Sinclair Lewis : Babitt/Un hit d’hier et d’aujourd’hui
Avis aux amateurs de vrais bons romans ancrés dans le réalisme social et l’observation ironique d’individus évoluant dans le milieu idoine ! Dans la veine des grands romans du XIXème siècle, on peut lire cet excellent roman tellement moderne : Babitt, écrit par Sinclair Lewis en 1922 et paru en 2010 aux éditions Stock.
George Babitt est à la tête d’une belle fortune qu’il a acquise dans l’immobilier. Il vit dans une maison confortable dans la ville moderne de Zénith ; il est marié à une femme qu’il aime tièdement et dont il a deux enfants : un garçon et une fille. La majeure partie de son temps, il la passe dans des clubs et des cercles qui lui permettent d’entretenir des relations privilégiées avec des hommes importants. Cependant, comme tout parvenu, Babitt rêve de faire partie d’un cercle plus distingué, plus aristocratique.
Mais finalement, cette vie-là, passée à ressasser des idées conservatrices, est aussi très monotone. Un jour, il découvre que Paul, son meilleur ami, a une maitresse et un peu plus tard, ce dernier est incarcéré pour avoir tenté d’assassiner son épouse. Cet événement déclenche une crise chez Babitt qui se met à vouloir plus de liberté. Il affiche des idées libérales, prend une maitresse, Tanis Judique, se met à fréquenter un cercle dépravé et passe son temps à faire la fête et à s’alcooliser. Cependant, ces nouvelles dispositions inquiètent les cercles que Babitt fréquentait et dont il est de plus en plus mis à l’écart. Ses affaires sont en péril : on préfère conclure des accords avec ses rivaux. Un jour, madame Babitt est hospitalisée pour une appendicite aigüe : l’opération est sans gravité mais Babitt, fou d’inquiétude, rentre enfin dans le droit chemin. Très vite, il reprend avec détermination toutes les croisades les plus conservatrices qui soient tandis que son fils se lance à son tour dans la vie.
Avec Babitt, Sinclair Lewis dresse un tableau assez caustique d’une Amérique conservatrice et capitaliste qui jette les bases de la société de consommation naissante. Tout d’abord, nous pouvons parler du personnage éponyme : George Babitt. Il peut être perçu comme un digne représentant de l’American Way of Life : originaire d’une famille modeste, il a fait fortune dans les affaires immobilières. Certes, il est peu cultivé et affiche une certaine vulgarité ; d’autres diront qu’il a le sens pratique et préfère feuilleter le journal plutôt que lire un livre. Certes, il rêve de pénétrer la souche aristocratique de l’Amérique : celle des McKelvey, par exemple. Mais ces derniers affichent à l’égard des Babittt - qui ont peu de conversation - un mépris dont ils ont à peine conscience. La principale activité de Babitt c’est la fréquentation de clubs dans lesquels il rencontre des hommes importants qui l’amènent à défendre des idées très conservatrices ; les conversations de tous ces hommes très distingués mettent en évidence le racisme, l’esprit de caste et le puritanisme qui animent l’Amérique capitaliste.
Certes, Babitt est un personnage amusant et sous de nombreux aspects, un peu grotesque.
Pourtant, il étouffe dans ce monde très fermé et bien-pensant et lors d’une crise existentielle, il veut s’émanciper ; à ce moment-là, il devient à la fois touchant et pathétique : d’abord parce qu’il tâtonne beaucoup dans le grand n’importe quoi. Il commence par vouloir vivre dans la nature sauvage, par exemple ; puis, il se met à vivre une existence délurée qui ne lui apporte pas le bonheur et qui l’entraine, sous couvert de liberté – dont celle de penser - à promouvoir des idées loufoques ou dangereuses ; il trempe alors dans des dérives évangéliques quelque peu sectaires et illuminées. Mais l’affaire ne dure pas car Babitt n’est pas libre ! Ce monde si brillant et riche dans lequel il évolue est un carcan : ces clubs sont de véritables réseaux clientélistes qui espionnent la vie et la moralité de chaque membre : si tu as le malheur de dévier, tu es ruiné. Le monde des affaires te laissera bientôt tomber et tu ne seras plus rien.
Certes, la plume de Sinclair Lewis, tout en étant ironique et moqueuse, n’est pas, à priori, vraiment méchante car Babitt et toutes les marionnettes qui hantent le roman sont touchants. Pourtant, quand on prend quelque distance et qu’on laisse reposer le roman dans sa tête, on se dit que l’image de l’Amérique qui se dégage de l’ensemble est bien noire et inquiétante car on se demande si les bases de liberté sur lesquelles ce pays prétend s’asseoir sont réelles : en effet, le carcan idéologique qui écrase les personnages font d’eux des marionnettes au service d’un système élaboré pour garder et sauvegarder en son sein les privilèges et l’argent.
En tout cas, cette vision de la famille modèle de parvenus américains est saisissante et très complète car elle cerne un individu dans ce qu’il a de plus intime et de plus profond tout en le plaçant dans un cadre social lui aussi très intimement étudié. Un vrai chef d’œuvre, donc, que ce Babitt de Sinclair Lewis !
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