Irène Némirovsky : Chaleur du sang / ni chaud, ni froid.
A l'heure où l'on redécouvre l'œuvre oubliée d'Irène Némirovky, écrivaine au destin tragique, on exhume de ses carnets un peu tout et n'importe quoi. Loin de moi l'idée que chaleur du sang, œuvre écrite en 1941, restée à l'état de manuscrit et publiée en 2007 aux éditions Denoël soit du n'importe quoi ! Mais enfin, lorsqu'on a lu la proie et le bal, on ne peut s'empêcher de penser qu'Irène Némirovky n'a pas livré ici le meilleur d'elle-même. D'ailleurs est-on face à un roman ou à une nouvelle ? L'œuvre est-elle achevée ?
L'histoire se déroule dans un coin retiré du Morvan : Silvio, après avoir beaucoup voyagé dans sa jeunesse, finit ses jours dans sa région natale. Autour de lui, sa famille. Sa cousine, Hélène Evrard et son époux, François, s'apprêtent à célébrer le mariage de leur fille, Colette avec Jean Dorin… Un bonheur tranquille semble les attendre, un bonheur semblable à celui d'Hélène et de François. Silvio, désormais âgé, observe avec sérénité la vie quotidienne des paysans du coin : entre mariages, naissances, semailles et labourages, achat de domaines, de champs, de pâturages… C'est la réalité paysanne qu'Irène Némirovsky a voulu peindre dans ce roman. Y est-elle parvenue ?
Certes, le roman est plaisant et bien écrit, mais on est bien loin de la finesse de l'analyse des psychologies et des mœurs à laquelle l'auteure nous a habitués dans ses autres œuvres. Sans doute Irène Némirovsky est-elle plus à même de s'attaquer à la bourgeoisie, milieu qu'elle connaît bien. Pour avoir vécu la fin de sa vie dans le Morvan, elle est sans doute capable d'évoquer les saisons, les paysages et les odeurs de cette région… mais les paysans ? C'est sans doute un peu moins convaincant.
J'ai trouvé l'ensemble plutôt superficiel et stéréotypé. Nous sommes à la campagne… là où tout se sait, mais où rien ne se dit. Colette épouse Jean Dorin, mais quelques mois plus tard, c'est le drame. Jean meurt noyé. Est-ce un accident ? Cette nuit-là, Silvio, le promeneur, a surpris un certain Marc en train de roder près de la propriété des Dorin. Bientôt, il découvre le secret de Colette…Marc était son amant… et ce secret fait surgir en lui le passé. Autrefois, il y a bien longtemps… avec sa cousine Hélène… Lui aussi.
Ainsi, les beaux mariages bien établis de la grosse paysannerie ne sont-ils pas aussi calmes et tranquilles qu'on pourrait le croire ! Irène Némirovky semble concevoir la chose comme une sorte de fatalité inscrite dans le sang : c'est la chaleur du sang qui fait que les mêmes histoires et les mêmes désirs se reproduisent. Sans doute Irène Némirovsky a-t-elle voulu s'inspirer de la théorie de l'hérédité qui organise toute la saga des Rougon-Macquart de Zola… mais je ne pense pas que l'œuvre de Zola subsiste pour cette raison. Je ne suis certainement pas convaincue que Nana soit devenue prostituée parce qu'elle avait le sang d'un couple d'alcooliques dans les veines… L'analyse sociologique me paraît bien plus pertinente… par ailleurs, Zola a pris le temps d'entrer dans ses personnages… Il ne les a pas observés à distance, comme l'a fait ici Irène Némirovsky par l'intermédiaire du lointain Silvio. Bref, on n'entre pas du tout dans les personnages qui sont au centre du drame, et c'est bien dommage !
Il en va de même en ce qui concerne l'analyse des mœurs paysannes. L'ensemble reste bien superficiel et stéréotypé… un monde lisse en apparence, tumultueux si l'on gratte un peu… C'est résumer à bien peu de choses la complexité de ces gens apparemment simples et rustres… Je crois bien qu'il faut lire et relire la terre de Zola. Certes, c'est cruel et sans complaisance… mais je n'ai pas honte de dire que oui, c'est comme ça qu'ils sont, les paysans. L'âme de mes grands-parents, leur manière de voir le monde et de vivre les uns avec les autres, ce n'est certainement pas chez Irène Némirovky que je les ai retrouvés.
Restent de très jolies promenades à travers la campagne du Morvan… Irène Némirovky a très bien su évoquer ses paysages à travers une écriture impressionniste qui capte à la fois les sons, les couleurs et les odeurs… Je pense même que l'ensemble est bien plus nuancé que ce qu'on peut trouver dans les pages de Georges Sand lorsqu'elle évoque son Berry natal.
De quoi faire surgir en moi une certaine nostalgie des vacances à la ferme de mes grands-parents lorsqu'après la cueillette des groseilles, la traite des vaches, le nettoyage de la porcherie, la fauche du foin, le plumage et l'étripage de ma poule Zoé, destinée un jour au bouillon….lorsqu'après tout ça et bien d'autres choses encore, il me restait cinq minutes, en fin de soirée, pour aller faire un tour dans le petit bois du pignolet… ça sentait les fougères… au loin, il y avait aussi l'odeur des blés tout juste moissonnés…
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