Daniel Pennac : Monsieur Malaussène / Malaise chez les Malaussène
« Tout vient à point à qui sait attendre », c’est ainsi que j’ai envie de me dédouaner du peu d’enthousiasme que j’ai mis à poursuivre la saga Malaussène après la lecture du décevant La petite marchande de prose. Et ce n’est certainement pas le Monsieur Malaussène - écrit par Daniel Pennac en 1995 et paru aux éditions Gallimard - que je viens de m’enfiler qui va me réconcilier avec l’ex-truculente bande Malaussène du Paris-Belleville !
La petite famille Malaussène déménage – tout en restant dans son quartier originel, Belleville - et s’installe au Zèbre, un vieux cinéma de quartier tenu par Suzanne, farouchement attachée à l’existence de ces établissements typiques. En effet, la petite famille s’apprête à s’agrandir puisque Julie – la copine de Benjamin, héros de la saga - est enceinte. Cependant, un grand événement doit se produire au Zèbre : Job et Liesl, les concepteurs du Film Unique ont décidé qu’après leur mort, une seule représentation serait donnée de ce dernier, et que celle-ci aurait lieu au Zèbre, devant un public choisi par Julie, à qui le film est légué. Cependant, au moment de récupérer le film dans la maison de Job et de Liesl, une explosion meurtrière se produit. En même temps, des prostituées sont mystérieusement assassinées ; toutes ont un point commun : elles sont tatouées et leur peau a été soigneusement découpée. Bien évidemment, c’est Benjamin, le bouc-émissaire professionnel, qui sera accusé du trafic de peau humaine, de l’explosion criminelle, bref, de tous les maux ! En effet, une prostituée répondant au doux nom de Marie-Ange dénonce notre héros comme étant le commanditaire de toutes ces affaires… avant la révélation finale : c’est un dénommé Sinclair – un personnage qui ressurgit du premier tome des aventures de Benjamin Malaussène, Au bonheur des ogres – qui a monté tous les traquenards ; motif : il hait tellement notre Benjamin qu’il a voulu le mettre dans une totale panade et si possible, en prison pour toujours. Cependant, comme d’habitude, le méchant sera châtié et toute la famille – qui vient de s’agrandir du bébé de Julie et de Benjamin (qui sera prénommé et nommé Monsieur Malaussène) - se retrouve pour un happy-end !
Rien ne va plus dans la saga Malaussène ! En effet, j’ai trouvé que cet opus était extrêmement fastidieux à lire, confus, verbeux, mal construit, inintéressant.
Commençons par l’intrigue. Très longue à se mettre en place, elle démarre par une blague imaginée par les Malaussène pour mettre à mal les travaux de saisie d’un huissier nommé Maître La Herse, par les conseils et les ratiocinations de Benjamin adressés au ventre de Julie dans lequel pousse la graine Malaussène, par la présentation de moult personnages qui n’auront aucun intérêt par la suite… Bref, ça patine sec dès le départ. Lorsqu’enfin le premier cadavre dépecé est découvert, Pennac nous entraîne dans l’histoire sans intérêt d’un film à récupérer afin de le diffuser pour une séance unique … Bref, Pennac multiplie les fils qui doivent se recouper à la fin, mais pour le coup, aucun n’arrive à susciter l’intérêt du lecteur. Et pour corser l’épreuve que constitue la lecture de ce roman, Pennac se lance dans des digressions pénibles, verbeuses, pétries d’égotisme : par exemple, en route pour récupérer le film de Job et de Liesl, Benjamin et Julie font le tour des caves à vin en Bourgogne ; je suppose qu’ils ont bien pris leur pied, à biberonner des litres de bon pinard, mais… pour le lecteur, s’il vous plait ? Et bien, pour le lecteur, ce sera autant de leçons d’œnologie sans intérêt pour le déploiement de l’intrigue… Certes, pour Pennac, c’est une manière de montrer au lecteur qu’il s’y connaît, dans le domaine du vignoble, mais le lecteur se fiche comme de l’an quarante des manifestations égotistes – très pénibles car pleines d’autosatisfaction - de Pennac.
