Hitonari Tsuji : Tokyo décibels : quand la musique est … bof, bof, bof.
Voilà encore une de ces œuvres intellectualisantes et plus ennuyeuses que trois jours sans soleil, une de ces œuvres comme il en pullule tant aujourd'hui et que la bien-pensance actuelle interdit de critiquer sous peine de passer pour un débile qui ne sait pas goûter l'élixir suprême du génie « qui n'est pas à la portée de tout le monde » ! Bien entendu, ici, je ne vise absolument personne ! Houellebecq ? Les derniers Toussaint ? oh ! ben ! c'est vous qui le dîtes… Moi, j'aime beaucoup, (voir les articles sur mon blog ! ) vu que je suis d'une intelligence supérieure !
Heureusement qu'il m'arrive de temps à autre de relire Molière… c'est très décomplexant, Molière ! Combien sont-ils savoureux, tous ces Trissotin, ces Oronte, et autres marquis tout autant pédants que ridicules... et par ailleurs aussi grotesques que le public qui s'extasie sur leurs œuvres prétentieuses afin d'avoir l'air d'être de grands penseurs au-dessus de la méprisable moyenne : « je lis Houellebecq, donc j'ai un QI de 500323.5… » ! Heureusement qu'il m'arrive de lire de temps à autre les grands romanciers, les Flaubert, les Maupassant… plus récemment, Milan Kundera (pardon à plein d'autres que je n'ai pas cités)… Grâce à eux, on comprend qu'un vrai roman se doit d'offrir un regard sur le monde, sur l'homme (satirique, désabusé, romantique et tout ce voudra… mais en tout cas, une appréhension du regard sur la vie intime et sociale). Flaubert a-t-il écrit des romans intellos ? Certainement pas ? Flaubert a-t-il écrit des romans intelligents ? Assurément ! Il ne s'est jamais fourvoyé dans un de ces délires nombrilistes – qui sont de tout temps, comme tous les Trissotin et les Pangloss le sont ! - où le « génie » s'exprime seulement à travers l'incongruité du thème abordé…
Ainsi, le thème abordé ici par Hitonari Tsuji dans Tokyo Décibels, paru en 2005 en France, est-il celui du bruit… Sa thèse ? (en voilà encore un de ces romans à thèse… aucun commentaire sur ces romans à postulat qui veulent démontrer une thèse à la con). Décoder le monde intime et sentimental à travers les bruits extérieurs de la ville ! En voilà un truc qui va me prendre la tête pendant à peu près…. 200 pages écrites en assez gros : merci, Tsuji : le martyre fut court (ce qui n'est pas le cas d'un roman de Houellebecq).
Ainsi donc Arata déboule-t-il à travers le métro de Tokyo avec, sur les oreilles un baladeur (volume au maximum) qui lui diffuse dans le crâne du hard-rock… Il n'entend rien des bruits du monde mais savoure cette musique qui correspond à ses vibrations intérieures. Cependant, Arata exerce un bien drôle de métier : il est chargé par la mairie de contrôler les nuisances sonores de son quartier. Son appareil à décibels en main, il parcourt Tokyo. Les bruits le fascinent… il les écoute et leur trouve à tous, sans exception, une véritable poésie ! Très vite, il décide d'établir une carte sonore de la mégalopole… quels sont les bruits qui dominent ici ? là ? là-bas encore ?
Autour de lui : trois personnages. Ikuo, un ami avec lequel, dans le temps, il avait monté un groupe de hard-rock. Ikuo est aujourd'hui accordeur de pianos… Il n'a besoin pour cela que de son oreille. Il a le génie du son. Cependant, autour de lui, sa vie s'effrite : il n'arrive pas à communiquer avec son fils, son divorce se passe très mal. Ikuo boit.
Marika est la maîtresse d'Arata ; elle gagne sa vie en travaillant pour une compagnie de téléphones rose…. Mais sa passion, c'est d'écouter les conversations téléphoniques des autres à travers Tokyo grâce à un appareil qui capte les ondes. De temps à autre, Arata et Mariko se livrent à des séances de voyeurisme acoustique…. Mais aussi à des séances d'un autre type. Avec elle, Arata connaît la jouissance physique, cependant, il n'en est pas amoureux.
La femme qu'il aime et avec laquelle il vit depuis 8 ans, c'est Fumi : mais Fumi est glaciale… entre ses bras, elle n'a jamais joui… Il n'arrive pas à discuter avec elle… Il devine qu'elle le trompe avec un autre homme car il épie son répondeur… et tous les jours, plusieurs fois par jours, il y a cette voix d'homme qui tient des propos très ambigus.
