LECTURES VAGABONDES

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Justine Lévy : Rien de grave / De la gravité lourde et légère à la fois.


                Demain, je m’en vais enterrer un de mes oncles paternels. Et quoi de plus grave dans la vie que la mort d’un proche ? C’est ce que je me dis à cette heure tragique dans la famille. Rien de grave, c’est aussi le titre du deuxième roman de Justine Lévy paru en 2004 aux éditions Stock.

                Ce roman relate, de manière éclatée et rétrospective, les malheurs de Louise, héroïne narratrice de sa propre vie plutôt marquée par la gravité.

                En effet, tout commence avec le décès d’une grand-mère dont la narratrice, Louise était très proche : un évènement qui la marque de manière indélébile. Et puis, il y a l’amour avec Adrien, qui se solde par une rupture : Adrien quitte Louise pour Paula, la petite amie de son père. Cependant, pendant sa relation avec Adrien, Louise a avorté d’un enfant dont son conjoint ne voulait pas. Et puis, il y a eu, pendant cette relation avec Adrien, un passage à vide ; Louise s’est droguée aux amphétamines dont elle est devenue dépendante. Mais l’avenir semble finalement prometteur pour Louise qui a rencontré Pablo avec lequel elle pourrait bien repartir du bon pied.

                Ainsi, le roman Rien de grave raconte-t-il les malheurs très graves qui incombent à la narratrice, Louise. Ces malheurs sont répertoriés ci-dessus, mais en réalité, large place est laissée à la rupture de Louise d’avec Adrien, son premier mari et amour. De nombreuses pages sont consacrées à la douleur due à cette rupture, à l’impossible reconstruction, à la haine pour la bimbo Paula qui a réussi, grâce à sa plastique – bien sûr – à ravir le cœur de l’aimé. Il est bien évident que les hommes sont des décervelés seulement sensibles au physique et au sex-appeal des femmes ! Voilà pourquoi Adrien quitte Louise ! Pour une histoire de faux seins et de fausses fesses ! Quel stéréotype ! Je dois dire que sur ce coup-là, je suis restée de marbre. Façon facile d’évacuer les raisons profondes d’une séparation et de faire supporter la totale responsabilité de l’échec aux instincts primaires des hommes, comme si ceux-ci n’avaient jamais su les dépasser, les pauvres ! Comme si ceux-ci ne voyaient en une femme que son physique ! Pour le coup, on nage en plein machisme inversé.

                Pour le reste, on est vite saoulé, je dois dire : cette succession de malheurs dévidés sur le ton du larmoiement à de quoi énerver. A croire qu’il n’y a que des galères dans la vie ! Cependant, le tout est porté par une écriture dynamique, moderne, à fleur de peau qui sauve le lecteur de l’ennui. L’écriture de Justine Lévy joue sur l’énumération, sur l’anaphore et l’ensemble donne au lecteur l’impression d’une urgence : la narratrice est certes empêtrée dans une galère, mais il faut qu’elle s’en sorte, coûte que coûte.

« Je m’en foutais de mourir ; je m’en foutais du teint cireux que je commençais à avoir certains matins, de grands cernes noirs qu’il fallait cacher sous d’épaisses couches de fond de teint ; je m’en foutais de ce regard dur noir, qui me trahissait quand je ne faisais pas attention. »

Finalement, on se dit qu’en lisant Rien de grave, on a une accumulation asphyxiante de malheurs qui donnent envie de se suicider si vraiment la vie n’est que cette succession de galères. Mais en y regardant mieux : qui n’a pas vécu la mort d’une grand-mère ? Une rupture d’avec  un amour marquant, important ?  Une difficile reconstruction avec un autre homme ? Eh oui, tous les malheurs qui incombent à Louise sont des malheurs banals… J’en ai vécu déjà quelques-uns : la mort de mes grands-parents, la rupture d’avec un amour important…. Et peut-être d’autres choses. En tout cas, c’est sûr, à 45 ans, j’ai vécu des choses très graves, qui pourraient être racontées dans un roman de Justine Lévy. Alors donc, de l’air ! Il n’y a rien de surajouté dans ce roman, finalement, même si le parti-pris de ne raconter que des malheurs donne l’impression que la vie ne vaut pas le coup d’être vécue.