Et puis, cerise sur le gâteau : le dénouement ! Un personnage – Sinclair – parachuté d’on ne sait où - enfin, non, personnage issu d’Au bonheur des ogres, personnage que le lecteur a totalement oublié – s’avère être l’instigateur de tous les problèmes de Benjamin. Son mobile ? Plutôt faiblard, à mon sens. La haine, la volonté de détruire notre bien inoffensif héros : on est loin des grandes motivations idéologiques ou sadiques ou financières qui motivaient les méchants des premiers opus de la saga. Bref, Pennac multiplie les alibis faciles pour masquer son manque total d’inspiration : un coupable extérieur au roman, mais intérieur à la saga… donc, exit la nécessité de peaufiner le personnage du méchant, de lui donner une épaisseur, un profil psychologique, bref, exit le travail de l’écrivain qui s’attelle à offrir à son lecteur un bon polar ; mais par ici la bonne soupe ! La présence du grand méchant est, de toutes manières, cautionnée et motivée par le premier tome de la saga : donc, pas d’incohérence !
Autre ficelle convenue destinée à masquer le vide d’une intrigue totalement creuse, d’une intrigue qui patine, qu’il faut pousser comme un vieux tacot sans moteur : Pennac multiplie les personnages sans intérêt comme Barnaboth le magicien, Lekaëdec, le cinéphile, toute une tripotée d’inspecteurs et de commissaires, j’en passe… oh, oui, qu’est-ce que j’en passe ! On se perd dans cette galerie de portraits mal finis, qu’on oublie aussitôt le livre refermé tant ils sont inintéressants.
Par ailleurs, qu’est donc devenue la fameuse fantaisie de Pennac, déjà mise à mal dans la petite marchande de prose ? Disons qu’ici, elle fait vraiment pitié. Je n’ai pas mentionné, dans mon résumé, les tribulations du fœtus Malaussène. En effet, Julie a reçu une lettre de son ami d’enfance, un médecin : Matthias ; il y a un problème dans le déroulement de la grossesse, il faut avorter. Et Julie avorte… Mais, bien évidemment, c’est Sinclair qui a envoyé la lettre, en imitant l’écriture de Matthias, afin de nuire à Benjamin. Plus de bébé ! Mais si ! Qu’allez-vous donc penser ! Le fœtus, abandonné sur la table d’opération, a été réintroduit dans le ventre de Gervaise, une copine qui passait par là ! Ainsi, le bébé Malaussène voit le jour à la fin du roman. Fichtre ! Inutile de dire que ce tour de passe-passe, je me suis vraiment demandé quelle était sa motivation, inutile de dire que je l’ai trouvé grotesque et pas amusant du tout.
Enfin, nous savons que chaque tome de la saga Malaussène met en lumière un univers particulier : celui des grands magasins dans Au bonheur des ogres, celui de l’édition dans La petite marchande de prose, etc… Dans Monsieur Malaussène, nous plongeons dans le monde du septième art… Enfin, nous faisons « plouf », et ça fait mal… Plonger dans un verre d’eau à moitié vide, bonjour le truc casse-gueule ! En effet, le roman n’offre aucune perspective, aucun regard sur le cinéma et la manière dont il évolue. Le septième art semble être un cadre choisi de manière artificielle, une idée tombée tout droit d’un brainstorming désincarné, destiné à contextualiser une intrigue pénible, poussive, sans réelle inspiration. Et puisque la motivation de toute l’intrigue est un règlement de compte personnel, aucun travers de la société n’est mis en lumière. A la place, Pennac nous saoule de réflexions à deux balles destinées au bébé qui pousse dans le ventre de Julie-chérie, du style : « Je te comprendrais, mon petiot, si tu décidais de ne pas venir au monde ! Il est si laid, le monde ! ». Il nous bassine également avec toutes les papouilles bêbêtes et mièvres de Benjamin : « Ma petite Julie, mon trésor, mon petit sucre, ma petite poupée sucrée… gnangnangnan ». Bref, notre Benjamin ne serait-il pas en passe de devenir totalement idiot ? Il est temps de le tuer, Monsieur Pennac, si vous voulez mon avis. Désormais, il ne vous inspire plus guère !
Ainsi, Monsieur Malaussène est-il sans doute le roman de trop dans une saga qui, déjà, donnait des signes d’essoufflement. Je ne vois rien à sauver dans ce livre qui me fut très long et très pénible à lire car il m’a, dès la dixième page, donné l’impression de tourner en rond. Pour la suite ? Je crois qu’on va attendre un peu, histoire de vérifier un peu l’adage suivant : « mieux vaux tard que jamais ».
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