Guy de Maupassant : Une vie/ Vive Une vie !
Après Madame Bovary de Gustave Flaubert, je vous propose de découvrir un roman célèbre de Guy de Maupassant intitulé Une vie, paru en 1883 ; en effet, on a souvent tendance à comparer les deux héroïnes.
Nous sommes en Normandie, à la fin du XIXème siècle. Jeanne sort du couvent où elle a reçu une bonne éducation (celle que doit recevoir une fille issue de la petite noblesse de province) et est prête à épouser l’homme qui lui fera ressentir toutes les émotions de l’amour. C’est sur le charmant Julien de Lamare qu’elle jette son dévolu. Mais bientôt, le beau tableau du bonheur conjugal s’assombrit : Julien s’avère être violent et avare. Et en plus, il court la gueuse. C’est ainsi que Jeanne découvre qu’il couche avec sa sœur de lait, la servante Rosalie qu’il met enceinte. Un fils nait de cette union. Malgré la peine de Jeanne, l’affaire se résout et Rosalie épouse un paysan du coin qui reconnaît l’enfant : l’honneur est sauf ! Puis, Jeanne met au monde un fils – Paul - qu’elle surnomme Poulet. Et la vie s’écoule, monotone, entre le quotidien répétitif et les visites chez les Briseville qui deviennent amis des De Lamare. Julien, de son côté, est plus gai et plus facile à vivre. Mais la raison de ce changement, Jeanne la découvre bientôt : il est l’amant de Gilberte de Briseville. La découverte de cette liaison anéantit Jeanne. Mis au courant de l’adultère de sa femme, le comte de Briseville, dans un accès de jalousie furieuse, tue le couple adultère et balançant dans le ravin tout proche de la mer la petite roulotte dans lequel ce dernier convolait. Après la mort de son époux, Jeanne reste veuve tandis que son fils grandit. Les soucis reprennent quand il devient adolescent. Il joue, s’endette, puis fuit en Angleterre avec sa maîtresse, une prostituée. Jeanne poursuit sa vie entre la dépression et les dettes de son fils, dettes qu’elle doit payer. Alors qu’elle est au bord de la ruine, Rosalie revient dans sa vie et l’aide car elle a les pieds sur terre et ne cède pas aux billets de Paul qui réclame de l’argent. Son dernier billet fait état d’une petite fille que ce dernier ne peut assumer alors que sa maîtresse est morte. Jeanne se retrouve dans le rôle de mère pour la seconde fois tandis que peut-être, son fils bien-aimé reviendra au bercail.
Une vie offre d’abord une satire de la petite noblesse provinciale. La pesanteur de ce monde sclérosé dans lequel le temps s’écoule dans une sorte de monotonie glacée est fort bien restituée. Au début du roman, Jeanne et ses parents rendent visite à leurs voisins ; parmi eux, les Fourville, sortes de momies qui vivent dans un château dont les meubles sont couverts de draps. Plus tard, lors du scandale lié à la grossesse de Rosalie, la sœur de lait de Jeanne, on étouffe l’affaire et le curé s’en mêle : puisque le baron – petit père, le père de Jeanne - a commis le même pêché avec des bonnes, on trouve un arrangement avec la morale et on règle l’affaire avec un peu d’argent et un volontaire pour effacer la faute. A la mort de sa mère, Jeanne découvre des lettres d’amour qui lui font mal : même elle, elle n’a pas toujours été bien fidèle à son mari ! Bref, dans cette petite noblesse provinciale qui va à la messe, on s’accommode avec la morale et l’arrivée du père Tolbiac, un intégriste, est très mal vue dans la contrée.
Par ailleurs, le roman offre un portrait de femme dans la veine naturaliste. On compare souvent Emma Bovary et Jeanne de Lamarre ; en effet, on sait que Guy de Maupassant vouait une admiration immense à Gustave Flaubert. Et de fait, les deux jeunes femmes ont reçu la même éducation avec les mêmes effets. Nourries de lectures romantiques alors qu’elles font leur éducation dans un couvent, toutes deux rêvent d’amour et de prince charmant. Par ailleurs, toutes deux, devant la déception de la réalité sombrent dans de nombreuses dépressions. Mais là s’arrête la comparaison. Jeanne, contrairement à Emma, fait un mariage d’amour qui tourne mal. Son malheur vient de ce que son mari s’avère être un homme imbuvable qui la brime quotidiennement. Et puis, c’est ce même mari qui la trompe impunément alors que dans Madame Bovary, c’est Emma, qui face à l’ennui qui l’accable lorsqu’elle est avec son époux, Charles, le trompe avec Rodolphe, puis Léon. Jeanne, devenue mère, voue une passion à son fils tandis que Berthe, la fille d’Emma, est souvent délaissée par sa mère. On le voit donc, la comparaison des deux femmes a ses limites
De manière générale, je trouve le personnage de Jeanne beaucoup moins romanesque que celui d’Emma Bovary. Le roman raconte la vie d’une femme entre illusions et désillusions, une femme victime de l’injustice et de la médiocrité des hommes. Ce parcours est émaillé de bonheurs plus ou moins intenses, et de malheurs, plus ou moins intenses, eux aussi. Jeanne est une femme délicate, au cœur pur ; elle se heurte au monde qui l’entoure, un peu à la manière d’Emma Bovary, il faut le dire.
Enfin, le traitement des dépressions successives de Jeanne sont davantage traitées de manière médicale et on est alors dans la veine naturaliste plus que dans la veine réaliste.
On n’oubliera pas l’évocation très picturale de la Normandie. L’action se déroule non loin d’Yvetot, des arches d’Etretat et Guy de Maupassant nous invite à de nombreuses promenades dans la lande ou sur les bords de mer, et ce, à toutes les saisons, dans des descriptions inspirées de l’impressionnisme.
On a adoré ce roman qui se situe à mi-chemin entre le romantisme mis à distance, le réalisme d’un Flaubert et le naturalisme d’un Zola. On retiendra la dernière phrase du roman présentée comme une sorte de morale finale : «La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit »
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