Damien Owens : Cruautés conjugales / petite cruauté lusitanienne.
Ainsi dois-je aujourd’hui parler de cruauté alors même que je me trouve en ce moment dans ce beau Portugal qui n’est que douceur et délices à tous les niveaux ! Heureusement qu’en ce qui concerne la cruauté, le roman de Damien Owens - Cruautés conjugales paru en 2004 aux éditions Belfond – reste quand même très soft.
Nous sommes en Irlande, à Drumshanagh. Le jeune couple modèle de la ville, Peter et Mary, s’apprête à fêter sa première année de mariage. Cependant, rien ne va plus : Mary ne supporte plus Peter, ses tics, ses manies. Depuis quelques temps, c’est engueulade sur engueulade. Peter se confie alors à Finbarr Grealey, un vieux garçon rencontré dans un pub un soir de biture. Or, Finbarr Grealey a une dent contre les femmes et décide de se mêler de ce qui ne le regarde pas : ouvrir les yeux de Peter sur la légèreté de son épouse en poussant cette dernière à la tentation. De son côté, Mary se confie à sa sœur, Valérie ; cependant, Umberto, le fils de Valérie, est convaincu que Peter trompe Mary, vu toutes les messes basses auxquelles les deux femmes s’adonnent. Il va donc voir le père Duff, prêtre de la bourgade, qui pourrait peut-être le conseiller. Or, le prêtre, plutôt zélé, décide de jouer les conseillers conjugaux auprès… des parents d’Umberto ! En effet, le jeune garçon n’a pas précisé que c’était le couple de sa tante qui lui semblait battre de l’aile. Voilà donc les deux couples aux prises avec un entourage plutôt bien intentionné, mais aux interventions pas forcément très opportunes. Comment donc les mésaventures conjugales à Drumshanagh se dénoueront-elles ?
Je dois bien dire qu’après des débuts prometteurs, Cruautés conjugales s’avère bien vite être un roman décevant : l’intrigue patine, on se perd dans tout un tas d’anecdotes inutiles à propos de personnages sans importance, et on finit par se désintéresser complètement des problèmes conjugaux de Peter et de Mary. Lorsqu’enfin on comprend que Finbarr Grealey et le père Duff vont influer sur le destin des couples, on s’attend à un imbroglio savoureux et drôle, mais le soufflé retombe bien vite : Peter et Mary se sont finalement réconciliés sur l’oreiller, ils s’aiment comme au premier jour, et rien ni personne ne peut les séparer, ni les faire douter de leur amour. Quant au père Duff qui tente de conseiller le couple Jeff-Valérie, il lève un lièvre ! Jeff trompe en effet Valérie ! Heureusement, le père Duff promet de rester discret, et Jeff promet de rompre avec sa maîtresse. Autant dire qu’il ne se passe rien de bien grave, dans Cruautés conjugales ! Intrigue insignifiante, donc.
Pourtant, le thème de départ est intéressant et d’emblée, traité de manière amusante et ironique : Mary ne supporte plus les manies de son époux : elle n’a rien à lui reprocher, sauf : ses blagues nulles, ses imitations foireuses de Margareth Thatcher, sa manière de s’excuser pour un oui ou pour un non, ce qui donne lieu à quelques scènes de ménage vraiment rigolotes… Malheureusement, on ne croit pas au rétablissement soudain du beau fixe au sein du couple. Il suffit que Peter parte deux jours pour un stage à Dublin, et voilà Mary soulagée : enfin, plus de Peter à supporter ! Cependant, lorsqu’il rentre, elle éprouve soudain pour lui un débordement sentimental bien mal amené, qui ne tient pas debout, que Damien Owens ne parvient pas à justifier lui-même : sauf qu’il veut pour son roman un happy end à une situation qui dans la réalité des couples ne se produit jamais. Lorsqu’on ne supporte plus les manies de l’autre, lorsque toutes ses attitudes, ses réactions sont tellement prévisibles qu’on passe son temps à hausser les épaules, il me semble bien que c’est là le signe de désamour qui s’installe dans le quotidien d’un couple et qu’on ne peut pas faire grand-chose contre ça… La situation évolue lentement, dans le mauvais sens : dommage ! Mais c’est là le lot de (allez ! osons le sacrilège !) tous les couples, sans exception. Certains continuent ensemble et se disent que « maintenant, c’est plutôt de l’attachement, de la tendresse que de la passion », d’autres se séparent pour bien souvent reproduire la même chose avec quelqu’un d’autre. Mais un soudain revirement passionné face à l’enlisement du quotidien ! Jamais entendu parler dans les confidences intimes des couples qui ne se livrent pas au cinéma de l’amour exceptionnel.
Alors bien sûr, on ne s’ennuie pas lorsqu’on lit Cruautés conjugales car Damien Owens a un certain talent pour le portrait satirique : son roman est donc presque exclusivement composé de personnages croustillants, des antihéros, des loosers rigolos, mais l’ensemble ne va nulle part : ainsi, nous avons des tas de pages consacrées aux parents de Mary et de Valérie, à leur rencontre, à leur histoire… or, ces deux personnages n’existent pas dans le roman ! Mary va juste leur dire un petit coucou, un soir, et vice-versa. Nous avons des tas d’anecdotes sur David et Fiona, les amis de Peter et de Mary, mais David et Fiona ne sont que des confidents, autant dire qu’ils n’existent pas vraiment non plus dans le roman. Finbarr Grealey, le vieux garçon, fait également l’objet d’un tas d’anecdotes amusantes qui n’ont rien à voir avec l’intrigue, bien mince, du reste. Bref, Damien Owens parvient à nous divertir avec tous ces détails incongrus sur des personnages qui n’ont aucune histoire réelle dans laquelle le lecteur se sentirait embarqué : c’est néanmoins insuffisant et le lecteur se demande vraiment ce qui motive ce roman qui ne raconte rien.
Allons donc, trêve de cruautés et autres petites agaceries. Ce soir, on met les disputes et les énervements conjugaux en sourdine et on va déguster une petite soirée fado dans une quelconque gargote à tapas du quartier d’Alfama à Lisbonne. Demain est un autre jour !
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