Là où je ne rejoins pas Justine Lévy, c’est dans sa propension à mettre l’échec d’un amour comme la pire des galères, la pire des douleurs. Je ne sais. Certes, renoncer à un homme dont on s’est dit qu’il était l’homme de sa vie, c’est dur, on touche le fond… Mais n’est-ce pas un peu une réaction fleur bleue ? Perdre un père, une mère… N’est-ce pas aussi douloureux ? Pourquoi tant de pages consacrées à un amour trahi ? Foutu par la faute d’un homme qui va voir ailleurs ? Justine Lévy a-t-elle pensé au jour où son père ou sa mère s’en iraient ? Pour moi, ce sera l’anéantissement. Je le sais déjà… j’y pense parfois. Rétrospectivement, je ne sais ce dont je parlerais le plus s’il s’agissait de raconter les épisodes douloureux de ma vie. Mais si la seule galère vécue, c’est un amour déçu, c’est un privilège ! Le privilège de ceux qui n’ont eu qu’à se confronter aux turpitudes de leur petit ego. Mais la vie réserve bien d’autres surprises bien dégueulasses à encaisser. Bien autre chose que d’oublier un homme qui fiche le camp !

Enfin, nous avons droit dans Rien de grave, à une chute totalement téléphonée : s’il y a des événements graves à gérer, dans une vie, il y a aussi l’avenir ! Et l’avenir est prometteur aussi de choses heureuses ! Dommage que Justine Lévy ne l‘ait pas vu avant ! Bref, la chute du roman c’est : finalement, malgré les galères, la vie offre sans doute aussi du bonheur. Elle vaut donc le coup d’être vécue.

« Chaque histoire est le brouillon de la prochaine, on rature, on rature, et quand c’est à peu près propre et sans coquilles, c’est fini, on n’a plus qu’à partir, c’est pour ça que la vie est longue. Rien de grave. »

Un final en demi-teinte, donc. On ne fait qu’esquisser sa vie. Quand on est prêt pour le grand round,  c’est fini. On n’a pas eu l’occasion de se fabriquer le grand bonheur absolu. On n’a eu droit qu’à son brouillon. Peut-être, Justine ! Mais c’est quoi, le brouillon ? A un moment, dans un concours, on rend sa copie, qui n’est que la dernière formule d’un brouillon fait dans un temps imparti. On ne fait jamais que des brouillons, vu que la perfection est hors de portée. Toute vie n’est qu’un brouillon, le meilleur qu’on puisse faire, avec nos moyens, dans le temps qui nous est imparti. C’est tout. Et ce n’est pas si grave. Ce qui est grave, c’est de devoir mettre un jour un point final à un brouillon dont on sait qu’il sera notre dernier mot. On aurait tellement voulu faire mieux ! On aurait tellement voulu pouvoir encore composer une fois, une fois encore ! Alors, je pourrais finir sur un pied de nez facile, à la manière de Justine Lévy ; dire que ce n’est pas grave ; que l’imperfection a quelque chose de touchant, de génial… Mais je vois mon père effondré par la mort de son frère et je me dis qu’il n’est pas temps de philosopher. Rien n’est jamais achevé, mais encore faut-il mettre un point final, un jour…

Il arrive toujours trop tôt, le point final. Il est cette petite chose très grave qu’on met dans un texte… dans une vie. Il signifie que derrière, il n’y a plus rien à dire en ce qui nous concerne.

Mais je vais quand même achever mon article sur Rien de grave de Justine Lévy par un point final. Tant pis. Celui-ci n’est pas si tragique car il y a tant d’autres choses à dire sur tant d’autres choses !



16/10/2013
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