Amélie Nothomb : le fait du prince / souveraine Amélie !
On admirera en premier lieu la couverture du livre qui traduit ma longue traversée du désert sans ma visite mensuelle à la bibliothèque de Villeneuve d’Ascq en travaux depuis plus d’un an et désormais rouverte : voici Amélie Nothomb et le fait du prince, paru en 2008 chez Albin Michel, et voici aussi le roman qui inaugure le grand retour des véritables lectures vagabondes dans une médiathèque qui dispose d’un fond inouï et la possibilité d’emprunter 20 livres pour un mois (petite pub au passage pour la médiathèque de Villeneuve d’Ascq). Entrée en matière déroutante, non ? Normal ! On est chez Amélie-Amélo Nothomb, la belge déjantée et assez géniale… un peu moi, donc ! Hum !
Olaf Sidul décède brutalement chez Baptiste Bordave alors qu’il est en panne de voiture et qu’il désirait juste passer un coup de fil chez un garagiste. Ni une ni deux. Baptiste – prêt à tout pour changer de vie - décide de laisser le cadavre pourrir tranquillement chez lui, s’empare des papiers d’identité de ce dernier et vogue la galère… direction : la vie d’Olaf Sidul. Bizarre, bizarre : la voiture n’est pas en panne ; c’est une superbe jaguar qui mène notre héros dans une magnifique villa où la femme d’Olaf, Sigrid, accueille très chaleureusement Baptiste – désormais Olaf – et sans poser de question lui offre une hospitalité copieusement arrosée de champagne. Commence, pour notre héros une vie d’oisiveté et de paresse, faite de conversations champagnisées avec Sigrid, de siestes et de gros dodos… et d’interrogations, car des faits déroutants perturbent un peu cette douce tranquillité. Qui était Olaf Sidul ? Pourquoi Sigrid ne pose-t-elle aucune question sur la présence du nouvel Olaf ? Qui est-il sensé être pour qu’elle ne s’offusque pas de sa présence chez elle ? Un amant d’Olaf ?
Avec sa légèreté, son brio et son sens de l’humour habituel, Amélie Nothomb nous emmène dans un univers déroutant, mystérieux, fantastico-fantaisiste, un univers que le lecteur veut comprendre, dont il veut élucider le mystère, dont il espère que l’auteure apportera la clef à un moment ou à un autre – fichtre ! C’est mal connaître Amélie ! – un univers où plusieurs pistes qui constituent plusieurs niveaux de lecture s’entremêlent et s’embrouillent les unes dans les autres.
Tout débute par une mystérieuse conversation, lors d’une réception où un inconnu donne des conseils pratiques à Baptiste : comment se débarrasser d’un cadavre encombrant. Le lendemain, Olaf décède chez lui, et avant de prendre son identité, Baptiste reçoit un mystérieux coup de fil d’un caviste inconnu concernant une livraison de vin : or Baptiste n’a rien commandé, or Olaf est grand amateur de vin et de champagne. Y aurait-il donc un complot ? Baptiste, se croyant libre de changer d’identité, serait-il en réalité manipulé par un groupe d’agents secrets qui veulent masquer la mort du richissime Olaf Sidul ? Bref, la piste « polar », c’est la première qui s’ouvre au lecteur.
Mais très vite, des éléments troublants viennent perturber la thèse du complot. Baptiste a pris l’identité d’Olaf, il est sensé être mort en tant que Baptiste… et tout un faisceau d’indices laisse le lecteur penser qu’en fait Baptiste est réellement mort et qu’il est dans une sorte de paradis terrestre transitoire : la villa. D’ailleurs, la jaguar, la villa somptueuse avec la magnifique Sigrid qui se pinte au champagne à longueur de journée… tout cela fait penser au film de Cocteau : Orphée. La voiture : c’est le passage sur le Styx à bord de la barque de Charon, la villa, c’est la partie Champs-Elysées des enfers de la mythologie gréco-latine.
Et puis, tout s’embrouille, finalement : on ne sait plus qui est qui. Olaf est déclaré mort, Baptiste est déclaré mort. Sigrid n’a aucune identité : c’est une ancienne junkie qu’Olaf a sauvée autrefois. Son nom de famille : Baptiste. C’est la valse des identités interchangeables et on peut voir apparaître un troisième niveau de lecture, plus proprement chrétien : Olaf, c’est Jésus. Sigrid, c’est Marie-Madeleine, Baptiste, c’est Jean le Baptiste… mais quel est son rôle, dans ce roman d’Amélie-mélo ? Un rôle bien confus, au départ, mais qui s’éclaire petit à petit… D’abord, une conversation à demi-mot entre Sigrid et Baptiste laisse entendre qu’Olaf était peut-être écrivain…. Puis, avant de débarquer en Suède, destination finale d’Olaf-Baptiste, petite errance qui n’est pas sans rappeler celle de Thésée dans le labyrinthe de Cnossos… En suède, Baptiste se met à se passionner pour l’art moderne et acquiert des collections d’objets étranges comme autant de témoignages sur la vie, la mort, etc… Selon moi, il s’agit d’une métaphore des évangélistes : Baptiste serait celui qui recueille, sans trop y croire, les témoignages des uns et des autres, à l’instar de Jean, Matthieu, Paul, Luc. Il serait une sorte de condensé moderne, désabusé et inversé des apôtres évangélistes.
Enfin, je vous livre ici ma propre interprétation du personnage, tel qu’il se présente logiquement à la fin de cette très logique œuvre d’Amélie.
Quoiqu’il en soit, le fait du prince est un véritable petit bijou de construction, un labyrinthe passionnant – mais trop court ! - dans lequel le lecteur se plaît à se perdre, puis à retrouver ses marques en suivant un fil d’Amélie de plus en plus ténu ! Un méli-mélo de références bibliques et littéraires, astucieusement et malicieusement imbriquées…
Le seul bémol que j’apporterais à la critique de cette œuvre, c’est cette question : quelle réflexion Amélie Nothomb veut-elle susciter chez son lecteur ? On a quand même l’impression que l’auteure s’octroie le plaisir de faire valser à son rythme, à son gré et avec brio le lecteur, mais pourquoi ? On a quand même l’impression d’une grande gratuité, dans tout ça. Alors, « pourquoi pas ? », me direz-vous. Une œuvre n’est pas forcément là pour décaper, éclairer, faire réfléchir… Le simple fait qu’elle fasse plaisir suffit à son existence et peut-être à sa pérennité. Mais quand même, moi, j’aime quand il y a de la profondeur, quand l’auteur remue un peu les méninges de son lecteur au-delà de la simple construction de l’œuvre : bref, on a ici, une belle architecture d’ensemble, mais l’ossature manque de moelle : l’os est insuffisamment nourri.
Ceci dit, j’ai vraiment beaucoup aimé cette petite virée finale au pôle-nord… climat inversé de celui de la Palestine et nouvelle terre promise pour une nouvelle religion : celle de l’antéchrista Amélie Nothomb !
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