Saphia Azzeddine : Mon père est femme de ménage / petit coup de torchon.
Existe-t-il seulement un homme sur cette terre qui accepterait de s’acquitter d’au moins 50% des corvées ménagères ? Hélas, je n’en connais guère. Cependant, je me souviens que mon père - qui m’a élevée - m’a vraiment très bien appris à faire la vaisselle, la lessive, et tout le toutim. Pendant quelques temps, mon père, ce héros, fut femme de ménage… avant de passer le flambeau à ses saintes fifilles bien éduquées. Voilà donc un joli titre, à la fois cocasse et surprenant, pour ce roman : Mon père est femme de ménage écrit par Saphia Azzeddine et paru en 2009 aux éditions Léo Scheer.
Paul a quatorze ans et vit dans la banlieue parisienne à Saint-Thiers-lès-Osméoles. Il vient d’une famille populaire et peu nantie : son père est agent d’entretien, sa mère est paralysée, sa sœur rêve de gagner des concours de beauté. Le soir, Paul aide souvent son père dans son travail. Cependant, il rêve de s’émanciper de l’univers dans lequel il vit. On ne peut pas dire que l’école le passionne, mais il a un goût prononcé pour la lecture et les mots, ce qui fait de lui un adolescent atypique, doué d’un regard déjà affuté sur le monde. Cependant, Paul est aussi un jeune garçon comme les autres : il rêve de filles, il tombe amoureux de Priscilla qu’il rencontre au supermarché mais qui ne fait pas partie du même monde que lui. Entre rêves, illusions et désillusions, nous sommes invités à suivre l’initiation de Paul à la vie… jusqu’au baccalauréat et au-delà, dans l’âge adulte au détour d’un court épilogue.
Ainsi, mon père est femme de ménage est-il un roman d’initiation à la fois classique et original, non dénué de stéréotypes et de poncifs.
Tout d’abord, pour bien ancrer Paul, le héros du roman, dans un univers sordide et médiocre duquel il aspire à s’échapper, Saphia Azzeddine l’a doté d’une enfance traumatisée par le comportement d’un oncle qui s’est livré sur lui à des actes pédophiles. Ce ressort ne m’a pas paru indispensable car finalement, Paul est, sur le plan affectif, un adolescent normal : il regarde des films pornos, rêve de faire l’amour avec une femme, se masturbe, et s’interroge sur la taille de son sexe.
Bien plus intéressante est la relation qu’il entretient avec son père, femme de ménage : il le trouve médiocre, le déteste parce qu’il parle mal et ne pense pas grand-chose. Cependant, par moments, il déborde d’amour pour lui. C’est cette ambigüité qui explique le caractère et le comportement de Paul dans la vie. Adolescent, il jalouse les autres familles qui lui paraissent offrir à leurs rejetons une vie moins médiocre. L’été, il voit partir les arabes en vacances dans leurs pays d’origine et en veut à son père de ne lui offrir que la banlieue 365 jours par an. Cependant, pour ne pas décevoir son père, il ira jusqu’à mentir à un professeur pour obtenir les points de rattrapage au baccalauréat. Et puis, comme il rêve de voyages, il deviendra steward, c'est-à-dire femme de ménage dans les avions : ainsi, son père est-il à la fois le modèle et le contre-modèle de Paul.
Par ailleurs, ce roman, quelque peu superficiel, offre cependant de nombreuses scènes réjouissantes et drôles : Paul assiste, médusé, au premier baiser maladroit de sa bien-aimée Priscilla… mais ce n’est pas lui qu’elle embrasse et zut ! La bar-mitsva à laquelle Paul est convié pour faire le ménage… qui se termine dans la buanderie… les dessous de la maîtresse de maison sont tellement… affriolants ! Paul en perd la tête ! Et bien d’autres choses, par la même occasion. J’en passe et des meilleures. Oui, le roman fourmille de scènes cocasses qui font que le lecteur ne s’ennuie jamais et sourit beaucoup.
Par ailleurs, comme dans les autres romans de Saphia Azzeddine, le regard porté sur le monde est désabusé, mais pas noir car l’ensemble est transcendé par une écriture vive, amusante et colorée. Ainsi, la vie en banlieue paraît sans doute peu enviable, mais elle est aussi attachante et haute en couleur : les familles maghrébines et leur sens de l’hospitalité, les filles qui rêvent de sortir de leur condition par leur physique (et donc par le mariage), l’école et ses embrouilles… le tout est évoqué dans une langue quelque peu banlieusarde, haute en couleur, assez savoureuse, somme toute.
Enfin, le message d’ensemble du roman est tout à fait optimiste : il fait l’éloge de ces gens simples mais travailleurs et honnêtes qui veulent pour leurs enfants un avenir meilleur. Et l’avenir meilleur, si ce n’est pas forcément l’école qui en est la promesse, c’est forcément le travail et la curiosité pour ce qui élève l’esprit : en ce sens, Paul est un autodidacte qui va chercher lui-même, par ses propres moyens, ce que l’école lui offre sous une forme qui ne le passionne guère.
Ainsi, sans être un chef d’œuvre, mon père est femme de ménage est un roman qui se lit facilement et avec plaisir. A lire donc, entre deux coups d’aspirateur ou trois slips du bien-aimé à lessiver ! Quant à moi, je m’empresse d’achever cet article, car j’ai encore bien du ménage à faire ! Et pas de manière métaphorique ! Je ne m’appelle pas Ségolène Royal.
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