Pierre Lemaitre : Miroir de nos peines/Un pâle reflet.
Nous voilà au terme de la trilogie de Pierre Lemaitre - Les enfants du désastre - initiée avec le Goncourt 2013 Au revoir là-haut. L’action de ce troisième opus se situe pendant la drôle de guerre et l’exode, en 39-40. Pierre Lemaitre a intitulé ce roman Miroir de nos peines et le publie en 2020 aux éditions Albin Michel.
Dans Miroir de nos peines, nous suivons l’itinéraire de plusieurs personnages pendant les quelques mois qu’ont durés la drôle de guerre et l’exode. Tout d’abord, nous retrouvons Louise Belmont qui travaille comme institutrice et comme serveuse chez Jules, à La petite Bohème. Son rêve est d’avoir un enfant, mais elle ne le peut. Un jour, alors qu’elle sert un habitué du bistrot, le docteur Thiriot lui fait une drôle de proposition : pour le prix qu’elle fixera, il lui demande de se mettre nue devant lui. Louise accepte, mais l’affaire se termine en drame : à peine est-elle nue devant le docteur que celui-ci se tire une balle dans la tête. Après un procès dans lequel elle est innocentée, la jeune femme mène une enquête sur les amours de sa mère et du docteur Thiriot. En effet, Jeanne Belmont a vécu la fin de sa vie en dépression, à fixer la rue derrière sa fenêtre ; le docteur Thiriot, de son côté, s’installait toujours à la même place dans le bistrot de monsieur Jules : de là, il pouvait voir la fenêtre de Jeanne Belmont. A l’époque de leurs amours, le docteur était marié à une mégère : Henriette. Lorsque Jeanne est tombée enceinte de lui, lui et sa femme ont adopté l’enfant que la mère avait abandonné. Henriette a tyrannisé le pauvre enfant, par jalousie. De son côté, Jeanne n’a jamais rien su de son fils, Raoul. Avec monsieur Jules, qui fut amoureux de Jeanne, Louise part sur les routes de France à la recherche de son demi-frère. Justement, ce demi-frère, nous le rencontrons sur la ligne Maginot, dans une forteresse de bêton appelée le Mayenberg. Là, il se livre à de nombreux trafics qui améliorent son ordinaire. Le sergent-chef Gabriel et lui vont être envoyé dans une garnison à Thionville, puis c’est la drôle de guerre et la débandade. Après avoir fait sauter un pont, les deux compères vont se retrouver à errer à travers les routes. Ils seront arrêtés pour pillage et envoyés à la prison du Cherche-Midi. Parce que les troupes allemandes progressent et qu’il ne faut pas laisser des prisonniers à leur portée, ils vont être acheminés d’abord au camp des Gravières, puis au camp de Saint-Rémy. Sur la route, ils réussissent à s’évader et atterrissent dans un drôle de camp improvisé près de la Chapelle Bérault ; à la tête de ce camp, nous trouvons un énigmatique curé : le père Désiré. Ce fameux père est en réalité un mystificateur. Il a volé la soutane d’un prêtre qu’il a trouvé mort sur la route et s’est improvisé curé. Il faut dire que Désiré n’en est pas à son premier coup d’essai : pendant la drôle de guerre, il trafiquait l’information, afin de ne pas démoraliser les Français et leur donner des nouvelles positives du front. Le père Désiré disparaîtra mystérieusement après avoir dérobé l’argent de Fernand. Fernand est le dernier personnage que nous rencontrons dans le roman. Il est policier et son rêve, c’est d’offrir à son épouse, Alice, un voyage au pays des 1001 nuits. L’argent ? Il le dérobe à la France puisqu’il est chargé de surveiller la destruction de billets issus de la banque de France. Au passage, il subtilise un sac. Mais avant d’aller retrouver son épouse à Villeneuve-sur-Loire, il a une dernière mission : accompagner et surveiller une troupe de prisonniers qu’il faut transférer au camp de Saint-Rémy. C’est là qu’il rencontre Raoul et Gabriel. Ils se retrouveront par la suite à la chapelle Bérault où Alice, la femme de Fernand soigne les réfugiés. Reste Louise qui, pendant l’exode se retrouve avec trois enfants sur les bras ! Au terme de sa fuite se trouve la chapelle Bérault où elle rencontre enfin son demi-frère, Raoul.
