LECTURES VAGABONDES

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Orhan Pamuk : Mon nom est rouge / De toutes les couleurs

                Voilà longtemps désormais que je me suis promis de me pencher sur l’œuvre du très célèbre Orhan Pamuk. Chose promise, chose faite. Mon premier contact avec l’écrivain a eu lieu à travers un roman intitulé Mon nom est rouge, paru en 2021 aux éditions Gallimard.

 

                Nous sommes en l’hiver 1591, dans l’empire Ottoman, à Istanbul. Un peintre, surnommé Délicat a été assassiné et son âme, enfouie dans un puits, crie vengeance. Dans le même temps, celui qu’on surnomme Le Noir est de retour en ville. Cet enlumineur doit, en effet, participer à la confection de miniatures dans l’atelier de Mon Oncle (encore un surnom), l’entreprise devant rester secrète. Le malheureux Délicat faisait partie de l’équipe des peintres avec les surnommés Papillon, Olie, et Cigogne. Quant à Le Noir, il retrouve celle dont il est toujours amoureux, Shékuré, fille de Mon Oncle. Depuis plusieurs années, son mari est parti à la guerre et ne revient pas, raison pour laquelle la jeune femme cherche à se faire déclarer veuve ; par ailleurs, son beau-frère la harcèle et ces avances sont désagréables pour Shékuré qui est retournée vivre chez son père avec ses deux fils, Orhan et Shevket. En secret, elle correspond avec Le Noir via une entremetteuse nommée Esther qui fait lire toute cette correspondance au beau-frère de Shékuré. Mais un jour, c’est le drame : Mon Oncle est assassiné par celui-là-même qui a assassiné Délicat ; l’homme a, par ailleurs, dérobée la miniature sur laquelle figurait le Sultan. Pour quel motif cet homme  - un de leur compagnon peintre – assassine-t-il ceux qui sont chargés par le sultan de la fameuse commande de miniatures qui doivent rester secrètes ? En réalité, dans la tradition des miniaturistes ottomans, le peintre doit s’effacer derrière son œuvre et ne pas rechercher le style personnel. Par ailleurs, l’ensemble est codifié, ce qui fait que les visages, par exemple, ont tous les mêmes traits et la même expression figée. Le Noir et maître Osman sont arrêtés et chargés par le Sultan de démasquer l’assassin. Entre leurs mains, ils détiennent le dessin d’un cheval aux naseaux fendus, dessin retrouvé sur le cadavre de Délicat. S’ensuit une enquête dans laquelle maître Osman et Le Noir examinent des quantités de miniatures présentes dans le Grand Trésor. En voyant une miniature peinte par Bihzâd, perfection absolue, maître Osman se crève les yeux avec l‘épingle que le génie de la peinture a utilisée pour s’aveugler, en son temps. Encore hésitant sur le nom du coupable, Le Noir rend visite aux trois peintres qui travaillaient sur la miniature : Papillon, Cigogne et Olive. Il s’avère que c’est Olive l’assassin : il a tué Délicat qui menaçait l’équipe chargée par le Sultan de la commande secrète de miniatures qu’il jugeait trop empreintes du style occidental, un style qui permet de jouer avec la perspective, de donner aux visages leurs expressions propres et d’avoir un style particulier. Or, cette conception de la peinture jure avec les croyances musulmanes selon lesquelles se prendre pour un créateur, c’est se mettre à la place de Dieu ; dans la tradition des peintres ottomans, on ne fait que copier et recopier ce qui a déjà été peint à la perfection par des maîtres précédents ; ainsi les miniatures sont-elles immuables, codifiées et figées. Délicat, très pieux, allait dénoncer ce qui était en train de voir le jour chez Mon Oncle. Quant à Mon Oncle, il était trop audacieux et provocateur, partisan de voir une œuvre totalement novatrice naître chez lui. Olive a eu peur du scandale d’autant plus que sur la fameuse miniature dérobée chez Mon Oncle, on peut discerner le propre visage d’Olive qui n’a pas pu résister au désir de personnaliser le visage du Sultan et de lui donner ses propres traits. Le Noir, pour punir Olive, lui crève les yeux. Cependant, celui-ci parvient à s’échapper et court vers le bateau qui va bientôt lever l’ancre pour l’Inde, pays dans lequel son génie pourra enfin voir le jour. Malheureusement pour lui, il ne résiste pas à l’envie d’aller voir une dernière fois les murs de l’atelier de maître Osman qui lui a tout appris de la peinture. Là, il tombe sur Hassan, le beau-frère de Shékuré, qui le décapite car il le prend pour le voleur d’une dague qui lui appartenait. Quant à Le Noir, il peut enfin vivre avec sa bien-aimée Shékuré, mais jamais il ne mènera une vie heureuse.

