LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Daniel Pennac : Chagrin d’école/lecture chagrine.


Suis-je donc à ce point masochiste qu’au beau milieu des vacances scolaires d’hiver, je m’inflige la lecture d’un bouquin sur l’école ? Bouquin ennuyeux au possible, qui plus est… Mais il est vrai que l’école n’est peut-être pas le sujet le plus exaltant qui soit. Ainsi donc voici le fameux Chagrin d’école de Daniel Pennac, prix Renaudot 2007, paru cette année-là aux éditions Gallimard. Lors de sa promotion, je me souviens que Pennac disait qu’il s’agissait pour lui de témoigner de son vécu scolaire, vécu de cancre… afin de mieux comprendre la souffrance du mauvais élève.

Disons-le tout de suite, Pennac passe très vite sur ses années d’école en tant qu’élève cancre. Il se désigne d’ailleurs d’emblée comme une exception à la règle puisqu’il vient d’une famille unie, cultivée, bourgeoise, famille où tout le monde est bon élève. Voilà pourquoi il affirme avoir assez mal vécu ses premières années d’échec scolaire. C’est ainsi le premier reproche que je ferai à ce livre : on ne peut ériger un cas particulier et finalement, un profil d’élève assez rare, comme une règle générale… car c’est à sa propre aune que Pennac  entend mesurer la souffrance du cancre !  Je puis vous assurer que certains cancres ne souffrent pas de leurs mauvais résultats scolaires. Que l’école soit pour eux un calvaire, certes, mais ce n’est pas l’échec qui les fait souffrir… c’est le travail qu’ils n’ont guère envie de réaliser, c’est l’ennui de rester vissé sur une chaise pendant des heures à écouter un guignol qui débite des trucs sans intérêt.

Par la suite, Pennac est devenu bon élève : il entend rendre hommage à quelques excellents professeurs qui l’ont pris en main et l’ont aidé à progresser… Il y a Monsieur Untel, Madame Trucmuche… Je ne me souviens plus des noms : peu importe car ça n’a strictement aucun intérêt pour le lecteur. On s’en fiche pas mal des supers profs qu’a eus Pennac, profs qu’il érige comme des modèles. Je ne suis pas convaincue qu’il y ait des profs modèles… En me basant sur ma propre expérience d’élève, je peux dire qu’il y a des profs que j’ai aimés, que j’ai trouvés meilleurs que d’autres, mais les noms que j’avance ne sont pas les mêmes de ceux retenus par telle ou telle copine de classe, qui a préféré un tel, une telle, parce que ci, parce que ça. Donc, avancer des noms… je trouve ça grotesque. En plus, ces personnes n’ont peut être pas envie d’être ainsi mises sur un piédestal dans un bouquin, d’autres trouveront immonde de ne pas y être… Non vraiment, je trouve la méthode fort cavalière et à la limite de la condescendance : « je vous remercie, chers quelques anciens professeurs, pour votre petite contribution au grand génie que je suis devenu ! »  

Maintenant, allons dans la partie la plus énervante du livre : Pennac est devenu professeur, dans une sorte de boîte à bac pour élèves en difficultés… et alors là, messieurs-dames, tout cancre qu’il était, Pennac est devenu un excellent professeur ! Il ne cesse de se tresser des lauriers en énumérant tous les noms des cancres auxquels il a su communiquer la passion de la littérature ! Et puis ses méthodes ! Dieux ! Révolutionnaires ! Certes ! La dictée, la récitation… on le croit aveuglément lorsqu’il évoque ses élèves passionnés se livrer à des exercices gratuits, du travail supplémentaire non demandé, « just for fun » ! Attendez, je retrouve la page qu’on rigole un peu cinq minutes :

« Entre la poire et le fromage, une Caroline (ah non, excusez-moi, Pennac ne se souvient plus vraiment des noms de ses élèves) pointa son doigt vers un Sébastien :

-       Défi : je veux le premier  paragraphe du 3, la deuxième strophe du 11,  la quatrième du 6 et la dernière phrase du 15.

Le Sébastien défié assembla mentalement le patchwork qu’il récita presque sans hésitation comme un texte unique et biscornu. Puis il lança son propre défi :

-          A ton tour, envoie-nous Le  Pont Mirabeau.

Il précisa :

-          A l’envers.

-          Facile.

Et voilà qu’à mes oreilles stupéfaites, sous le pont Mirabeau, la Seine se mit à remonter son cours, du dernier vers au premier, jusqu’à disparaître sous le plateau de Langres. Satisfaite, Caroline lâcha le nom de l’auteur : Erianillopa !

