Marc Dugain : La chambre des officiers / un sujet casse-gueule.
Une fois n'est pas coutume… ce sont mes élèves qui ont contribué à me faire découvrir cette œuvre : La chambre des officiers de Marc Dugain, parue aux éditions Jean-Claude Lattès en 1998, et récompensée par le prix des libraires et celui des Deux-Magots. En fin d'année, en effet, ils avaient apporté le film de François Dupeyron, film tiré du roman de Dugain. J'avais été fortement étonnée par leur choix… car si effectivement, je partage avec mes élèves des goûts musicaux communs : le rap, le RNB, la techno, Skyrock, etc… en ce qui concerne le ciné… c'est une vraie galère de supporter les nanars qu'ils m'infligent en fin d'année : Dikkenek, Taxi 28, la tour infernale Montparnasse…
Et bien là ! j'ai vivement regretté de n'avoir vu qu'une partie du film en leur compagnie… Depuis, je l'ai vu par mes propres moyens. Un film magnifique… qui vaut largement le roman. Mais c'est le roman qu'il me faut commenter ici.
Adrien est beau, jeune, intelligent : la vie lui sourit lorsqu'il est mobilisé, en 1914. Avant de prendre le train, direction le front, il rencontre Clémence, une belle jeune femme en compagnie de laquelle il passe ses dernières heures d'insouciance. La guerre ? Il n'aura pas le temps de la vivre vraiment. Lors d'une mission sur les bords de la Meuse, il reçoit un éclat d'obus en plein visage. Transféré au Val-de-Grâce, il rejoint une chambre réservée aux officiers défigurés par la guerre : ceux qu'on appellera les gueules cassées. Pendant 5 ans, nous allons partager le quotidien de ces hommes devenus physiquement monstrueux… Plus particulièrement celui d'Adrien et de ses amis : Weil et Penanster. Tous sont confrontés à la douleur physique, à leur image détériorée, à l'enfermement. Et puis, à l'angoisse et au désespoir. Comment séduire une femme avec un tel visage ? Comment retrouver un travail ? Et pourtant, il faudra bien continuer à vivre, après…
Je dois dire que j'ai trouvé le roman légèrement inférieur au film de Dupeyron qui en a été tiré et qui porte le même titre. D'abord, il est assez court : 171 pages, de petits chapitres… Et l'impression ambigüe d'avoir, d'un côté, passé un agréable moment de lecture, et de l'autre, d'être resté à la surface d'un sujet qui mériterait d'être traité avec davantage de relief et de force, tant il est vrai qu'on parle beaucoup du carnage de 14-18, beaucoup moins de ceux qui ont survécu à cette guerre… moyennant, un bras, une jambe, un visage, laissés sur le champ de bataille. Eh oui ! Les gueules cassées, c'est un sujet casse-gueule.
Pourtant, à une époque où l'apparence, la beauté, le look sont de prime importance, à une époque où toutes les émissions du type c'est ma vie, tellement vrai, et autres confessions intimes s'apitoient sur le quotidien de « femmes au physique ingrat » (des boudins) qui veulent trouver l'amour… moyennant une cure d'amaigrissement, une séance de relooking en compagnie de William - le queer-tarlouze à qui je ne confierais pas un seul cheveu de ma tête – ou encore une liposuccion dans une clinique étrangère…, se souvenir de ces hommes défigurés par la barbarie permet de remettre un peu les choses à leur place. C'est dire combien j'attendais de ce livre sur les gueules cassées auxquelles personne ne pense jamais plus ! Attente plutôt déçue.
En effet, on a du mal à s'attacher aux personnages qui manquent de densité, de relief… Bien sûr, il y a des suicides, au Val-de-Grâce, ou des tentatives de suicide… et par conséquent, du désespoir. Pourtant, le lecteur ne ressent rien de tout ce bouleversement intérieur, de cette révolte qui doit normalement secouer celui qui perd son visage, et donc, une partie primordiale de son identité. Marc Dugain s'attache, en effet, aux petites choses du quotidien de ses personnages… Les états d'âme des mutilés ne sont qu'effleurés. A partir de là, je pense que l'œuvre perd beaucoup d'intérêt.
