Daniel Pennac : La petite marchande de prose / Pennac fait sa grande braderie…
Je suis bien certaine que vous attendez impatiemment la suite des aventures de la tribu Malaussène, grande saga de la fin des années 80 (remise au goût du jour sur ce blog hyper hype) dont voici le troisième volet édité chez Gallimard : la petite marchande de prose /Daniel Pennac, 1989. Le titre de ce roman est sans doute l'un des plus connus du cycle de Pennac, pourtant, ce n'est sans doute pas le meilleur et j'ai eu l'impression que dans ce volet, l'auteur s'essoufflait à tous les niveaux, sans pour autant sombrer dans l'insignifiance…. M'enfin ! Attention, quand même : affaire à suivre !
Depuis plusieurs années, Benjamin Malaussène est bouc émissaire aux éditions du Talion, maison dirigée par la très charismatique reine Zabo… Cependant, Ben commence à en avoir plus qu'assez de se prendre toutes les insatisfactions du monde dans le nez. Il démissionne. Pas pour longtemps ! Zabo lui propose – pour des raisons publicitaires - de prêter son visage à JLB, auteur de best-sellers à succès, écrivain secret qui tient à rester dans l'anonymat. Cette période de mutation professionnelle s'accompagne de changements familiaux puisque la sœur de Benjamin, Clara, s'apprête à épouser Clarence Saint-Hiver, directeur d'une prison quelque peu originale. En effet, Saint-Hiver s'attache à développer les qualités artistiques des détenus. Malgré tout, le jour du mariage, c'est le drame. Saint-Hiver est assassiné. La police incrimine les détenus : vengeance collective. Le commissaire Coudrier exige de Malaussène - dont le chemin croise décidément toujours le sien - qu'il se tienne à l'écart de l'affaire. Aucun problème ! Benjamin travaille beaucoup à son nouveau job : écrivain bidon de best-sellers à succès… En réalité, c'est un ancien ministre – Chabotte - qui écrit les livres, mais c'est Malaussène qui pose pour les photos, qui réalise les interviews, qui rencontre les lecteurs. C'est lors d'un meeting qu'il reçoit… une balle en pleine tête. Exit Benjamin. Mais l'hécatombe ne s'arrête pas là. Bientôt, c'est Chabotte qu'on retrouve mort, puis Gauthier, un employé des éditions du Talion… Principale suspecte : Julie, petite amie de Malaussène et journaliste. La jeune femme vient mystérieusement de disparaître…
On retrouve, dans la petite marchande de prose, le principe des autres romans : des meurtres inexplicables, aux liens à-priori peu évidents, des événements disparates qui s'organisent et se relient entre eux petit à petit, jusqu'à la résolution finale, des personnages farfelus et déjantés qui cachent une faille ou un secret qui sera progressivement révélé. Bref, tous les ingrédients qui font l'originalité et l'intérêt de la saga familialo-policière des Malaussène sont à nouveau réunis dans la petite marchande de prose…. Et pourtant : la sauce a du mal à prendre.
Il semble bien que chacun des volets de la saga se propose d'explorer un milieu particulier (par exemple : celui des grands magasins parisiens dans au bonheur des ogres), dans lequel on trouve des politiques corrompus qui s'adonnent à des pratiques frauduleuses et financièrement fructueuses. Dans La petite marchande de prose, on plonge dans le milieu de l'édition et des auteurs à succès qui produisent best-sellers sur best-sellers… Le politique corrompu, c'est Chabotte, l'ancien ministre… celui qui est supposé être le véritable JLB. Or, notre pseudo-écrivain est très vite évincé, Malaussène est sur un lit d'hôpital, à moitié mort… On quitte très vite le milieu du livre pour aller… nulle part. On suit Julie (la journaliste qui mène l'enquête pour venger le « meurtre » de Benjamin) qui nous emmène jusqu'à… un détenu de la prison de feu Saint-Hilaire, détenu qui s'avère être le véritable meurtrier… et le véritable écrivain (car Chabotte était lui aussi un usurpateur). Bref : la boucle est bouclée, tous les meurtres sont élucidés et reliés les uns aux autres mais de manière très poussive et lente. Ce roman ne ménage que très peu de rebondissements (qui sont pourtant l'apanage des deux premiers volets : rapides, vifs, étourdissants et imprévisibles). Ici, on finit par s'ennuyer un peu… surtout que…
Les quelques effets de surprise sont malheureusement très prévisibles.
Inconcevable, en effet, d'imaginer Benjamin Malaussène entre quatre planches ! On s'attend à sa résurrection. Comment ? Par quel tour de passe-passe ? Là se situe l'attente du lecteur, attente que Pennec sait satisfaire, d'habitude. Ici… le flop total. Aucune surprise. Alors que Benjamin est cliniquement mort, que le docteur Berthold pille ses organes en douce et songe à le débrancher… un beau jour, il se réveille ! Alors Berthold regreffe tout ce qu'il lui avait pris et roule ma poule ! Tout rentre dans l'ordre. Je sais bien que Pennac n'a pas peur de jouer avec l'incongru, l'inconcevable, le merveilleux… mais il y met d'habitude, une dose de malice, de fantaisie et de virtuosité qui font singulièrement défaut ici : on est dans le grand n'importe quoi sans imagination. Malaussène ne peut pas mourir… eh bien ! Il ne meurt pas. Pas de coup de théâtre, pas de fausse piste. Il est cliniquement mort, et un miracle se produit. Voilà tout. Le coup du miracle… pour auteur en panne d'inspiration.
