LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Philippe Delerm : Il avait plu tout le dimanche… à savourer comme un premier soleil d’Avril.


Eh bien ! Voilà qu'on vagabondant sur les divers blogs littéraires (tant méprisés par le grand Philippe Delerm, qui décidément a oublié qu'il y a quelques années, il s'adonnait encore comme tant d'autres au doux métier de professeur crotté… et puis un jour… Va-t-en savoir pourquoi ? ) Oui, va-t-en savoir pourquoi… Philippe Delerm aujourd'hui, fait la grasse matinée tous les jours dans sa belle demeure normande (non loin, je suppose quand même ! de la ligne TGV qui mène à Paris !) et se targue de ne pas avoir internet chez lui ! Fustigeant ceux qui vivent le nez collé sur un écran et qui ont la formidable sensation de faire partie intégrante du monde ! Mouaf ! Lorsqu'il lui arrive d'écrire… -  ça doit quand même lui arriver, même si ses romans sont ultra-light ! - et qu'il a le nez rivé sur sa page, ou sur son écran… l'esprit taraudé par un mot… Philippe Delerm est sans doute en parfaite adéquation avec la vraie vie ! Autant que moi qui vais lui torcher en 20 minutes chrono un bel article de blog pour faire la pub d'un de ses bouquins…  Trois clics… il sera publié, et je n'y reviendrai pas…

Ainsi donc, je n'ai pas lu le dernier Delerm… hélas ! Quelque chose en lui de Bartleby… attaque en règle contre les blogueurs qui parfois ont plus de succès que les écrivains….

Non, moi, tout simplement, j'ai pris ce qui était disponible à la bibliothèque… plusieurs titres… et celui-là, qui m'a accrochée… Il avait plu tout le dimanche, paru aux éditions mercure de France en 1997.  Bien sûr, même si – je l'avoue à ma grande honte – c'est le premier Delerm qui je lis, je ne débarque pas vierge dans l'œuvre du loustic. Je sais que c'est un écrivain « minimaliste » (encore une théorie en –iste : je ne sais pas si la littérature s'en accommode toujours bien, mais passons), un écrivain qui fait l'apologie des petits bonheurs… un truc à la Amélie Poulain… petits bonheurs à saisir tous les jours… Le grand bonheur ? ah ça ! Le grand bonheur ! On n'ose même pas y penser.

Ainsi donc Arnold Spitzweg est un alsacien, convaincu que là où il faut vivre, c'est à Paris. Il habite au 226 rue Marcadet, en face du square Carpeaux. Monsieur Spitzberg est un vieux garçon, il est employé à la poste… Là-bas, dans son Alsace, il y a très longtemps, il fut amoureux d'une jeune fille : Hélène Necker… mais elle a préféré épouser un autre garçon… Delerm évoque très vaguement et en termes pudiques cet amour raté. Alors, on voit défiler sous nos yeux quelques saisons de la vie d'Arnold Spiztberg, à travers son quotidien au bureau, ses goûts, ses flâneries, son amour tiédasse avec Clémence Dufour… et en même temps… c'est l'occasion pour Delerm d'évoquer l'ambiance croquée « in medias res » de certains quartiers de Paris… Les Buttes-Chaumont, le canal Saint-Martin, les grands boulevards…

Un livre qui aurait donc la saveur d'un dimanche pluvieux ? Pas du tout !  J'ai beaucoup aimé l'écriture mi-ironique, mi-tendre de Delerm… Lorsqu'il se moque de son personnage, de sa petite vie étriquée, de son aspect provincial qui débarque à Paris (et quoiqu'il fasse, il en sera toujours ainsi), Philippe Delerm tient une certaine distance avec ce dernier qu'il nomme Monsieur Spiztberg. Lorsqu'il se laisse attendrir par la poésie qu'il dégage, - car même un vieux garçon aux manies étriquées peut dégager une certaine poésie ! - il le désigne par son prénom : Arnold. Et puis, le livre est un petit bijou d'ambigüités et de non-dits… certes, Philippe Delerm semble faire l'apologie des petits plaisirs… boire un petit noir sur le zinc à 6 heures du matin au moment  où Paris s'éveille, pousser la porte à tambour de chez Chartier, fumer un Ninas et boire de la bière…  Mais… il y a Hélène Necker, celle qu'il n'a pas épousée… et ce titre Il avait plu tout le dimanche : à la fois confortable comme le début d'un Maigret… On se tient au chaud, on est recroquevillé contre la cheminée, et on lit ces mots délicieux par lesquels commencent presque imperturbablement tous les Simenon : Il avait plu tout le dimanche… C'est un peu cette impression qu'on a quand on lit la vie d'Arnold Spiztberg… une vie comme un long dimanche pluvieux, qui le rassure… mais finalement… a-ton vraiment envie d'une vie qui soit comme un long dimanche pluvieux ? Les petits plaisirs s'accumulent les uns derrière les autres… l'autre effaçant la trace de l'un…    

Et puis, il y a ces vers de Francis Jammes dans le dernier chapitre…

« Il va neiger dans quelques jours.

Je me souviens de l'an dernier,

Je me souviens de mes tristesses au coin du feu.

Si l'on m'avait demandé – qu'est-ce ?

J'aurais dit : - Laissez-moi tranquille, ce

N'est rien ».

