LECTURES VAGABONDES

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Sébastien Spitzer : Ces rêves qu’on piétine / De ce genre de roman, on rêve….

   

      Des biographies, des romans sur Hitler et autres personnalités du IIIème Reich, sont légions. Par contre, on oublie plutôt les femmes. Pourtant, Magda Goebbels a sans doute compté du fait de sa proximité avec le führer. C’est donc à cette grande ambitieuse que Sébastien Spitzer s’attaque dans un très beau roman intitulé Ces rêves qu’on piétine, roman paru en 2017 aux éditions de l’Observatoire/Humensis.

 

           Nous sommes à la toute fin de la guerre, moment terrible pour tous. Tandis que le IIIème Reich agonise, des marches de la mort ont lieu un peu partout en Europe de l’est. Le roman alterne les chapitres consacrés à Magda Goebbels et à sa fin tragique, et les chapitres consacrés à quelques-unes de ceux ou celles qui se sont transmis les lettres écrites par son père adoptif : Richard Friedländer, un juif déporté en 1941 au camp de Buchenwald.

          Intéressons-nous d’abord à Magda Goebbels. Le roman débute au Konzerthaus pour la dernière manifestation faste du IIIème Reich avant l’ultime étape du bunker. Le roman remonte le temps, à l’époque de la naissance de Magda. Sa mère, Auguste, est bonne à tout faire chez un allemand qui l’engrosse. Une fille nait de cette union : elle s’appellera Magdalena (on l’appellera Magda). L’enfant est éduquée chez les sœurs tandis que sa mère refait sa vie avec Richard Friedländer. Cet homme sera son père adoptif et aimera Magda comme sa propre fille. Il mourra à Buchenwald et les lettres qu’il écrit à sa fille resteront sans réponse : désormais Magda hait les juifs. Devenue femme, elle épouse un Quandt - célèbre famille allemande - dont elle aura un fils : Harald, un fils qu’elle admire et aime plus que tout. Très vite divorcée, elle aura l’occasion de rencontrer Joseph Goebbels qui la fascine. Bientôt, elle s’enrôle comme bénévole au parti national socialiste et épouse Goebbels dont elle aura six enfants. Parallèlement, lorsque le parti nazi prend le pouvoir, elle devient la première dame du Reich car elle a des relations privilégiées avec Hitler. Pourtant, elle doit compter avec les infidélités de son nabot de mari ; le couple Goebbels finira par partager seulement de la haine.  Petit à petit, elle assiste à la décadence du Reich et de son führer qu’elle finit par mépriser tandis qu’elle reste fidèle à l’idéologie nazie et croit en son fils ainé, Harald, pour relever de défi de l’avenir du nazisme. La fin, on la connait : après le suicide d’Hitler et d’Eva Braun, les Goebbels font de même ; mais avant de croquer la capsule de cyanure, elle assassine ses enfants en usant de ce même poison.   

           D’un autre côté, nous suivons un certain Aimé qui participe à une marche de la mort depuis le camp de Buchenwald. Il cache précieusement une série de lettres enroulées dans une pochette de cuir. Cependant, les prisonniers sont enfermés dans une grange à laquelle leurs tortionnaires mettent le feu. Aimé meurt brûlé tandis qu’un certain Judah, récupère les lettres et s’enfuit avec une femme, Fela et sa fille, Ava, tous miraculeusement rescapés de l’incendie. Ensemble, ils tentent de survivre, démunis, dans une campagne hostile. Alors qu’ils reviennent, sans s’en rendre bien compte, à la grange brûlée où un paysan s’occupe de faire disparaître les cadavres, ce dernier tue Judah et emprisonne Fela. C’est Ava qui récupère les lettres. Fela réussit à s’enfuir après avoir tué la servante du paysan qui la retient dans la ferme. Récupérée par une équipe d’américains libérateurs, elle succombe. Ava est toute seule, désormais. Sauf que l’américain Gary est bienveillant… et puis, il y a Lee, une photographe de guerre qui immortalise la débâcle après la libération des camps. C’est à la grange brûlée qu’elle prend des photos des civils qui enterrent les morts. Lorsqu’elle découvre les lettres de Richard Friedländer, elle décide de rouler tambour battant vers Berlin sinistrée pour les donner à leur destinataire : Magda Goebbels. Mais Lee et sa désormais petite fille, Ava, arrivent trop tard : les Goebbels ne sont plus que cendres.

