Jean-Paul Delfino : Assassins ! / C’est Zola qu’on assassine... ou non
Emile Zola s’est éteint le 29 septembre 1902, asphyxié dans son sommeil par un feu de cheminée. Certains crient à l’assassinat : Zola s’est fait tellement d’ennemis lors de l’affaire Dreyfus que la chose parait envisageable. Cette fameuse nuit où le génie de la littérature trouve la mort est évoquée par Jean-Paul Delfino dans un roman qui parait en 2019 aux éditions Héloïse D’Ormesson et qui s’intitule Assassins !
Cette nuit-là, Emile Zola, de retour chez lui après un séjour à Medan, se couche sans savoir qu’il va vivre les dernières heures de sa vie aux côtés de son épouse Alexandrine. Ailleurs dans la ville, les antidreyfusards, les antisémites, se liguent, complotent, tiennent de grands discours de propagande. Nous allons suivre particulièrement Edouard Drumont, journaliste à la tête d’un journal anti-juif : La Libre Parole. Il a avec lui de grands noms de la littérature - Maurice Barrès, par exemple – mais aussi de fortes personnalités religieuses, comme le père du Lac, un jésuite. Celui-ci commandite un fumiste nommé Buronfosse afin de mettre le feu dans la cheminée du 21 bis rue de Bruxelles, là où vit Emile Zola. De son côté, Zola se sent mal et se demande qui est en train de l’assassiner : sa femme ? La robuste Alexandrine ? Ou sa douce et tendre maîtresse Jeanne qui lui a donné deux enfants ? Peut-être les deux ? Il repense également à son parcours : de fils d’immigré italien persécuté par ses camarades de classe, à l’employé de la maison d’édition Louis Hachette, jusqu’à l’explosion de sa carrière littéraire…. Sans oublier, bien sûr, son rôle dans l’affaire Dreyfus qui agite encore la France. D’ailleurs, à l’heure de sa mort, il porte un regard sévère sur cette affaire. Lui, le défenseur du petit peuple, s’est retrouvé face à lui : une meute rugissante et vomissant un antisémitisme violent. Et puis, Dreyfus ? Un homme voué à l’armée, qui aurait donné sa vie pour protéger celle qui l’a dégradé, l’armée. De l’autre côté, la nouvelle de la mort du grand écrivain se répand. Drumont et du Lac savent à qui s’adresser pour étouffer un scandale qui pourrait renverser la IIIème république – même si l’un et l’autre le souhaitent au plus profond d’eux-mêmes. Ils s’entretiennent avec qui il faut (journalistes, maires, préfets, police…) pour éviter de faire de Zola un martyre. Il faut que sa mort soit accidentelle et c’est ainsi que l’assassinat de Zola devient un simple accident domestique idiot.
Avec Assassins ! Jean-Paul Delfino signe un roman qui malheureusement laisse le lecteur sur sa faim. Certes, ce qui est donné à lire est intéressant, mais n’est pas suffisamment développé. Pourtant, il y a de quoi faire et de quoi écrire !
En effet, ce roman nous plonge dans l’atmosphère de ce début de XXème siècle, une atmosphère putride aux forts relents d’antisémitisme violent. Partout, ces idées patriotiques et racistes enflamment les plus grandes sphères, y compris celles de la littérature (Charles Maurras, Maurice barrés, Léon Daudet), ou encore celles du journalisme (Drumont). Même l’ami de Zola, Paul Cézanne, deviendra antidreyfusard. Des salons comme celui de l’écrivaine Gyp rassemblent tout la fine-fleur antisémite. On y organise des meetings où la parole antijuive se déverse comme un tombereau de fumier.
De l'autre côté, Zola est haï par toute cette clique qui veut sa mort. il est considéré comme un étranger, un fils d'rimmigré italien,un coprophage, une ordure. A l'heure de sa mort, Zola voulait être considéré pour son oeuvre : Les Rougnon-Macquart,histoire naturelle et soiale d'une famile sous le second Empire, et pas comme un élément lié à l'affaire DreyFus.
Cependant, le portrait de Zola manque d’intensité. Jean-Paul Delfino évoque ses premières années, son père, son adolescence et son premier métier : employé dans la maison d’édition Hachette. Mais ensuite ? Plus rien. Zola se réveille et se rend compte qu’il va mourir et s’avère être totalement à côté de la plaque quand il soupçonne sa femme ou sa maitresse de son assassinat. Par ailleurs, il meurt dans ses excréments, son vomi… cette complaisance à évoquer cette mort malodorante est si présent qu’on se demande si l’auteur n’est pas du côté des médiocres, de ceux qui ont assassiné Zola, qui l’insultaient et le traitaient des pires noms d’oiseaux… ou plutôt de tout ce que le répertoire scatologique comporte de vocabulaire.
Enfin, on ne comprend pas bien les motivations des assassins. Certes, Zola est un rouge, un dreyfusard. Il est celui qui a fait éclater l’affaire au grand jour dans les journaux. Mais depuis le procès à l’issue duquel l’écrivain a été condamné, depuis son retour d’un exil de plusieurs années en Angleterre, il n’a plus trop fait parler de lui. Alors pourquoi vouloir l’assassiner ? De plus, ces assassins ne veulent pas faire de scandale, ne veulent pas faire de Zola un martyre. Voilà pourquoi, ils maquillent leur crime en accident domestique. Le mobile, ce serait donc la haine pure ! ? Pour des hommes qui sont aussi opportunistes et veules, c’est difficile à croire ! Je rappelle que la mort de Zola reste un mystère qui fait couler encore beaucoup d’encre. On ne sait s’il s’agit d’un crime ou d’un accident. Jean-Paul Delfino prend parti et bâtit un roman sur la thèse de l’assassinat. Cependant, comme il n’a pas de réelles preuves et qu’il veut quand même faire office d’historien, il a du mal à ficeler son intrigue. Si on a cru à l’accident, c’est que les assassins avaient les relations qu’il fallait au niveau des journalistes et des élus locaux. Voilà l’explication que donne Jean-Paul Delfino au fait que personne n’a cru véritablement que la mort de Zola ait pu être criminelle.
Ainsi, Assassins ! est un roman agréable à lire, qui nous plonge au cœur d’une France rongée par un antisémitisme nauséabond – et on semble l’oublier, aujourd’hui. Cependant, il laisse un goût d’inachevé et l’impression de mal tenir sur ses pattes. Dommage ! En tout cas, Zola peut reposer en paix : Jean-Paul Delfino est loin de lui faire de l’ombre en tant qu’écrivain.
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