LECTURES VAGABONDES

LECTURES VAGABONDES

Philippe Delerm : quelque chose en lui de Bartleby/ un petit quelque chose, sans plus.

 

                Voici donc le fameux dernier Delerm ! cher Bartlebooth ! Quelque chose en lui de Bartleby paru en 2009 aux éditions Mercure de France. Je me souviens de votre lettre ouverte, assez polémique, en réponse aux propos que l'auteur a tenus dans l'émission la Grande Librairie, diffusée sur France 5 le jeudi à 20 heures 35, émission dans laquelle Philippe Delerm semblait vouloir donner des leçons d'écriture et de vie aux bloggeurs et de manière plus générale, aux internautes réguliers. « La vraie vie ? Elle n'est pas derrière les écrans », affirmait-il. Que Bartlebooth se rassure ! Delerm n'a réglé aucun compte personnel - ni avec les bloggeurs, ni avec internet - dans ce dernier roman, plutôt agréable mais quand même, il faut bien l'avouer, décevant et superficiel.

                Dans quelque chose en lui de Bartleby, on retrouve Arnold Spitzweg, notre alsacien-parisien, célibataire endurci et adepte des petits plaisirs quotidiens. A la rigueur, je pourrais tout aussi bien conclure ainsi l'article, car ce roman n'apporte vraiment rien de plus (au contraire !) au très plaisant Il avait plu tout le dimanche : ni au niveau du personnage de Spitzweg, encore moins au niveau des thématiques globales du roman.

                Arnold Spitzweg est toujours employé à la poste, il se promène tous les jours avec volupté dans différents quartiers parisiens, il regarde les gens autour de lui, aime se faire de la purée, fumer un ninas, partir en vacances à Coxyde en Septembre. Il fut pendant quelques semaines l'amant d'une de ses collègues, Clémence Dufour, mais porte toujours en lui le regret d'Hélène Necker, son amour de jeunesse qui a préféré en épouser un autre. Tout ça, je l'ai déjà évoqué dans mon précédent article sur Delerm… Qu'y a-t-il de plus ici ? Spitzweg décide un jour de tenir un blog sur internet, blog dans lequel, un peu à contre-courant des tendances actuelles, il fait l'éloge de la lenteur, de la paresse, de la contemplation des choses du quotidien. Un scénario bien ténu, il faut l'avouer… pour un livre qui, comme d'habitude, se lit en une heure et demie, scénario qui, de plus, n'est ici qu'un prétexte à faire défiler, une fois de plus, des ambiances parisiennes très bien croquées, extrêmement plaisantes à lire, des sensations, des couleurs et… des goûts qui font saliver ! Ah ! La bonne purée-maison, le hareng-fumé et la tête de veau sauce gribiche !  Je crois bien que c'est à peu près tout…

                Ce qui m'a fondamentalement déplu, c'est cette manière dictatoriale utilisée ici (et désormais ?) par Delerm pour présenter les petits bonheurs de Spitzweg comme étant les seuls authentiques à vivre pour la simple et bonne raison qu'ils vont à rebours de la bien-pensance et des modes actuelles. Je suis désolée, mais mes petits bonheurs à moi sont totalement à l'opposé de ceux que présente Spitzweg (sauf peut-être pour la bouffe et le pinard). Sont-ils pour autant nuls ?

Moi, je préfère me promener dans la nature plutôt qu'à Paris… Regarder les canards, les mouettes et les vers de terre… Je préfère prendre mon petit déj au lit, le week-end, en regardant les clips vidéo de MCM et de NRJ hit music only, plutôt que d'aller au bar-tabac du coin prendre un café et fumer un ninas tout en pensant au concert de musique baroque du soir à l'église « je-ne-sais-quoi ». Et j'aime aller courir une heure tous les jours… Alors voilà ce que monsieur Philippe Delerm balance dans la tête des joggeurs :

« Ce conformisme de l'activité sportive est sûrement la vraie raison qui m'a fait arrêter l'entraînement au marathon. Je trouvais pourtant les participants sympathiques, les plus brillants très peu prétentieux par rapport aux modestes. Mais en définitive, je préfère le Ninas à la course à pied. Entre dix minutes de plaisir qui me rapprochent de la mort et quatre heures de souffrance qui me donnent la santé, je choisis le Ninas. Je quitte peu Paris, mais c'est toujours pour voir des touristes en proie à ce syndrome de l'activité, aquatique, forestière ou bitumeuse. Ils ont tous raison. Je crois que j'ai horreur des gens qui ont raison. Dans leur gestuelle, il me semble lire un petit quelque chose en trop, un débordement si ténu soit-il d'autosatisfaction affichée qui m'horripile. Vive le Ninas. Il ne fait pas la morale. » 

En voilà un passage qui mériterait une bonne lettre ouverte si j'en avais le temps ! C'est que Philippe Delerm doit en fumer, des Ninas, pour croire que tous les joggeurs qui passent lui font une leçon de morale ! Enfin, reste à savoir si ce sont les joggeurs qui font la morale ou plutôt les discours actuels qui stigmatisent de manière excessive les fumeurs, quels qu'ils soient.

En tout cas, j'ai bien envie de défendre le plaisir procuré par la course à pied, plaisir nettement supérieur à celui d'un Ninas (chose puante, au goût immonde). Car vraiment, je crois bien que Philippe Delerm n'a jamais mis un pied dans une basket pour parler de souffrance de la course à pied… C'est sans doute un plaisir qui se mérite (comme celui de finir par aimer fumer un cigarillo : il faut le vouloir !)… Mais passées les premières semaines d'entrainement assez difficiles, le corps se fait à l'activité physique : on va plus loin, de jour en jour, on court plus longtemps, de manière de plus en plus aérienne, on éprouve un vrai bien­-être physique et psychique à chacune des foulées accomplies… Qu'est-ce qui fait que même lorsqu'il pleut des cordes, je vais quand même courir ? Sans doute mon intention est-elle de crâner devant les automobilistes inconnus qui passent ! En plus, avec la course à pied, plus la peine de faire régime : genre de truc assez insupportable et qui met, pour le coup, de mauvaise humeur.