Outre son manque de rythme et sa propension à l'abracadabrantesque indigeste, le dernier défaut majeur de ce roman est son absence de fond. Avec un sujet tel que l'édition et l'argent qui coule à flot de la production de best-sellers, il était facile de fustiger la mauvaise littérature, les lecteurs qu'on prend pour des gogos, la supercherie des prête-noms, des nègres… Surtout qu'à l'époque de la parution de la petite marchande de prose, on était en plein règne Sullitzérien ! D'ailleurs, les sources d'inspiration du fameux fantoche JLB sont proches de celles de notre fameux Paul-Loup ! Le coup de griffe de Pennac est clair… mais très mal senti. Point de réelle férocité, point de réel coup de gueule, point de réelle dénonciation de tout ce fatras de la littérature commerciale. Dans les deux premiers volets, les figures criminelles étaient bien plus sombres, bien plus antipathiques… Point de salut pour ceux qui exploitent les faiblesses de leurs prochains. Ici, tout est bien gentillet : le monde de l'édition est incarné par l'humaniste reine Zabo, l'ancien ministre Chabotte est insipide au possible, quant au criminel… il a plein de circonstances atténuantes qui en font un coupable sympathique : d'ailleurs, à la fin, le docteur Berthold lui pique tous ses organes pour les refourguer à Benjamin…. Le véritable auteur des best-sellers donne sa vie – et redonne vie - à celui qui prêtait son visage sur les couvertures desdits best-sellers. C'est-y pas mignon ?
Je n'engagerai pas de débat de fond sur les productions « grand public », qu'on oppose farouchement aux productions « petit public », ou aux productions à public ciblé : public rebelle, public intello, public gay, etc…
Il est clair que Pennac ne porte pas trop dans son cœur la littérature qui s'écoule à des milliers d'exemplaires et à force de gros battages médiatiques ; il s'efforce de l'attaquer, donc…. Disons plutôt qu'il lui flanque une petite escarmouche de débutant… Toc ! Même pas mal ! Positionnement ambigu pour un sacré gloubiboulga, cette petite marchande de prose !
Bref, notre Pennac a voulu montrer les rouages de ce monde de l'édition « grand public » sans oser le pourfendre, car finalement, quand on réfléchit bien, même Pierre Boulez ou Hubert-Félix Thiéfaine (je prends des exemples musicaux pour parfaire ma géniale démonstration !) sont des produits commerciaux ! Avec leur petit marketing à eux… plus discret, moins tonitruant… un marketing qui correspond au public qui achète ce genre de disques. Alors ! On ne crache pas dans la soupe quand on s'appelle Pennac… qui se trouve à mi-chemin entre le grand-public et les « zérudits-qui-ne-lisent-pas-n'importe-quoi ». Pourtant, au-delà de l'aspect commercial de toute production, il y a des écrits qui restent, des musiques qui restent…. A qui étaient-ils destinés, au départ ? A des intellos qui n'aiment que les trucs qui se mesurent à l'aune de l'ennui ? A des ploucs qui n'aiment que ce dont on dit du bien sur TF1 ? Si les lois étaient si claires que ça, il n'y aurait pas tant de polémiques autour d'individus comme Houellebecq… - mais ce n'est qu'un exemple qui me vient par hasard à l'esprit. Non, il n'y a pas de loi. Il y a autant d'œuvres populaires géniales que d'œuvres « intellos chiantes et à chier » et vice-versa.
Il est curieux et peut-être édifiant que l'œuvre de Pennac qui me paraît la moins réussie soit justement celle qu'il choisit de placer dans un univers qu'il est censé connaître un peu mieux que le commun des mortels… C'est justement parce qu'il méprise le public qui lit les best-sellers commerciaux (en tant qu'ancien prof de lettres agrégé de la très grande érudition hellénistique et des sacro-saintes antiquités religieuses, je vois d'ici le profil intellectuel du loustic) qu'il prend des gants avec lui et avec tout le système destiné à lui faire gober la pitance… Eh oui, on prend des gants avec ce qui nous dérange et "que dans le fond, on n'en pense pas moins"… Mais faut surtout pas faire croire qu'on ne respecte pas !
Ah ben tant pis, Monsieur Pennac. J'espère qu'on va se réconcilier dans le prochain tome, parce que celui-ci, c'était à la limite de l'ennui. C'était à la limite de vous préférer P.L Sullitzer !
Eh quoi ! Allez ! Monsieur Pennac ! Quand vous dites que les maisons d'édition ont besoin d'un JLB, la pompe à fric et à gogos pour pouvoir publier les grandes œuvres inaccessibles au commun des mortels… (œuvres que vous seuls et vos congénères – les messieurs Trissotin de la culture - sont capables d'apprécier, sans aucun doute), j'ai l'impression d'entendre une vieille rengaine… car oui, j'ai déjà entendu ce genre de truc dans la bouche de très érudites personnes… qui ne se rendent même pas compte qu'en se rangeant dans une tribu (celle des intellos qui de toutes façons ne liront/n'écouteront jamais des inepties commerciales pour débiles), elles font d'elles autant de cibles, et par là-même, autant de gogos à qui on est capable de vendre très cher (positionnement marketing haut de gamme oblige ! - des concerts de Pierre Boulez et des livres de Houellebecq ou de Michon… et bien d'autres inepties ennuyeuses enrobées comme il faut pour que tous les intellos soient bien convaincus de leur intelligence hors du commun.
Ceci dit, reconnaissons qu'on retrouve quand même, dans ce roman, une écriture truculente et des personnages déjà connus et globalement fidèles à eux-mêmes : c'est suffisant pour espérer que la petite marchande de prose ne soit qu'un maillon faible dans la saga Malaussène… Affaire à suivre, donc !
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