Ce roman, Miroir de nos peines, clôture la trilogie initiée par le fabuleux Au revoir là-haut. On y retrouve un personnage déjà rencontré dans le premier opus : Louise n’est autre que la petite fille d’Au revoir là-haut, celle qui regardait Edouard Péricourt travailler à ses masques avec son ami Albert Maillard.
On y retrouve également le goût de Pierre Lemaitre pour les époques troubles, propices à tous les trafics. Par exemple, Raoul se livre à tous les trafics possibles pour améliorer son quotidien. Désiré, quant à lui, est un véritable mystificateur. Pierre Lemaitre ressent indubitablement une certaine sympathie pour tous ces personnages un peu escrocs, combinards, futés.
Quant à la période trouble où tous les trafics sont permis, c’est la drôle de guerre et l’exode, en 39-40, car alors la France vit une totale débandade qui bouleverse l’ancien monde.
La ligne directrice du roman peut se résumer en un dicton : «tous les chemins mènent à Rome ». Nos personnages qui se situent au départ aux quatre coins de la France, vont se rencontrer dans le camp improvisé de La Chapelle Bérault… C’est assez peu plausible car alors se retrouvent un frère et une sœur qui ne se connaissaient pas, un mari et son épouse qui s’étaient perdus de vue. Quel hasard ! Il faut dire que Pierre Lemaitre aime aussi l’invraisemblable qui, dans une telle agitation, un tel bouleversement, peut devenir vraisemblable. Après tout, on a bien tenté d’exterminer de manière industrielle tout un peuple dans des chambres à gaz ou par balle… inimaginable, incroyable mais vrai ! Alors pourquoi pas des retrouvailles et des rencontres improbables ?
De plus, malgré la tristesse de cette période plutôt noire, le roman est joyeux. L’écriture est gaie et truculente et joue le décalage avec le fond grave de l’Exode.
Alors bien sûr, on ne retrouve pas ici la qualité d’Au revoir là-haut. Dans ce premier opus, le fond historique était intimement lié à l’histoire des personnages, ce qui n’est pas le cas ici. L’intrigue aurait pu aussi bien se passer lors d’une autre période de débâcle, comme il y en a tant dans notre histoire de France. Par ailleurs, il n’y a pas de satire sociale alors qu’Au revoir là-haut en comportait. Ici, ce sont des histoires individuelles qui se rencontrent sur un fond historique qui forme comme un décor de carton-pâte. Une histoire d‘amour ancienne, des origines à retrouver, un couple séparé, une mère en souffrance qui rencontre des enfants à adopter sur le chemin de l’exode. Voilà pour les différentes intrigues. Le fond historique – l’Exode - se résume à des pérégrinations sans grand intérêt jusqu’au point de chute final.
Cependant, Pierre Lemaitre aurait sans doute voulu que ce fond historique soit le cœur de son roman puisqu’il écrit ceci pour justifier le titre :
« Un immense cortège funèbre, pensa Louise, devenu l’accablant miroir de nos peines et de nos défaites ».
Cette phrase renvoie bien à l’Exode. Mais hélas, cet épisode de l’Histoire n’est pas bien ressenti et Pierre Lemaitre échoue à lui donner la place qu’il aurait mérité dans ce roman.
Il est donc temps que la trilogie s’achève ! On retiendra donc le prix Goncourt 2014 Au revoir là-haut. Pour le reste, les choses vont en se dégradant au fil des romans. On peut passer son chemin en ce qui concerne Miroir de nos peines qui n’est qu’un pâle reflet de ce que peut faire Pierre Lemaitre.
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