Bref, je m'égare… on peut faire l'apologie des petits plaisirs comme une fin en soi (et là, je trouve vraiment que l'argumentation d'Eric Nauleau dans on n'est pas couché (à écouter sur ce blog : article Philippe Delerm) sur le livre ne tient pas la route : bien sûr que le plaisir est un sujet littéraire ! Et l'écriture de Delerm donne une dimension très sensuelle aux petits plaisirs !), mais pourquoi un certain type de petits plaisirs plus que d'autres ? Il me semble que dans ce roman, Spitzweg commence à exercer une dictature du type : « moi, je sais ce qui est bon. Vous, vous ne pouvez pas comprendre, alors je vais essayer de vous faire découvrir ce qui est vraiment bon. »

Par ailleurs, et c'est peut-être là le plus décevant, Quelque chose en lui de Bartleby n'a pas l'ambiguïté douce-amère d'il avait plu tout le dimanche qui proposait un regard en contrepoint sur les petits bonheurs : si ces derniers sont si précieux, c'est que le grand bonheur, lui… eh bien, n'y pensons plus ! Et aimons ce qui est accessible. Voilà ce qui faisait l'ambigüité plutôt douloureuse d'une vraie réflexion sur le(s) bonheur(s), grand(s) et petit(s), réflexion que proposait le roman : il avait plu tout le dimanche.

Dans quelque chose en lui de Bartleby, la chose prend, pour le coup, un tour catastrophique ! Bartleby revoit en effet son grand amour, Hélène Necker ! Il couche même avec elle ! Une seule et unique fois ! Et alors ? Beh ! Philippe Delerm torche toute la scène des retrouvailles en même pas deux pages desquelles ne se dégage aucune émotion. Et puis, ensuite, Arnold Spitzweg oublie sa grande nuit d'amour aussi vite qu'une paire de vieilles chaussettes usées.

N'importe quoi ! Vraiment ! Je ne suis d'ailleurs pas convaincue que retrouver un premier amour vécu à 18 ans soit aussi génial que ça. On se dit plutôt, quand ça arrive : « fichtre ! Qu'il est devenu moche, ce premier amour ! Et ringard, avec ça ! Qu'est-ce que j'étais conne alors d'être amoureuse à ce point d'un pareil tocard ! ». Et ainsi de suite avec les quelques amours qui suivent et qu'on oublie un jour…. Car il faut vraiment être un peu à l'ouest pour rester accroché toute sa vie à un premier amour qui finit en jus de boudin.

Ainsi donc, notre auteur Philippe Delerm se plante lamentablement dans l'écriture du grand bonheur… On se demande vraiment à quoi rime cette scène d'amour vague et non sentie entre Arnold et Hélène… peut-être pour remplir les 140 pages imposées quand même par l'éditeur !

« Il y a mille façons de faire l'amour la première fois. Elles recèlent toutes une vérité, mais il y a aussi une sorte de mise en scène imposée. Entre eux, c'était sérieux, un peu surjoué. Ils firent monter l'excitation avec la partition facile ici de la transgression impatiente, puis le mouvement lent de la rencontre possiblement unique. Arnold s'échappa avant l'aube, renonçant à gagner le 226 rue Marcadet. Il traîna dans le quartier, « habillé comme hier », expression d'une chanson qu'il aimait. Il attendit que s'ouvre le premier café, à l'angle du boulevard Saint-Michel. Il se sentait beaucoup plus jeune. Et déstabilisé. Oui, ça serait la seule fois. »

Ouh, là, là ! On y croit et on a envie de pleurer ! C'est beau ! Faire l'amour une seule et unique fois, à 50 ans, avec la fille qu'on a aimée à 18 ! Delerm va bientôt se reconvertir dans les collections « livres à l'eau de rose type Harlequin, tout un monde d'évasion ! »

Allez ! Je crois que je vais m'arrêter là avec ce bouquin de Delerm qui devrait décidément changer de sujet, de personnage, etc… Je crains bien qu'il n'ait vraiment fait le tour de Paris et de ces petits plaisirs qu'on trouve aux coins des rues. L'écriture reste très belle, ça, je l'accorde volontiers.

Je remercie donc Philippe Delerm pour le petit plaisir qu'il m'a accordé avec son dernier roman : quelque chose en lui de Bartleby. Hier, clouée au lit avec une bronchite aigüe, j'avais besoin d'un livre rapide à lire entre deux phases de sommeil fiévreux. Aujourd'hui, je prends un certain petit plaisir également à taper mon article, dans mon lit, sur mon portable, entre deux quintes de toux… Demain, je m'octroierai cet autre petit plaisir qu'est celui de me connecter à internet pour publier sur la toile via mon très hype blog de lectures vagabondes, ce que je pense de ce bouquin sans grand intérêt…

Désolée, Philippe, la bloggeuse-joggeuse que je suis trouve que tu es en train de régresser singulièrement en ce moment ! Ressaisis-toi ! Sinon, tu risques de terminer tes jours à publier lamentablement des articles sans intérêt – mais qui, je l'espère, te procureront un petit plaisir perso -  sur un blog que personne ne lit !


                                           



03/02/2010
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