Et de finir ainsi : Il va neiger dans quelques jours. Le froid donc… Lorsqu'on a passé sa vie à fuir le bonheur, à goûter les petits bonheurs… on est dans le froid, à la fin. Ainsi donc, je ne dirai pas que Delerm soit véritablement l'apôtre des petits bonheurs… Il y a peut-être chez lui de cette sagesse qui vient avec l'âge de la résignation : puisque le grand bonheur est fugace, inaccessible, dangereux… puisqu'il est surtout un rêve… puisque parfois, on n'en est tout simplement pas à la hauteur, qu'il nous fait terriblement peur… Devant toutes nos inaptitudes au grand bonheur : aimons les petits bonheurs simples, ceux qui ne coûtent rien et ne risquent pas de nous briser le cœur et la tête, aimons-les comme autant de bulles de savon qui nous amusent le temps d'un envol… et pleurons un peu, parfois sur toute une vie à n'avoir su ou pu goûter que ça.  Mais n'y pensons pas trop, surtout… n'y pensons pas trop,... ou alors, juste le temps d'une larme, d'un regret, d'un serrement de cœur ... le temps d'une pause, avant de reprendre la vie et ses petits plaisirs...

Une très belle page de Delerm : Arnold Spiztberg n'aura jamais d'enfant :

« Mauvais prétextes, il le sent bien, auxquels une envie franche ne résisterait guère. Mais Arnold, à l'inverse, n'ose s'abandonner à l'idée qu'un enfant eût tout changé dans sa vie. En mieux, en pire ? Monsieur Spitzweg ne veut pas s'avouer que ce pût être en mieux. C'est une idée trop déchirante, qui lui vient aux heures d'insomnie, et qu'il endort avec un Témesta. La vie est redevenue lisse à son réveil. Avant de boire son café, il descend prendre le journal. L'horoscope du jour ne veut prévoir ni bonheur ni catastrophe. »

Bon passons sur cette version un peu noire d'Amélie Poulain…

Je sais que de nombreux lecteurs sont sensibles au côté Amélie Poulain de Delerm : « carpe diem » ! Le bonheur à chaque coin de rue… une chanson de Piaf sifflotée par un clochard, une odeur de frites dans l'air... etc…

Je suis persuadée que Delerm donne une version beaucoup plus noire que celle qui fait sa renommée… Disons donc qu'il propose un remake un peu noir d'Amélie Poulain.

Alors, quand même, je ne vais pas tresser que des louanges à mon nouveau copain Delerm… On pourra souligner quelques relents « bobo-ïstes » dans son bouquin… jusqu'à parfois sombrer dans la caricature… Son personnage de provincial parigot-alsacien vieux garçon, avec ses manies de rangement, de tiercé… Les quartiers dans lesquels il aime se promener sont ceux dans lesquels tous les touristes japonais se ruent… Ah ! Le bon gros cliché bien plouc du Paris-bohème : Montmartre et ses peinturlureurs ! Mais quand même, Monsieur Spitzberg est aussi un peu bobo : il n'aime pas aller à Saint-Trop. Il n'aime pas faire comme tout le monde, alors, il va à Coxyde –disons que c'est un bobo plouc)… Et c'est l'occasion d'une très belle page où le gris du petit plaisir se mêle au gris de la mer du nord… Mais en même temps, c'est un joli gris, et on en a envie,  de ce bon gros pull-over, de cette bonne grosse glace à la pistache-vanille-praline à déguster dans l'air frileux de Coxyde !

« A peine débarqué sur la plage, monsieur Spitzweg se sent chez lui. Il y a bien des gamins courageux qui sortent de l'eau en courant, mais  c'est pour se blottir aussitôt en claquant des dents dans des draps de bain opulents. Tout le monde est en pull, voire en blouson. En plein mois d'août ! Les ventres ici ne ventripotent pas. Chaque homme reste une île, dans son plaisir maritime. De toute façon, monsieur Spitzweg ne se serait pas dévêtu : là n'est pas sa manière. Mais à ne point se dévêtir parmi les presque-nus, on suscite le doute - serait-on bien montrable ? Arnold remercie le vent frais de cette mer du Nord qui dissipe à l'avance l'équivoque. Il est en pull, comme tout un chacun. Comme tout un chacun, il s'achète une glace — vanille, praliné, pistache dont la tonalité s'accorde au sable, au gris-vert de la mer, aux nuages changeants. Tout en marchant, il la déguste avec une laborieuse application, compensant à petits coups de langue les différences de niveau, dans un mouvement circulaire sans défaut. Il s'arrête un instant pour regarder la mer. Vanille-praliné-pistache en pull-over : le bonheur en flamand doit s'appeler Koksijde ».

           Donc, ne méprisons pas non plus les petits bonheurs... Leur poésie, leur authenticité... Heureusement qu'ils sont là.

Mais, attention, Philippe Delerm ! au mélange de caricatures… à vouloir se moquer des ploucs de province qui débarquent à Paris (dont Delerm n'estime sans doute pas faire partie) et des bobos (dont Delerm fait partie… à son corps défendant ou non… je ne sais pas) à travers un seul et même personnage, on finit par fabriquer un Arnold Sptizberg qui n'est pas toujours très cohérent ni très plausible….  

Quoiqu'il en soit… Il avait plu tout le dimanche est un très beau livre… un de ces livres où le désespoir sous-jacent ne se dit pas… un de ces livres qui font quand même un peu mal… mais avec beaucoup de douceur.

 

 



11/11/2009
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