LECTURES VAGABONDES

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Philippa Gregory : Deux sœurs pour un roi/Anne, ô pauvre soeur... et les autres

 

          Qui ne connaît pas la légende effrayante de Barbe-bleue ? Et un roi – Henri VIII – à l’origine de ladite légende ? Eh oui, le très sympathique Henri VIII a fait décapiter deux de ses six épouses : Anne Boleyn et Catherine Howard. Le roman de Philippa Gregory, paru en 2008 aux éditions de L’Archipel : Deux sœurs pour un roi, se penche sur la funeste destinée d’Anne Boleyn à travers une narratrice qui n’est autre que la   sœur de cette dernière : Marie Boleyn. 

 

          Marie Boleyn est une très jeune mariée quand elle devient la favorite du roi Henri VIII. Poussée par sa famille, elle ne parviendra pourtant pas à supplanter la reine Catherine. Sans doute ne le veut-elle pas vraiment, au fond d’elle.

En effet, lorsqu’elle devient mère, Marie se prend d’amour pour ses enfants – Catherine et Henri – et le roi se tourne vers une autre beauté : la sœur de sa maîtresse – Anne Boleyn. Poussée par sa famille, Anne parvient à évincer la reine Catherine et à devenir elle-même reine. Elle aura une fille du roi Henri VIII : Elisabeth. Mais, en l’absence d’un fils et surtout, désormais concurrencée par la jeune Jane Seymour, Anne est arrêtée et jugée pour adultère et sorcellerie. Elle est décapitée contre toute attente tandis que sa sœur se fait oublier avec ses enfants et son nouveau mari : William Stafford.

 

          Je ne sais si les portraits des deux sœurs qui se seront partagées le roi Henri VIII pendant une quinzaine d’années sont fidèles à la réalité tant ils sont construits en opposition systématique. A la douce et passionnée Marie Boleyn répond l’ambitieuse et calculatrice Anne Boleyn. Marie va aimer sincèrement le roi, elle va souffrir d’être délaissée par ce dernier mais sera comblée par l’amour maternel avant de retrouver l’amour entre les bras de William Stafford. Notre héroïne narratrice est attachée aux valeurs simples : elle aime la vie à la campagne, loin du protocole, de la pression et des exigences de la cour. En revanche, Anne ne pense qu’à devenir reine. C’est sans aucun remords qu’elle supplante Marie dans le cœur du roi. Pour le rendre fou, elle se refuse à lui pendant de longs mois et exige le mariage. Consciente du fait que pour assurer sa place de reine, il lui faut mettre au monde un fils, elle fait appel à des stratagèmes pas très nets. Il semblerait même qu’elle ait couché avec son frère, George, pensant le roi impuissant à lui donner un fils. Cependant, elle accumule les fausses couches et décide de prendre à sa sœur, Marie, le fils qu’elle a eu du roi : le petit Henri. Ô combien cruelle Anne se montre-t-elle avec sa sœur ! Il est vrai que le rapport entre les deux femmes est très ambigu : il est fait de jalousie, de cruauté, mais aussi d’attachement sincère.

          En filigrane, le roman offre un portrait ambigu du roi Henri VIII. La légende en fait un souverain cruel, puisqu’il a épousé tant de femmes, et en a fait mourir deux. Dans deux sœurs pour un roi, Henri VIII sait se montrer passionné, galant et exclusif avec l’élue momentanée de son cœur. Cependant, le souverain est très courtisé et dès qu’il tombe amoureux d’une demoiselle, il oublie tout le reste ! Ainsi se comporte-t-il avec une froide et égoïste indifférence envers son épouse Catherine d’Aragon, attitude humiliante lorsqu’elle est adoptée face à toute la cour. Il finira par obtenir l’annulation de son mariage et pourra ainsi épouser Anne Boleyn. Il aime la chasse, les tournois, la bonne bouffe et devient hideux, bouffi par la graisse. Mais peu importe ! Il est le roi et continue de séduire ! La très jeune et jolie Jane Seymour succèdera à Anne Boleyn, décapitée.

          Enfin, le roman évoque également la vie à la cour du roi et de la reine d’Angleterre. Là se livre une lutte incessante pour le pouvoir. Ainsi, si les sœurs Boleyn furent toutes deux maîtresses du roi, c’est parce leur famille place stratégiquement ses pions et après avoir misé sur Marie que le roi aime de moins en moins, on l’envoie à la campagne pour laisser les coudées franches à Anne. Inutile se s’attarder sur les ragots, les médisances, et la pression liée à l’observation peu amène dont chacun fait l’objet de la part des autres membres de la cour. L’atmosphère est assez oppressante et on risque même sa vie, bien évidemment, lorsqu’on devient trop gênant.

          Si on est attaché à l’Histoire factuelle, deux sœurs pour un roi est un roman décevant ; certes, bon nombre de rivalités sont évoquées : la cour d’Espagne et la cour de France sont ennemies de celles d’Angleterre, raison pour laquelle pendant longtemps, Henri VIII devra ménager Catherine d’Aragon. Par ailleurs, le pape est hostile à l’idée d’annuler le mariage… et voilà le roi qui se met à dos toute l’église ! Cependant, ce contexte historique n’est que brièvement évoqué, et il manque un peu à la malheureuse ignare que je suis sur le sujet de la couronne d’Angleterre. Enfin, le roman expédie assez rapidement le procès d’Anne Boleyn. Dommage ! Car il traduit bien les préjugés de l’époque, empreints de puritanisme religieux.

        Malgré tout, on passe un bon moment en compagnie de Marie et d’Anne Boleyn : sans doute, le roman comporte-t-il des longueurs et des scènes répétitives, mais on reste saisi par cette plongée dans l’Angleterre de l’époque de la Renaissance.



30/03/2020
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