Ainsi donc, la chambre des officiers, c'est le quotidien de pensionnaires d'un hôpital de guerre, secteur « reconstruction de la face ». Il y a les opérations : elles sont fréquentes, douloureuses, et leurs résultats sont souvent décevants. Il y a les visites - la famille, la plupart du temps – et toute une gamme de réactions diverses qui traduisent le malaise des autres face à une anormale laideur. Il y a les sorties : peu fréquentes… les putes : c'est le lot de ceux qui ne seront jamais considérés comme de véritables héros. Ce sont tous ces petits faits anodins du quotidien qui sont relatés dans ce livre… C'est dire si le lecteur reste sur sa faim car perdre son visage n'est pas une mutilation anodine.
Dans le film, j'ai apprécié la relation qui s'instaure entre Adrien et le corps médical : le chirurgien interprété par André Dussolier, et l'infirmière, interprétée par Sabine Azéma. Il est bien évident qu'on ne reste pas cinq années dans un hôpital sans tisser avec le personnel médical des liens intenses basés sur l'attente, l'espoir, la confiance mais aussi, parfois, la méfiance et la rancœur. Il faut bien avouer que le roman oublie totalement ces personnages-là… Ils sont inexistants dans le roman qui semble bien plus s'attacher aux liens d'amitié qui se créent entre les mutilés du visage. Dommage. En évacuant le personnel hospitalier, c'est, à mon avis, un peu du quotidien des gueules cassées qu'on mutile.
Autre point noir du roman : la fin.
Le film prend le parti de l'ambigüité : à la sortie de l'hôpital, Adrien est largué dans un monde qui n'est plus le sien, un monde dont il a perdu le fil. Et puis, il va falloir affronter la vie avec une gueule cassée, une gueule qui fait peur, au départ, mais que tout le monde – lui comme les autres - peut finir par apprivoiser, avec le temps… Enfin, peut-être. C'est sur ce « peut-être » que se termine le film. Une bonne fin, selon moi… Que les choses se passent bien ou mal pour Adrien, à l'avenir, là n'est pas la question. Tout sera différent, tout sera plus difficile, tout sera marqué par cette gueule cassée qui est la nouvelle identité de notre héros.
Le livre, contrairement au film, se termine bien plus tard, et de manière bien moins dramatique. La chambre des officiers - le roman - se termine bien après la seconde guerre mondiale. Plus de 30 années résumées en à peine 10 pages ! C'est ce qu'on appelle « torcher la fin ». Marc Dugain a, en effet, voulu apporter une réponse à la question : « et après ? ». Et bien ! Après ? Ca baigne. Nos trois compères, contrairement à ce qu'on attendait, trouvent l'amour et fondent une famille. Ils sont heureux, etc… Pourquoi pas ? Mais quel est l'intérêt d'une telle fin ? Bof, je n'en sais rien. Un happy-end, en tout cas… Finalement, dans la vie, on peut être heureux avec une gueule toute amochée.
Ah ben ouais alorsss ! Y a pas que les apparences qui comptent ! Y a aussi le caractère, etc… (et le fric ! Berlusconi en sait quelque chose).
De quoi remonter le moral à Cindy (vue dans c'est ma vie) : 123 kilos de bourrelets graisseux, qui déprime de ne pas trouver l'amour et qui bouffe 3 kilos de pâtes Carbonara quand elle déprime… mais aussi quand elle ne déprime pas… Voilà pourquoi elle compte beaucoup sur son coach sportif pour trouver l'amour ! (Fichtre !) Ainsi donc, si les gueules cassées réussissent à trouver l'amour, pourquoi pas Cindy ? On s'en fout, des apparences… Je vous laisse… encore 3-4 poils à épiler, une séance de manucure, 2 heures de sport... et bien entendu, au bout du compte, le grand amour !
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