Stephen Vizinczey : Eloge des femmes mûres : un catalogue glacé où érotisme rime avec pudibonderie
Voici un livre qui, depuis sa parution en 2001, ne cesse de rencontrer le succès au point d'être aujourd'hui classé parmi les chefs d'œuvre de la littérature érotique. Son titre : Eloge des femmes mûres écrit par Stephen Vizinczey.
Sans être véritablement adepte de ce genre de lectures, je me suis laissée tentée par un premier paragraphe plutôt prometteur :
« Ce livre s'adresse aux jeunes gens, mais il est dédié aux femmes mûres – et c'est des rapports entre ceux-ci et celles-là que je me propose de traiter. Je ne suis pas expert en pratique amoureuse, mais j'ai été un bon élève des femmes que j'ai aimées, et je vais essayer d'évoquer ici les expériences heureuses et malheureuses qui ont, je crois, fait de moi un homme ».
Andràs Vajda, vieux professeur de philosophie à l'université du Michigan, propose donc d'évoquer son apprentissage de l'amour depuis sa plus tendre enfance jusqu'à l'âge de 25 ans.
Son histoire débute véritablement juste après la seconde guerre mondiale dans de sordides histoires de trafic de prostituées pour le compte de GI installés dans des camps militaires à Salzbourg : une entrée en matière plutôt amusante où notre héros tente désespérément d'amasser assez de cigarettes pour pouvoir monnayer sa première expérience sexuelle. Lorsqu'enfin il parvient au bout de ses peines, il repart bredouille ! Coupé dans ses élans affectifs par une partenaire très professionnelle, et par conséquent, bien pressée d'en finir avec un client un peu trop porté sur des préliminaires pour lesquels il n'a pas payé !
De retour en Hongrie, il rencontre Julika, une jeune vierge de quinze ans, tellement « serrée » qu'il n'arrive pas à la dépuceler. C'est alors qu'il commence à s'intéresser aux femmes d'une quarantaine d'années, mariées et frustrées par des époux qui les trompent.
C'est alors également que commence, dans le lit de notre héros, le défilé soporifique des femmes mûres dont aucun éloge n'est fait, contrairement à ce que prétend le titre. Vajda passe donc assez rapidement d'une première maîtresse qui écarte les jambes, à une seconde qui fait de même et ainsi de suite. D'elles, il ne dresse aucun portrait précis, sinon physique : les seins, les fesses sont les seules caractéristiques qui les différencient. Leur sexe n'est jamais décrit. A croire que ces parties-là n'ont aucune particularité inhérente à chacune. Qui sont-elles ? Quel est leur profil amoureux ? Le mystère reste intact. Un peu dommage pour de la littérature qui se dit érotique !
En désespoir de cause, je me tourne vers le héros et l'histoire de cet apprentissage « qui a fait de lui un homme ». Je n'ai pas compté le nombre de partenaires qu'il a eues, mais à chaque fois, c'est la même histoire : une rencontre, quelques bribes de conversation sans grand intérêt… pour finir par la grande question : où vont-ils faire l'amour ? Vaste débat qui se termine quasiment invariablement dans une de ces chambres sordides de la Hongrie d'après-guerre. Enfin, pour conclure, puisqu'il s'agit-là de littérature érotique, Vizinczey raconte en trois lignes un acte sexuel soporifique.
De temps à autre, on se demande si l'auteur n'a pas plutôt voulu faire le tableau d'une certaine misère sexuelle si largement répandue. Je cite Page 76 :
« Toujours en m'embrassant, elle recula avec moi sur la pointe des pieds vers la chambre au grand lit défait – puis soudain elle s'écarta. « Il faut que je mette mon diaphragme. Et que je prenne une douche. Une douche chaude réveille les sens. »
Mais point du tout ! Il s'agit bien d'expériences érotiques multiples et réjouissantes qui nous sont données à lire ! Les titres des chapitres, sur ce point, ne laissent point place au doute, puisque chacun d'entre eux débute invariablement par la tournure latine « de » (au sujet de) qui prédit un tour exhaustif de la question des femmes et du sexe : quelques exemples en vrac. « Des adolescentes », « des vierges », « des mères de jeunes enfants », « des femmes adultes qui se comportent comme des adolescentes ». Outre la prétention agaçante de tous ces titres, j'ai envie de dire surtout que j'ai bien plutôt eu l'impression de feuilleter un catalogue indifférencié de femmes et de pratiques sexuelles d'une banalité à pleurer : si j'en crois les avis de certains internautes sur le livre… n'attendre aucune sorte d'émoustillement de ce chef d'œuvre de l'érotisme. Ô combien je partage cet avis !
Pour avoir déjà lu dans ma vie un ou deux Sade, quelques pages signées Georges Bataille et autres autoportraits d'hommes en érection, j'aurais cru que littérature érotique rimait avec un peu plus de fantaisie, d'ouverture au fantasme : subtil dosage entre la perversion, le plaisir du jeu, et la transgression d'interdits. Voilà donc qui pose problème… pourquoi avoir classé ce livre dans la catégorie « romans érotiques » ? Ce livre n'a absolument rien d'érotique : il est ennuyeux et donne envie d'entrer au couvent. Je ne parlerai pas des 30 pages - aux relents nationalistes - durant lesquelles Vizinczey nous assène toute l'histoire de la Hongrie depuis le moyen-âge jusqu'à nos jours : un sujet qui semble bien plus l'inspirer que le sexe !
Cependant, notre héros conclut ainsi : « Mais les aventures d'un homme entre deux âges sont une autre histoire ». On imagine bien notre expert poursuivre ses expertises toutes catégories ! On attend donc impatiemment la suite ! « Eloge des midinettes de 20 ans », à moins que notre héros ne fasse dans la gérontophilie, mais là, il nous surprendrait un peu, chose assez inconcevable lorsqu'on arrive à la fin du livre… !
Bref, si je devais sauver ce livre, je dirais qu'il s'agit plutôt du récit pudibond de la vie sexuelle très banale d'un homme qui n'a jamais vraiment rencontré une femme, ni au lit, ni ailleurs. Après tout pourquoi pas ? Le thème ne manque ni d'intérêt, ni de réalité… cependant, si tel était le cas, on aurait quand même eu envie de rire, ou de se désespérer un peu ! Mais l'écriture sans relief de Vizinczey ne parvient qu'à ennuyer.
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