 

                Avec Mon nom est rouge, Orhan Pamuk signe un roman complexe, plein d’érudition et très ambitieux.

                Avec lui, nous plongeons dans le monde ottoman à l’époque de la Renaissance. On sait toute l’effervescence et le rayonnement artistique qui ont marqué cette époque en Europe. brille dans le domaine des arts en général et particulièrement dans celui de la peinture, qui est justement celui dont traite le roman. A cette époque, le monde ottoman est contaminé par l’art pictural occidental qui voit l’émergence de la perspective et du portrait. Or, la tradition picturale ottomane est opposée à ces nouveautés pour des raisons idéologiques et religieuses. En effet, dans la tradition picturale ottomane, le peintre doit s’effacer derrière ses prédécesseurs et se contenter de copier ce qui a déjà été réalisé à la perfection. Il ne doit absolument pas se positionner dans une démarche de créativité car la créativité est exclusivement réservée à dieu.

                En effet, l’art ottoman obéit à d’autres principes en matière d’art pictural. On n’y trouve pas de perspective et pas de portrait car il est interdit de reproduire des visages réels. Tous les personnages possèdent le même visage, idéal de beauté. Les femmes, par exemple, ont toutes des visages asiatiques qu’on peut associer au type chinois.

                Par ailleurs, nous vivons dans une époque où les conflits religieux reprennent du poil de la bête. Une frange d’islamistes se radicalise et le djihad s’engage aux quatre coins du monde. Dans ce contexte, Mon nom est rouge est une œuvre particulièrement criante. En effet, cette distorsion entre l’art pictural occidental et l’art pictural oriental illustre bien le conflit qui existe depuis toujours, de manière plus ou moins latente entre l’orient et l’occident car leur conception du monde est différente dans le fond et dans la forme. Pour résumer, il est impossible pour un artiste ottoman de mettre sa propre pâte dans l’œuvre qu’il réalise car il ne peut prendre la place de celui qui créé : Dieu. Ainsi, l’artiste ottoman doit peindre selon la tradition, selon les grands maîtres des différentes villes qui, entre 1370 et 1526, marquent les grandes étapes de la miniature persane classique avant l’émergence d’Istanbul : Hérat, Shirâz, et Tabriz.

                En outre, le roman relate aussi une histoire d’amour qui rappelle celle des légendaires Khosrow et Chirine, amours contrariées racontées dans le célèbre poème de Nizami. Contrariées, ces amours recèlent des points communs avec celles de Le Noir et de Shékuré. Ainsi, le roman procède à une mise en abyme des amours du personnage romanesque Shékuré et de celles de la légendaire Chirine et prend ainsi la forme d’une de ces miniatures façon poupées russes auxquelles Mon nom est rouge rend hommage. En effet, de nombreux passages du roman décrivent toute une flopée de miniatures célèbres qui représentent des scènes d’amour, de guerre, ou encore de la vie sociale du monde ottoman.

                Enfin, l’originalité de Mon nom est rouge est d’être polyphonique. Orhan Pamuk fait parler même les miniatures dans lesquelles le cheval, l’arbre, la mort, ou tout autre entité représentée, prennent la parole et témoignent de leur histoire ; il faut dire qu’elles sont trimbalées aux quatre coins de l’empire ottoman depuis des siècles, copiées et recopiées par les uns et les autres.

                Ainsi, Mon nom est rouge a toutes les qualités pour s’inscrire dans la littérature mondiale. C’est un roman exigeant et plein d’érudition, pas forcément toujours accessible. Je dois bien avouer que de nombreux passages m’ont ennuyée. J’ai mis du temps à venir à bout de ces 570 pages essentiellement composées de descriptions de miniatures que je n’ai jamais vues et dont je n’ai qu’une vague idée. Je pense néanmoins continuer à explorer l’œuvre d’Orhan Pamuk, mais pour l’instant, je mets la découverte de cet auteur de renommée mondiale sur pause.



14/04/2025
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