Ainsi, tous nos personnages communiquent-ils bien mieux avec les bruits de l'extérieur qu'avec eux-mêmes et les autres. Car tous nos couples sont soumis entre eux, à l'incommunicabilité des sentiments et parfois même, les mots ne passent pas. Ainsi, tous se noient-ils dans les bruits, les sons, les voix reconstituées par les ondes téléphoniques. Arata, Ikuo, Marika tentent de les comprendre, de les interpréter : les bruits les intéressent d'autant plus qu'ils ont l'impression qu'ils leur révèlent le monde…. Tout en les masquant à eux-mêmes et aux autres. Bref, le grand écart entre la simple communication des êtres qui ne passe plus, et celle – bien évidente ! - avec les bruits du monde qui passe tout à fait ! Bien sûr ! Quand j'entends un marteau-piqueur dans ma rue, je suis en communication avec le monde ! Il y a un type qui bosse en bas de chez moi et qui m'irrite profondément (ce n'est pas le cas d'Arata, amoureux de tous les bruits du monde)…. Quand j'entends une voiture passer sous mes fenêtres, je me dis qu'un type va peut-être faire ses courses, conduire ses enfants à l'école ou alors rendre visite à sa maîtresse…. Bien sûr ! c'est ce que je me dis à chaque fois, qu'une voiture passe vu que j'habite dans une rue très passante ! Je n'arrête pas d'être en communication avec les voitures qui passent ! ça, je vous le dis ! Je suis donc fort aise d'avoir lu ce roman qui m'a appris à questionner les bruits de la ville pour apprendre à communiquer avec les autres… Et bien entendu, il y a un rapport direct entre tous ces bruits extérieurs avec lesquels je communique et les situations d'incompréhension que je peux rencontrer au boulot ou dans ma famille. Il y a trop de bruit très intéressants à écouter alors, comme par un effet de décompression, on se désapproprie de la parole humaine. Fichtre ! On ne peut pas tout écouter !
Ouf ! j'ai terminé ma dissert de philo ! Je suis contente, ça fait beau sur le papier, ça tient debout (enfin, j'espère… j'ai essayé d'exposer la thèse de Tsuji de manière aussi claire que possible… (à vous de voir si elle tient la route : moi, il ne m'a pas convaincue du tout !).
Vous êtes encore là ? Bref, pour dire vrai, je me suis encore plus ennuyée à lire ce bouquin que vous à lire cet article. D'abord parce que la majeure partie du livre est consacrée à l'errance d'Arata à travers Tokyo, à la recherche de sons à évaluer…. L'écriture est extrêmement sèche, sans poésie : volonté sans doute de l'auteur… mais avec un sujet aussi austère, encore aurait-il fallu nous les faire aimer un peu, ces sons…. Vu qu'ils sont la passion du personnage ! On aurait aimé sentir à travers les mots, une vibration… Rien… les décibels de Tsuji sont décidément très plats…. Ce roman est anti musical. Bravo donc à ce romancier, leader d'un groupe de rock japonais, cinéaste et photographe ! Mais on ne peut pas tout faire bien ! La complexité des relations entre les personnages (car il me semble que s'il y a incommunicabilité, il y a blocage, et donc complexité) n'est absolument pas appréhendée…. Et même la complexité du personnage dans son rapport aux sons extérieurs n'est pas traduite… Il erre, écoute, il entend des cloches, ça le ravit mais on ne sait pas pourquoi, il entend des klaxons agressifs, ça le ravit mais il ne dit pas pourquoi…
Bref, un postulat qui ne tient pas debout, une écriture plate, ça se veut complexe mais… on se demande en quoi, vu qu'on ne comprend même pas pourquoi Arata aime tant les bruits agressifs contre lesquels tout être normal porte plainte.
En réalité, pour simplifier ce propos : Tsuji a voulu prendre le contrepied de la normalité ; il a voulu faire une sorte d'éloge paradoxal à la Dom Juan (le talent en moins) : « je vais vous prouver que les bruits agressifs de la vie moderne sont d'une beauté que vous ne soupçonnez pas et qu'ils vous révèlent le monde ». Sur ce paradoxe, il a greffé le thème à la mode de l'incommunicabilité des êtres dans le monde moderne… et c'est là que ça devient délicat ! Comment faire l'éloge du bruit tout en critiquant le silence qui s'établit entre les êtres ? Toussaint, au moins, dans Faire l'amour, fut plus intelligent : il a montré (de manière soporifique) que c'est le bruit qui nous disperse et nous empêche d'être nous face à l'autre… sans cesse distraits que nous sommes par des bip-bip de fax et autres bruits très érotiques de la vie moderne. Eloge du bruit ? Un préalable paradoxal dont le roman de Tsuji n'a pas su tenir la promesse.
Ceci dit, j'ai lu : Hitonari Tsuji ! Ce grand romancier japonais qui a reçu en 1997 le prix Akutagawa (prix littéraire le plus prestigieux japonais) pour La lumière du détroit, et le prix Fémina en France pour Le Bouddha blanc. De quoi en impressionner plus d'un ? Non ?
En conclusion, je dirai : heureusement que je tiens ce carnet de lectures… car il est certain que d'ici deux jours, j'aurai tout oublié de ce fatras sonore. Quant à me targuer de mes lectures, bonnes ou mauvaises... il n'y a qu'ici que je le fais.
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