LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Jonathan Coe : La pluie, avant qu’elle tombe/Quand la météo est au beau fixe.

          Ne dit-on pas « triste comme un jour de pluie ? ». Qu’on se rassure ! Le roman écrit par Jonathan Coe et intitulé La pluie, avant qu’elle tombe – paru en 2009 aux éditions Gallimard – n’a rien d’affligeant. Si l’histoire qu’il raconte est quand même un peu triste, le moment de lecture qu’il propose est vraiment délicieux.

 

          Rosamond vient de mourir. Pour sa nièce, Gill, c’est l’heure du recueillement. Par ailleurs, elle est chargée par la défunte de retrouver une jeune aveugle nommée Imogen afin de lui confier une confession enregistrée sur des cassettes audio. Gil et ses filles écoutent la vieille dame raconter trois générations de femmes liées par le sang. Pour ce faire, elle se base sur vingt photos qu’elle décrit minutieusement à la jeune aveugle. L’histoire débute dans les années 40 alors que l’Angleterre est en guerre contre l’Allemagne nazie. La petite Rosamond a été envoyée à la campagne, loin des tumultes, chez sa cousine Béatrix. Les deux enfants se lient étroitement. Elles songent même à s’enfuir ensemble. Plus tard, alors que Rosamond est lesbienne, Béatrix met au monde une petite fille qu’elle prénomme Théa et qui va grandir pendant plusieurs années auprès de Rosamond et de sa compagne Rébecca. Un jour, Béatrix, jalouse de l’amour que sa cousine porte à sa fille, la lui reprend. Devenue adulte, Théa met au monde Imogen, une ravissante petite fille qu’elle rendra aveugle : en effet, Théa maltraite sa fille et un jour, elle commet l’irréparable. C’est cette histoire que Gill est chargée de transmettre à Imogen. C’est Théa qui lui apprend la triste nouvelle dans une lettre : Imogen est morte. Elle a été renversée par une voiture alors qu’elle s’était lancée à la poursuite d’un chien…

 

          La pluie, avant qu’elle tombe est un roman très émouvant et sa construction basée sur l’enchâssement de plusieurs récits aux narrateurs différents n’est pas étrangère à l’élaboration de ce climat tragique. En effet, dans un récit classique où le narrateur se place en position hétérodiégétique, s’enchâsse le récit mené par la défunte Rosamond, alors en position homodiégétique. Ainsi, au cœur du roman résonne la voix de la défunte qui se livre tout en dévoilant des secrets de famille qui auront un fort impact sur ceux qui découvrent ce témoignage. On se souvient à quel point ce procédé fait mouche dans le film de Clint Eastwood : Sur la route de Madison. Peu après la mort de leur mère, un frère et une sœur trouvent des documents appartenant à leur mère et découvrent le récit d’une grande passion restée secrète. Bref, on aime cette construction basée sur l’analepse avec différents narrateurs. Elle crée une attente et une tension chez le lecteur qui, à chaque pause que font Gill et ses filles dans l’écoute des cassettes audio de Rosamonde, n’a qu’une envie, c’est que les trois femmes appuient de nouveau sur la touche « play ». 

          L’autre procédé original, c’est que la narration de Rosamond se base sur des photos du passé qu’elle décrit minutieusement à Imogen, la jeune aveugle. En tout, il y a 20 photos et comme le lecteur est placé aussi dans la position de l’aveugle, c’est avec intérêt qu’il découvre ces photos de famille et l’ensemble prend une coloration nostalgique toute naturelle lorsqu’on feuillette des albums photos de famille. 

          Enfin, si la forme du roman est originale et porteuse de beaucoup d’émotions, le fond est lui aussi assez émouvant. Nous découvrons trois femmes, trois destins qui s’enchaînent avec des points communs qui les relient : Béatrix, Théa et Imogen ont toutes les trois eu une enfance chahutée soit par la guerre, soit par l’abandon ou la violence des parents. Toutes trois souffrent d’instabilité affective et changent plusieurs fois de partenaires dans la vie. La violence s’invite aussi sur le chemin de nos héroïnes ; soit subie, soit infligée : on sait que Théa est suffisamment perturbée pour maltraiter sa fille qui deviendra, de ce fait, aveugle.

          De manière plus troublante, certains faits communs relient ces femmes : le chien qui s’enfuit et qui provoque l’accident mortel d’Imogen, c’est un événement qui était arrivé à sa grand-mère, Béatrix qui en a réchappé. Alors, la question se pose : nos vies sont-elles régies par le hasard ou par la nécessité ?

          Et c’est sur cette question déjà posée par Diderot dans Jacques le Fataliste au XVIIIème siècle, question demeurée sans réponse, que se referme La pluie, avant qu’elle tombe.



25/04/2021
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