-          Et  ça monsieur, vous savez le faire ? »

Bon allez ! Je ne sais pas à quelle race d’élèves-cancres Pennac avait affaire. Enfin, ce sont ses méthodes qui produisent cet effet-là ! Il faut le savoir ! J’ai un peu l’impression d’être sur la planète Mars, lorsque je lis ce genre de trucs, mais enfin !  Tant mieux si Pennac a réussi à passionner ses élèves en leur faisant apprendre par cœur des textes ! En tous cas, moi, son bouquin, il ne m’a guère passionnée !

Après l’énervant, passons à l’horripilant. Pennac  se targue d’expliquer ci et ça du mécanisme de l’échec comme un grand monsieur « je sais tout » qu’il est. Cependant, son édifiante pensée, on peut aussi l’entendre dans les salles des profs : quand on ne sait pas quoi se dire, le matin devant la machine à café, on aligne les poncifs sur les familles qui démissionnent, la société toute grise, l’avenir bouché pour la jeunesse, la télévision, les ordinateurs devant lesquels les gosses restent vissés jusqu’à pas d’heure… On peut aussi, d’ailleurs, entendre ce genre de réflexion dans les cafés du commerce. Bref, une pensée on ne peut plus convenue, très générale, qui incrimine tout et n’importe quoi sans aucune efficacité. Tout ça ne justifie pas tant de haine, me direz-vous ! Si ! car le ton adopté est plus qu’insupportable ! Il y a une telle suffisance dans ces propos ! Une telle prétention affichée d’expliquer « tout bien comme il faut » à ce pauvre lecteur crétin qui lit ce bouquin… que… fichtre ! J’ai bien failli envoyer ce bouquin dans la catégorie « Poubelle »! C’est là qu’on met les trucs qu’on n’a plus envie de voir traîner à la maison. Ainsi, voilà comment Pennac répond à celui qui se plaint de la grossièreté des jeunes de banlieue.

« Là, là, calme-toi, tu sais, le pauvre parle fort, c’est une de ses caractéristiques, un invariant historique et géographique, il parle fort depuis toujours et dans le monde entier, il parle d’autant plus fort qu’il est entouré de pauvres, le pauvre, et qui parlent fort eux aussi, pour se faire entendre, comprends-tu ? Le pauvre a la cloison mince. Il jure beaucoup, c’est vrai, mais sans penser à mal, rassure-toi, et plus la pauvreté descend vers le Sud, plus le pauvre jure sexuel, voire religieux, voire les deux ensemble,  mais naturellement pour ainsi dire, parce qu’il ne t’a pas rencontré sur sa route pour lui faire observer que c’est mal ».

Voilà le ton que globalement, l’auteur emploie pour « bien tout expliquer comme il faut »… Avec cette prétention insultante, tout autant pour les « bien-pensants » que… pour les « pauvres »  dont ce gros bourge de Pennac te fait l’explication de texte sans aucun complexe… sans doute peut-il le faire plus qu’un autre ! Pendant cinq ans, il fut un cancre ! (il faudrait cependant voir ses bulletins scolaires : ils ne sont pas fournis avec le livre). Si j’ajoute à ça que Pennac, ce super professeur passionné par son boulot… n’enseigne plus, bien évidemment… Non, il a décidé de priver l’école de la République - qu’il porte aux nues -  de son très précieux talent de professeur ! Aujourd’hui, Pennac vit de l’écriture ! Je ne lui jetterai certainement pas la pierre sur ce coup-là, mais alors, il ne faut pas venir raconter qu’enseigner était pour lui une passion… On ne se prive pas d’une « passion » quand, en plus, elle permet aussi de gagner sa vie !  Je passe également sur le fait de se faire du fric avec un sujet à la mode : l’école, l’échec scolaire… Entre les murs de François Bégaudeau a précédé de peu Chagrin d’école… avec au moins un peu plus de franc-parler ! Oui, le moins qu’on puisse faire pour l’école, quand on l’aime tant, c’est d’écrire un bouquin intéressant sur elle… Ce n’est pas le cas de chagrin d’école qui n’apporte rien au sujet, n’amuse guère - au contraire – sert surtout à l’auteur à se mettre en valeur, lui, et lui seul : un comble pour un ancien cancre qui veut défendre les cancres !

Allez, disons que ce bouquin n’a aucun intérêt… Heureusement pour Pennac, je suis une prof moderne, indulgente : j’estime qu’on a le droit à l’erreur, à une petite baisse de régime, à une panne d’inspiration… voilà pourquoi je relègue Chagrin d’école dans la catégorie des pauvres petites choses insignifiantes, sans intérêt, sans grand danger non plus… ces choses qui suscitent l’ « ennui » et qu’on oublie vite pour cette raison. Cependant, je terminerai sur un message d’espoir et de réconfort pour Pennac : s’il ennuie son lecteur lorsqu’il parle d’école, n’oublions pas qu’il a su passionner les élèves… et puis, il y a son œuvre romanesque que je compte bien lire cette année… On verra bien, donc !  



02/03/2010
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