LECTURES VAGABONDES

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Hervé Hamon : demandons l’impossible / on en redemande.


Au printemps 2007, les murs de nos villes et de nos campagnes ont vu fleurir ce beau slogan : « Ensemble, tout est possible ». Douce ironie du sort, c’est Nicolas Sarkozy, grand pourfendeur de l’héritage gauchiste de mai 68, qui a signé l’affiche ! Eh oui, nous étions alors repartis pour demander l’impossible, comme en 68, avec Nico le Rouge ! Mais brisons là. Nous sommes ici pour découvrir le roman-feuilleton de mai 68, Demandons l’impossible, écrit par Hervé Hamon en 2008 et paru cette même année aux éditions du Panama.

Le roman se présente en deux parties qui traitent chacune d’un printemps : Mai 68/Mai 69. Nous suivons la famille Duvergnon au cœur des événements révolutionnaires de Mai 68, puis à travers leurs conséquences en Mai 69. Bernard travaille dans une usine automobile ; ancien ouvrier, il a pris du galon et craint la révolution qui pourrait mettre en péril sa situation durement acquise. Sa femme, Mélina, est mère au foyer. Elle se retrouve enceinte et souhaite avorter : elle a 42 ans et ne veut plus d’enfant. Grâce à sa fille, Nadine, elle rencontre une organisation féministe - les femelles rebelles - qui va l’aider à faire passer l’enfant ; par la suite, elle devient féministe, quitte son mari et entreprend des études de droit : brève liaison avec Félix, son professeur, avant de reprendre une nouvelle vie de couple, sur d’autres bases, avec son époux Bernard. Bernard a deux frères : Pierrot, un prêtre qui remet en cause le célibat lié au sacerdoce. Amoureux de Marie-Jo, il l’épouse et lui fait un enfant. Ensuite, il s’engage dans un hôpital au service des toxicomanes. Gégé, l’éternel gaulliste, patron de bistrot, laisse passer les événements non sans crainte : il planque sa famille à la campagne, le temps que l’ordre revienne, puis continue à prospérer. Quant aux enfants de Bernard et de Mélina : ils sont trois. Serge est médecin. Pendant les événements, il soigne les blessés. Ensuite, il renonce à une carrière de professeur pour travailler au service des urgences, puis pour les patients dépourvus de droits sociaux. Antoine est en passe d’intégrer la grande école de Ulm. Il participe aux AG étudiantes. Il refuse de faire partie de l’élite qui opprime le peuple. Il renonce donc à son brillant avenir pour devenir ouvrier-militant dans l’espoir de susciter un nouvel élan révolutionnaire chez les ouvriers. Quant à la benjamine, Nadine, elle est encore au lycée et s’en donne à cœur-joie sur les barricades. Ensuite, elle décide de vivre en communauté.

Ainsi, chaque personnage représente un stéréotype social que les événements de Mai 68 vont bouleverser. On découvre, à travers chacun d’entre eux, les différentes veines de revendications qui ont fait de mai 68 un grand événement révolutionnaire. Revendications politiques, sociales, ouvrières, étudiantes, féministes…

Cependant, c’est avec beaucoup d’ironie qu’Hervé Hamon nous introduit dans les différents groupuscules qui ont fait Mai 68. Les AG étudiantes sont déchirées par diverses tendances qui se crêpent le chignon : maoïstes, trotskistes, communistes, anarchistes, situationnistes… c’est à celui qui prendra la parole pour haranguer les autres avec des discours tous plus théoriques les uns que les autres. Quant au mouvement ouvrier, il se méfie des étudiants gauchistes. En effet, les ouvriers souhaitent que le parti communiste ou les syndicats gardent la main sur les événements. Tous se retrouveront, sur le pavé, dans une grande carmagnole festive et violente.

Les féministes et les communautés ne sont pas épargnés : les garçons apprécient la liberté sexuelle des filles, mais leur reprochent de vouloir coucher seulement avec les chefs ! Jalousies, disputes. On voit à quel point la belle théorie se heurte aux mesquineries de la nature humaine.

Et puis, il y a aussi les désillusions : Antoine, gauchiste idéaliste convaincu, renonce à son bel avenir pour devenir ouvrier et ancrer dans les esprits des idées révolutionnaires : c’est un échec. Le travail est harassant, mal payé, et les ouvriers se méfient de lui. Il tourne en rond.

Cependant, l’heure n’est pas vraiment à la nostalgie. Si Hervé Hamon s’en donne à cœur-joie avec les tribulations de ses personnages - du reste, français très ordinaires - il cherche surtout à montrer à quel point l’héritage de Mai 68 est encore vivace. Des rapports sociaux plus souples, les avancées féministes, une presse plus libre, des écoles mixtes : nous ne nous rendons même plus compte à quel point Mai 68 est passé par là. Son héritage, nous l’avons totalement intégré.

Ainsi, avec Demandons l’impossible, Hervé Hamon nous livre une chronique divertissante des événements de mai 68, dotée d’une vision bien sentie de ses conséquences. La dernière page est une sorte de bande-annonce finale qui informe le lecteur de la situation des personnages en 2008 : tous se sont embourgeoisés, mais gardent une appétence pour l’autre dans le travail qu’ils ont choisi… sauf Krasny, le leader des AG étudiantes, devenu collaborateur d’Henri Guaino. C’est peut-être à lui que nous devons ce beau printemps 2007 où, très sagement, certains Français ont voté pour qu’ensemble, tout devienne possible !



08/06/2012
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