Julian Barnes : Love, etc /lovely story, etc
L'amour et ses hésitations, l'amitié et ses trahisons, la vie et ses turpitudes… etc, etc… Large programme pour Julian Barnes qui se propose d'explorer tout ça et bien plus encore dans Love, etc paru aux éditions Denoël en 1992, roman qui a également obtenu le prix Fémina Etranger la même année.
Stuart Hughs et Oliver Russell sont deux grands amis qui se sont connus sur les bancs de l'école. Stuart travaille dans une banque tandis qu'Oliver, de caractère plus bohème, donne des cours d'Anglais dans des écoles privées. Un jour, Stuart rencontre Gillian, l'épouse et voilà le début des ennuis ! Oliver tombe amoureux de l'épouse de son meilleur ami et décide de la conquérir. Il se rend tous les après-midis chez elle, en l'absence de Stuart et la regarde travailler…. Et ce qui ne devait pas arriver arriva : Gillian s'éprend d'Oliver et quitte Stuart. Le nouveau couple s'installe en France et met au monde une petite fille, Sophie… Stuart, de son côté, peine à vivre sans Gillian : il s'installe aux Etats-Unis pour quelques temps durant lesquels il mène une vie dissolue, puis se rend en France dans l'espoir de revoir Gillian : petite note d'espoir finale pour lui… Le couple Gillian/Oliver semble battre de l'aile !
En lisant Love, etc, on pense aussitôt au film de Truffaut, Jules et Jim. En effet, on a affaire ici à un trio qui oscille entre l'amour et l'amitié comme dans le film : Gillian, Stuart et Oliver sont trois amis, cependant, l'amour vient se mêler à l'amitié et sème la zizanie ; il fait, défait et refait les couples. Cependant, le roman de Barnes est bien plus cruel que le film de Truffaut.
En effet, love etc est construit sur la base d'un triple témoignage alterné : indifféremment Stuart, Gillian et Oliver prennent chacun leur tour la parole pour relater tel ou tel épisode de leur histoire. L'intérêt d'une telle construction est de proposer un portrait diffracté de chaque personnage : à travers son témoignage, Stuart paraît être un homme sage, un peu terne, aspirant à une vie calme et rangée… cependant, à travers le regard d'Oliver, il apparaît médiocre, dénué de goût, vaguement ringard et ennuyeux… Oliver, quant à lui, paraît beaucoup plus excentrique, plus bohème, autant de caractéristiques que Stuart prend pour de la suffisance, de l'instabilité, de l'inconséquence.
Car, eh bien oui ! La belle amitié qui unit Stuart et Oliver est dès le départ teintée de médisances, de jalousie, d'envie : Stuart et Oliver n'ont de cesse de confier au lecteur des critiques bien acerbes à l'endroit du soi-disant ami. Ainsi, ce beau sentiment désintéressé qu'est l'amitié prend un sacré coup dans l'aile sous la plume de Barnes : les deux amis se jalousent tellement qu'ils se disputent la même femme et se volent mutuellement leur vie… Stuart, qui aspire à une vie de famille bien calme, se retrouve à mener la vie dissolue d'Oliver… Il va même se mettre à fumer, comme son ami. Quant à Oliver, qui n'aime pas trop le conventionnel, se retrouve à mener la vie familiale destinée au départ à Stuart… Il s'arrête même de fumer ! Ainsi Julian Barnes montre-t-il que l'amitié peut être bien plus impitoyable que l'amour ! C'est une sorte d'amour vache à la vie à la mort, un amour qui, puisqu'il ne peut se concrétiser, se joue dans les sphères de la violence et du vol : puisque je ne peux t'avoir, je prends ta vie et ce à quoi tu tiens le plus... Mais sans doute vais-je ici un peu trop loin, Julian Barnes esquisse à peine cette voie dans son roman.
Bien évidemment, l'amour est également égratigné dans Love, etc. Comme il peut être à la fois fort et fragile ! Hésitant ! Gillian paraît être une femme sage, réservée, avec les pieds bien sur terre : elle semble parfaitement assortie à Stuart, et dans son caractère et dans ses aspirations. Cependant, il est aussi vrai que les contraires s'attirent ! L'excentricité et le cynisme d'Oliver finiront par l'attirer, au point qu'elle laisse tomber Stuart après quelques mois de mariage… et puis, finalement… avec le temps… Gillian ne sait plus trop qui elle aime.
Par ailleurs, l'écriture de Barnes est vraiment tout à fait plaisante : il donne tour à tour la parole à chacun de ses personnages ; ce faisant, il leur attribue à chacun une voix particulière, l'ensemble formant, selon les moments de l'histoire, une harmonie ou une cacophonie : ainsi, le langage de Stuart est-il plutôt sage et simple, tandis qu'Oliver recherche la sophistication dans l'expression ; Gillian, quant à elle, est assez peu loquace et ne se confie que très parcimonieusement au lecteur. Car il est également intéressant de noter que chacun des personnages se retrouve seul face au lecteur qui devient son confident… Sans arrêt, et pour son plus grand plaisir, le lecteur est interpelé, sommé de juger, pris à parti par chaque personnage qui le titille à qui-mieux-mieux.
Quelques points faibles à souligner, cependant, dans Love,etc. Si le début de l'histoire est touffu, bien développé et riche en anecdotes, ce n'est plus vrai à partir du moment où Gillian tombe amoureuse d'Oliver… Le divorce est escamoté, la vie après son remariage avec Oliver est rapidement évoquée… Bref, on a l'impression que le rythme de l'histoire s'accélère follement alors que la vitesse autorisée vu les turpitudes vécues par les personnages devrait rester finalement la même. Au fil du roman, on perd donc un peu d'intérêt pour les personnages - qui se confient inégalement - et pour l'histoire qui est par conséquent moins creusée et plus superficielle.
Ensuite, je dois bien dire que le personnage d'Oliver est quelque peu saoulant. Sa manière de parler volontairement excentrique finit par rendre le texte très abscons, voire par moments incompréhensible :
« Si la soldatesque d'Hérode se livrait, de demeure en demeure, à une fouille systématique de l'ambigüité, elle ne séjournerait pas longtemps dans la maison de Val. Cette créature est le type même de la personne pour qui la formule « Vous plairait-il de venir boire un tasse de café ? » est gnomique au point de confiner à l'incompréhensibilité, et qui trouverait l'apophtegme : « Est-ce là une pomme de pin dans votre poche ? « digne des maîtres du tantrisme. »
A ces formulations très alambiquées s'ajoute une certaine propension à la digression ou à l'excessif développement qui fait que le lecteur se demande souvent pourquoi Oliver a besoin d'une page pour dire quelque chose qui tient en deux mots…
Ainsi, globalement, on prend beaucoup de plaisir à lire Love, etc, un roman qui oscille pourtant entre l'excellence et le tout simplement correct. C'est amusant, caustique, cruel, etc…
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