, son amie, Sybil Quatermaine, trouve la mort lors d’une sortie en voiture. Mystérieusement, avant de mourir, elle a écrit une lettre pour Pilgrim dans laquelle elle dit avoir eu prémonition de sa mort. Puis c’est au tour de la comtesse Blavinskeya de mourir : elle se suicide. Sa mort ébranle fortement le docteur Jung qui considère celle-ci comme un échec. Par ailleurs, Emma, l’épouse de Jung, surprend son mari en fâcheuse posture avec sa maîtresse. Sous le choc, elle fait une chute, perd l’enfant qu’elle attendait, et décide de poursuivre désormais sa vie en parallèle de celle de son époux. Cependant, elle continue de lire les journaux de Pilgrim. De son côté, Pilgrim, alors qu’il a une vision du futur (un aéroplane) comprend que la mort ne veut toujours pas de lui et pique une crise de violence qui l’enverra à l’isolement pour quelques temps. Cependant, à sa sortie, il décide de s’occuper des pigeons qui vivent sur le balcon de sa chambre… ce qui donne une fantastique idée à son valet : Forster, resté hors de la clinique. En effet, ce dernier épie son maître à la jumelle et n’a qu’une envie : lui permettre de s’évader de cette clinique qui s’apparente à une prison. Grâce aux pigeons messagers, les deux hommes communiquent et mettent au point un plan d’évasion. Lorsque Pilgrim retrouve sa liberté, en compagnie de Forster, il part pour la France… Son objectif : dérober et détruire la Joconde. Puis, c’est à la cathédrale de Chartres qu’il s’en prend (dans l’une de ses vies, il a contribué à la réalisation du joyau de la cathédrale : un vitrail qui représente Marie et l’enfant Jésus). C‘est en détruisant ces œuvres d’art qui ont un rapport avec ses vies antérieures (n’était-il pas Elisabetta Gherardini, le modèle de l’impérissable Mona Lisa ? En détruisant ce tableau, il pourra enfin mourir, pense-t-il). Voilà donc Pilgrim qui disparait dans une rivière, au volant d’une voiture, lors de son périple avec Forster. Après la disparition de Pilgrim, Jung continue à être hanté par ce mystérieux patient. Usé par ce qu’il considère comme un échec, il se radicalise ; ses collègues ne le comprennent plus. Il est persuadé de posséder le don de prescience, tout comme Pilgrim avait pu l’avoir.

 

          Avec Pilgrim, Timothy Findley signe un roman plutôt déconcertant mais cependant nullement désagréable à lire.

          L’action de Pilgrim se déroule dans un huis-clos assez étouffant : une clinique psychiatrique de luxe, perdue dans les montagnes suisses, en 1912. A l’époque, le monde de la psychiatrie est secoué par les thèses de Jung et de Freud. Et justement, le docteur Carl Gustav Jung sévit dans la clinique Burghölzli parmi d’autres médecins qui affichent une approche plus classique de la psychiatrie. La position de ces derniers vis-à-vis de la psychiatrie témoigne d’une grande incompréhension de la folie puisqu’ils se bornent à vouloir ramener ceux qu’on qualifie de fous dans le monde dit normal. Jung, de son côté, tente de pénétrer le mystère de la folie, de le comprendre et de l’accepter. Cependant, ce n’est pas chose facile et très vite, il a l’impression de tourner en rond dans ses discussions avec Pilgrim. Quant aux journaux de ce dernier, il s’en désintéresse bien vite et confie à sa femme le soin de les lire et de les lui résumer. Ainsi, le portrait que le roman nous livre de Jung est-il assez négatif. Il n’est qu’un bourgeois empêtré dans ses misérables problèmes conjugaux, machiste (pris en flagrant délit d’adultère, il accable cependant sa femme), qui prône l’écoute des malades mais qui ne met pas ses théories en pratique. Par exemple, lorsque Pilgrim fait une violente crise, Jung le met à l’isolement pendant plusieurs jours, le contraignant à lui révéler ce qu’il a envie d’entendre. Pourtant, lorsque Pilgrim disparait, Jung va entrer dans une profonde crise et finit par se remettre totalement en question au point de frôler lui-même la folie. Lorsqu’on lit la biographie de Jung, on apprend que c’est dans les années 1910 qu’il entre en dépression et qu’il se démarque de Freud pour fonder sa propre théorie sur la psychologie analytique. Ainsi peut-on concevoir le personnage de Pilgrim comme le fruit de la profonde remise en question de Jung sur lui-même : Pilgrim n’est-il pas le sujet des rêves de Jung ? En effet, Pilgrim s’attribue le don de prescience, question qui, pour Jung, est cruciale dans la dépression dans laquelle il plonge.

          Cependant, dans Pilgrim, on rencontre bien évidemment l’énigmatique personnage de Pilgrim – en français : pèlerin. Il se présente comme un homme qui a vécu à toutes les époques de l’Histoire, un homme fatigué, qui veut mourir mais que la mort refuse d’accueillir. Pilgrim est-il fou ? Est-ce dans ses rêves qu’il entrevoit les personnages historiques présents dans ses journaux ? A-t-il accès à une vérité interdite aux gens qui ne seraient pas élus de dieu ? Il faut dire que l’immortalité est à la base de toutes les religions : immortalité de l’âme, réincarnation… sont des mots pour certains, des croyances pour d’autres. Par ailleurs, on peut lire Pilgrim comme une fable, un conte fantastique ou encore comme un roman historique qui aurait comme objet la psychiatrie au début du XXème siècle. Ainsi Pilgrim offre-t-il plusieurs niveaux de lecture, plusieurs niveaux de compréhension ou d’interprétation.

          Enfin, dans Pilgrim, on voyage aussi dans le temps à la rencontre de grands personnages historiques dont un portrait inédit est ici livré : Léonard de Vinci, un artiste homosexuel, assez infréquentable et détestable (il viole la sœur jumelle de son amant) ; Thérèse d’Avila, une femme toute de sensualité pétrie, attirée par le beau Manolo, bien loin de la religieuse et de la sainte qu’elle deviendra. Aussi, la plupart du temps, les portraits des personnages historiques que Timothy Findley a conçus sont-ils à contrecourant de ce qu’on pense communément d’eux.

          Ainsi, le roman Pilgrim ne manque-t-il pas de cachet. C’est un tour de force de l’auteur que d’avoir réussi à intéresser le lecteur avec un sujet aussi ingrat et déroutant que celui des théories de Jung et son approche de la psychologie analytique. Certes, Pilgrim ne me fera pas faire un incontournable pèlerinage dans l’œuvre de Timothy Findley, mais ce roman constitue néanmoins une première étape prometteuse et agréable dans la découverte de cet auteur. 



14/05/2023
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