 

          Ces rêves qu’on piétine, c’est un magnifique roman, magnifiquement écrit. L’écriture de Spitzer est assez remarquable ; c’est une écriture assez lapidaire, faite de phrases courtes dénuées de connecteurs logiques, ce qui donne au récit un aspect chaotique à l’instar du chaos qui marque la fin de la guerre et du chaos émotionnel des personnages. De l’ensemble émane une certaine poésie et de ce fait, le roman prend souvent des allures pathétiques ou tragiques. Enfin, Sébastien Spitzer aime utiliser un vocabulaire précis et élaboré et des mots rares sont souvent employés.

          Mais parlons un peu du fond du roman : Magda Goebbels, d’une part. c’est une femme énigmatique, aux origines troubles. Elle a bâti sa vie sur le mensonge qui a consisté à cacher puis à renier ce père juif. Bien plus, lorsqu’il a été déporté, elle l’a laissé tomber. Elle voue un amour sans borne pour son fils ainé, absent ; il est enrôlé dans le parti nazi et mène sa vie loin de sa mère. Ainsi, Magda, c’est une mère délaissée comme elle, en tant que fille, elle a délaissé son père. Enfin, Magda, c’est aussi une ambitieuse. Elle est très fière d’être la première dame du IIIème Reich. Elle épousera Joseph Goebbels peut-être par ambition, même si elle est aussi fascinée par lui. Cependant, cette union finira dans la haine et le mépris ; car c’est, à la fin, ce que Magda ressent pour Hitler et pour son mari Joseph Goebbels. Sa mort est édifiante : elle meurt presque comme des juifs qu’elle déteste : brûlée. Sans sépulture.  

          Le roman nous fait donc également pénétrer dans l’ambiance délétère du bunker duquel tout le monde songe à s’enfuir. En effet, c’est un endroit sombre et humide dont il ne faut pas sortir. Dehors, c’est le désastre, la ruine de toute une ville bombardée. Et puis, il y a ce bruit insupportable qu’on appelle « les orgues de Staline ». Seul témoignage de vie : les enfants de Magda qui jouent avec la chienne d’oncle Adolf : Blondie et son chiot Wolfi. En sourdine, le roman esquisse un portrait d’Hitler ; mais il est relégué au second plan et apparait comme une personne décadente et usée.   

          De l’autre côté, celui de ceux qui sont libérés, il y a la chaine de la mort. Les lettres passent de main en main, comme un témoin lors d’une course de relais. Il faut que le témoignage de l’horreur se fasse entendre ! Ce témoignage, il passe par les lettres de Richard Friedländer qui évoque la dureté des camps et l’amour d’un père trahi par la petite fille qu’il a élevée avec amour. Cet homme a supporté la souffrance morale et physique. Plus on avance dans le temps, plus les lettres sont courtes car celui qui écrit est exténué. La dernière page de ce manuscrit fait défiler le nom de tous ceux qui ont récupéré les lettres et les ont sauvegardé avant de les passer au suivant et de mourir. Ces lettres sont pleines de poésie et de souffrance ; Sébastien Spitzer avoue les avoir inventées.

           Tout comme Magda nous fait descendre dans le bunker, Aimé, Judah et les autres nous emmènent dans l’horreur des marches de la mort qui accompagnent la libération des camps. Les alliés mettent les civils qui savaient face à l’horreur contre laquelle ils n’ont rien fait et leur ordonnent d’enterrer les morts. Avant de s’élancer vers Berlin, la petite Ava et les autres tourneront en rond : leurs pas les ramènent sans cesse vers cette grange où leurs compagnons sont morts brûlés vifs.

            Avec Ces rêves qu’on piétine, Sébastine Spitzer signe un roman fort, empreint de poésie, qui propose un portrait à la fois tragique et violent d’une femme qui reste un mystère : Magda Goebbels, sorte de Médée moderne, celle qui a renié son père, assassiné ses enfants et qui aima bien mal, autant qu’elle fut mal aimée.  



06/11/2022
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