Martin Provost : bifteck / bif, bof : cuisson à revoir.
Je suppose que Martin Provost ne m’en voudra guère si je ne partage pas l’engouement qu’il suscite tant au niveau de ses romans qu’au niveau de ses films. Bifteck est son troisième roman, écrit en 2010 et paru aux éditions Phébus.
Nous sommes à Quimper, en pleine première guerre mondiale : chez les Plomeur, on est boucher de père en fils. André ne sacrifie pas à la tradition et exerce son métier avec un doigté particulier. En mal de mâles, toutes les femmes des alentours se ruent à la boucherie et pas seulement pour acheter un bifteck. André est en effet un sacré étalon qui les fait toutes grimper au rideau. Elles font donc la queue devant l’étalage dans l’espoir de se voir attribuer le morceau de choix : l’araignée – ticket gagnant pour obtenir les faveurs du boucher pour la nuit. Cependant, ces petites sauteries ne sont pas sans conséquence et André découvre, un jour, devant sa porte, un berceau garni d’un nouveau-né… puis un autre. En quelques mois, le voici à la tête d’une tribu de sept marmots : cinq garçons et deux filles. A la fin de la guerre, c’est l’embrouille. Retour des maris… L’un d’entre eux, jaloux, veut lui faire la peau. C’est alors qu’il embarque avec ses enfants sur un petit rafiot : direction l’Amérique et une nouvelle vie.
Jusque-là, rien à dire. L’écriture est alerte, le récit est vif, amusant. La métaphore du boucher, expert en chair - chairs de toutes sortes - est tout à fait plaisante. Mais une fois sur le rafiot, l’ensemble s’essouffle et on commence à s’ennuyer ferme. L’essentiel au roman se déroule en huis-clos, sur le bateau. André essuie des tempêtes, voit grandir ses enfants… Il les couve et les chérit. Ils sont sa chair et son sang. On sent bien alors que Martin Provost cherche ici à sublimer la paternité et pour ce faire, il l’associe à la maternité. Bien évidemment, la mer est ici un substitut au liquide placentaire : André dans son bateau est en pleine gestation. Je n’ai pas très bien compris pourquoi Martin Provost veut absolument utiliser la métaphore maternelle pour montrer la puissance du rôle du père dans la procréation et l’éducation des enfants. J’ai le sentiment que la sauce ne prend pas du tout : la superposition mère/père est lourde et se borne à la narration ennuyeuse d’une traversée maritime parfois agitée, parfois calme, toujours protectrice. Et alors ? what else ? comme dirait George…
On atteint le summum du grotesque lorsqu’apparaît la terre promise : sorte d’île déserte où tout est à construire. Rien à voir avec l’Amérique de l’après-guerre… On est désormais dans une sorte d’histoire à la Robinson Crusoë, l’aventure en moins. C’est dire s’il reste peu de chose ! Bref, la petite tribu accoste… les enfants ont grandi car la traversée fut longue et ils rejettent leur père qui décide l’aller mourir dans son coin. (Coin-coin). Pour ce faire, notre André s’enterre vivant… sensation délicieuse de retour à la matrice originelle. Pschitt ! Souviens-toi que tu n’es que poussière ! et qu’arrive un jour où les enfants quittent leurs parents et où les parents retournent à la terre ! et que la roue tourne, etc.… voilà, en gros, le sublime message philosophique de Martin Provost. Bref, des Biftecks comme ça, mieux vaut les manger assis que debout… encore qu’on peut aussi les manger debout, couché, accroupi… comme on veut. Cependant, on a hâte d’en finir, on frôle l’indigestion ! Où sont passés le sel, le poivre, s’il vous plait ?
Encore une petite bouchée, courage. Après la mort de leur père, les enfants s’en vont aux quatre coins du nouveau continent où tout est à construire : l’un fait des saucisses, l’autre, des tomates, l’autre, les oignons… et un jour, on rassemble tout ça, et revoici l’empire Plomeur reconstruit sur la base du hamburger : au moins, votre fin est digne, monsieur Provost… car depuis déjà longtemps, niveau lecture, c’était carrément de la tambouille de cantine, alors, finir sur l’emblème de la mal bouffe – le hamburger – je vous tire mon chapeau. On est dans le juste ton.
Bref, avec Bifteck, on est juste dans une sorte de conte parabolique ratatouillesque (oh ! Injure à l’un de mes plats préférés !). Quid ? Dans une bonne ratatouille, toutes les saveurs des légumes bien mijotés et compotés doivent se mêler subtilement : rien de tout ça ici… Nous dirons donc qu’on a plutôt affaire ici à un conte-saucisson : une tranche un peu grivoise, amusante et réaliste, puis, brusquement, changement de ton : on tombe dans le fantastico-épique avant de sombrer dans une dernière tranche qui se veut farfelue et quelque peu picaresque. Les tons se juxtaposent mais ne se mélangent guère.
Quant à la parabole sur la paternité, elle est fort simpliste, puisque, comme je l’ai déjà dit, elle décalque le rôle maternel… J’aurais sans doute beaucoup plus apprécié une idée un peu plus masculine pour faire l’éloge du rôle du père, qui, il me semble, est sensiblement différent de celui de la mère et ce, à tous les niveaux… Peut-être, vais-je ici en scandaliser plus d’un… tant pis. Vive les papas-poule, sans doute, mais qu’ils restent surtout des hommes capables de véhiculer le pôle masculin de l’humanité, pôle dont tout être humain – fille ou garçon – a besoin pour se construire.
Allons bon, reste quand même la première partie du roman, bien savoureuse… on n’ira pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un morceau d’araignée, mais peut-être quand même un bon bout de filet de charolais… dommage que Martin Provost ne sache pas cuisiner !
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