Sophie Chauveau : Diderot, le génie débraillé (tome 1 : les années bohème) / Où est passé le génie de Diderot ?
Que diriez-vous de ressusciter, le temps d’un article et d’un livre, le célèbre écrivain du XVIIIème siècle, Denis Diderot ? C’est ce que nous propose Sophie Chauveau qui s’est penchée sur la biographie d’un des plus fameux philosophes des Lumières dans Diderot, le génie débraillé, paru en 2009 aux éditions SW Télémaque. Nous commençons avec le tome 1 : les années bohème qui parcourt la jeunesse de Diderot de 1728 à 1749.
Denis Diderot naît en 1713 à Langres. Cependant, Sophie Chauveau commence le récit de sa vie en 1928. Diderot a 15 ans. Avec la complicité de sa sœur Denise, il prépare son évasion de la demeure familiale. En effet, Diderot a soif d’études, de gloire : il sera Voltaire ou rien. Il ne peut se résoudre à rester à Langres où son destin de futur prêtre est tout tracé. Cependant, la fugue est découverte, mais Diderot parvient finalement à convaincre son père de le laisser poursuivre ses études chez les Jésuites, à Paris. Dès lors, Diderot se lance à corps perdu dans le savoir : latin, grec, littérature… il est le premier partout. Cependant, chez les Jésuites, les étudiants reçoivent des traitements différents selon leur ascendance familiale, leurs richesses. Après une humiliation causée par un de ses comparses issu de la noblesse, Diderot décide de poursuivre chez les Jansénistes. Il découvre les mathématiques, la physique, l’anglais, et se passionne pour toutes ces matières. Cependant, la famille bat le rappel : Diderot a un avenir dans le clergé. La mort de sa sœur, Catherine, le fait renoncer. De retour à Paris, il entreprend des études de droit qui l’ennuient terriblement. Commence alors pour lui une vie de bohème : les maîtresses se succèdent, Diderot fréquente les cafés, les actrices, il aime jouer aux échecs. Son père lui coupe donc les vivres et Diderot doit se débrouiller. Pour vivre, il fait des petits boulots dans lesquels il se montre plus ou moins assidu : écrivain public, précepteur, il rédige également quelques articles pour le Mercure de France. Et puis, un jour, Diderot tombe amoureux fou d’une lingère : Anne-Toinette. Son père voit d’un très mauvais œil la vie de son fils, et surtout, cet amour qu’il juge indigne ; mais Diderot s’obstine : il veut épouser Anne-Toinette. Son père, sur lettre de cachet, fait enfermer son fils dans un cachot. Diderot parvient à s’enfuir. Il retourne à Paris mais doit vivre caché. Il épouse Anne-Toinette et conçoit une fille, Angélique, qui ne vivra que quelques temps. Puis, Anne-Toinette met au monde François-Jacques, le premier fils de Diderot. Pour faire vivre sa petite famille, Diderot se fait traducteur, car les livres anglais sont très prisés chez les intellectuels français. Cependant, le caractère d’Anne-Toinette s’aigrit et Diderot reprend ses amitiés bohèmes ; il rencontre d’Alembert, avec lequel il conçoit le projet de l’Encyclopédie… mais surtout, il rencontre une maîtresse qui va compter : Madeleine de Puisieux qui se pique de culture. Elle l’incite à écrire : un roman libertin (les bijoux indiscrets), L’oiseau blanc, conte bleu, et surtout La lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient. Cette dernière lui vaudra une nouvelle lettre de cachet : 1749, Diderot est enfermé dans le donjon de Vincennes.
Avec Diderot, le génie débraillé, Sophie Chauveau nous livre une biographie très agréable à lire, vivante, et qui permet d’appréhender surtout le caractère de l’homme. Héros éminemment sympathique, Diderot déborde d’énergie, de passion et d’enthousiasme : c’est un travailleur acharné et brillant. Il dort peu, consacre la majeure partie de sa vie à l’étude, aux choses de l’esprit. C’est aussi un joyeux luron, libertin, certes, et fidèle en amitié, domaine également très important dans sa vie. Bref, Diderot fait partie de ceux qui ont un appétit de vivre insatiable et qui brûlent la vie par les deux bouts.
Cependant, je dois bien avouer que je reste un peu frustrée par ce premier tome : si le caractère de l’homme est bien dessiné, il n’en va pas de même pour sa pensée : Diderot, formé par les jésuites, les jansénistes, se détache pourtant de la religion. A un moment, Sophie Chauveau nous indique qu’il hésite entre le déisme, le théisme et l’athéisme. Qu’est-ce qui a fait évoluer son esprit ? Quelles réflexions ? Quelles rencontres ? Quelles lectures ? Le contenu de ses œuvres philosophiques est rapidement évoqué : pourtant, la lettre sur les Aveugles à l’usage de ceux qui voient lui vaudra une lettre de cachet du roi Louis XV !
Ensuite, j’aurais aimé, en même temps que la découverte de l’homme, me sentir plongée au cœur du XVIIIème siècle, au cœur de l’effervescence des Lumières. Surtout lorsqu’il s’agit d’un homme comme Diderot, indissociable de son époque ! Certes, il rencontre Voltaire, Montesquieu, Rousseau, d’Alembert, Fontenelle, et alors ? Aucun portrait de ces hommes n’est brossé, aucune de leurs conversations n’est rapportée. Le roman n’offre, en fin de compte que très peu de scènes destinées à croquer sur le vif un événement important, un personnage autre que Diderot. De la même manière, le fameux quartier Latin où vit Diderot, le Procope où il a ses habitudes, toute la faune qui hante ces lieux ne sont pas ressuscités dans ce roman. Bref, l’ambiance XVIIIème siècle, grouillante, effervescente, haute en couleur, fait singulièrement défaut dans ce premier tome.
Sophie Chauveau nous offre donc une vie de Diderot singulièrement tronquée : sa vie quotidienne prend le dessus sur sa vie intellectuelle. Et encore ! Sophie Chauveau ne s’attarde guère sur les maîtresses de l’écrivain qui n’est libertin qu’en résumé. Bref, une biographie agréable à lire, nerveuse, mais insuffisante au niveau de l’appréhension de l’homme et insuffisante également au niveau de la couleur locale-XVIIIème. On attend de voir la suite !
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