LECTURES VAGABONDES

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Mathias Enard : Rue des voleurs / Une rue plutôt fréquentable.

     

       Aujourd’hui, je vous envoie faire un petit tour dans la Rue des voleurs. Houla ! Je ne vous sens pas enchanté par cette petite virée. Mais si je vous dis que ce n’est pas si mal, finalement, d’entrer Rue des voleurs ? Vous aurez pour guide Mathias Enard, qui fait paraître ce roman en 2012 aux éditions Actes Sud.

 

          Le narrateur, Lakhdar, est un jeune garçon qui vit à Tanger, au Maroc. Parce qu’il a eu une aventure assez poussée avec sa cousine, Meryem, il est chassé de chez lui par son père. Pendant plusieurs mois, il erre dans la ville, tel un clochard. Cependant, un de ses amis, Bassam, le met en contact avec le Cheikh Nouredine, un islamiste qui va lui venir en aide, lui trouver un logement et un travail : tenir une boutique de livres religieux, à deux pas de la mosquée. Nous sommes au moment où, un peu partout dans les pays musulmans, des émeutes liées au printemps arabe surviennent, déclenchant parfois des violences urbaines. Lakhdar sera traumatisé par l’une d’elle (il s’est agi d’aller bastonner un libraire considéré comme dépravé, vu le genre de livres en vente chez lui ; notre héros connait très bien cet homme et ne se pardonnera jamais l’acte accompli à son encontre). C’est aussi à cette époque que notre jeune narrateur rencontre Judit, une jeune espagnole, étudiante en langue arabe, dont il ne tarde pas à tomber amoureux. Avec elle, il va vivre une semaine délectable, à Tunis. Mais par la suite, leur relation se distend, ce qui attriste profondément notre héros. Après que Bassam et le Cheikh Nouredine disparaissent – sans doute impliqués dans l’attentat de Marrakech – le narrateur trouve un travail auprès de Jean-François Bourrelier ; il s’agit de taper à l’ordinateur des œuvres écrites en français. Plus tard, il change de travail et trouve un boulot d’homme à tout faire sur les ferries de l’Ibn Batoutba, qui relient Tanger à Almeria (Espagne). Cependant, un jour, le bateau sur lequel se trouve le narrateur est retenu à Almeria. Lakhdar en profite pour obtenir un permis de séjour qui lui permet de résider en Espagne pour un temps. Il devient alors l’employé de monsieur Cruz ; son travail consiste à traiter les cadavres de clandestins ou de travailleurs immigrés morts sur le sol espagnol. Ce travail très ingrat attriste profondément notre narrateur qui est par ailleurs témoin du comportement déviant de son patron. Un jour, monsieur Cruz s’empoisonne sous ses yeux et c’est ainsi que Lakhdar part pour Barcelone – où habite Judit – avec en poche un sérieux pactole dérobé à son défunt patron. Il s’installe rue des Voleurs, dans un quartier plutôt insalubre de Barcelone, mais dans lequel il se sent bien (il est à deux pas des Ramblas) Cependant, tandis que la colère gronde à Barcelone, la jeune Judit semble de plus en plus distante (Lakhdar découvre que la jeune fille est atteinte d’une tumeur). C’est aussi le cas de Bassam, l’ami que Lakhdar a retrouvé à Barcelone : ce dernier se radicalise de plus en plus. Convaincu du fait que Bassam s’apprête à commettre un attentat, Lakhdar le poignarde.  

 

          Avec Rue des voleurs, Mathias Enard signe un roman à la fois sombre et lumineux, qui fluctue entre espoirs et désespoirs.

          En effet, il brosse le portrait d’un jeune homme prisonnier de sa condition dans un pays où les libertés sont limitées, où l’espoir de parvenir est faible. Ainsi, comme tant d’autres, Lakhdar rêve d’émigrer en Europe, continent de tous les possibles (croit-il).

          Aussi, notre héros part-il de pas grand-chose et bourlingue à droite et à gauche dans des endroits miteux où il se contente d’ingrats et sales petits boulots. Il est, par exemple, engagé pour taper au kilomètre des listes de noms de soldats morts durant la première guerre mondiale. Pire encore, il va travailler au contact de cadavres, à Almeria !

          Côté sentiments, Lakhdar est dans une situation inconfortable et frustrante. D’abord, il s’éprend de sa cousine, Meryem, amour très vite condamné par la famille. Après leur mise à distance forcée, Lakhdar apprendra que Meryem est morte des suites d’un avortement qui s’est mal passé. Quant à Judit, la belle espagnole, Lakhdar devra subir sa froideur, passer par d’affreux soupçons d’infidélité, avant d’apprendre que la jeune fille est accaparée par une tumeur qui l’empêche d’entrevoir sereinement l’avenir.

           Dans Rue des voleurs, on croise également un certain nombre d’individus louches, notamment monsieur Cruz, un curieux bonhomme qui vit du rapatriement des cadavres d’individus étrangers trouvés sur la terre espagnole. Cependant, monsieur Cruz est en proie à des pulsions de violence et passe son temps à regarder des vidéos de meurtres ou d’exécutions sur internet. Sans qu’on sache véritablement pourquoi, monsieur Cruz finira par s’empoisonner devant Lakhdar. Autre personnage haut en couleur : Saadi, un aventurier que Lakhdar rencontre sur l’Ibn Batouba. Ce type a bourlingué aux quatre coins du monde et vécu des histoires incroyables qu’il raconte à son compagnon d’infortune lorsqu’ensemble, ils sont coincés sur le ferry.

Enfin, le roman brosse également le portrait d’un monde en pleine révolte : un peu partout, et particulièrement dans les pays du Maghreb, on vit au rythme du printemps arabe, tandis qu’en Espagne, le mouvement des indignés prend de l’ampleur. Dans ce bouillonnement intellectuel, deux voies s’esquissent : il y a ceux qui empruntent la route sombre – c’est le cas de Bassam – et versent dans l’extrémisme religieux ; il y a ceux qui espèrent plus de démocratie, plus de liberté : c’est le cas de Lakhdar (qui tuera pour sauver ses idéaux de liberté et de démocratie). Cependant, même en Espagne, à Barcelone, Lakhdar se sent comme en prison : il ne quitte pas la rue des voleurs… celle où il a toujours habité, même si elle ne portait pas ce nom.

          Pourtant, Lakhdar, dans son itinéraire chaotique et sombre, entrevoit la lumière : il découvre la littérature, adore les romans policiers. Son aventure avec Judit le porte à découvrir des poètes de langue arabe. Par ailleurs, il se sent comme Ibn Batouba, un aventurier dont il connait les récits de voyage.             Ce dernier a traversé un monde ravagé par la peste au sens propre ; à son image, Lakhdar voyage dans un monde soumis à une sorte de peste (à prendre au sens figuré : il s’agit de la peste idéologique : l’islamisme radical qui sème la mort sur son passage).

          Si j’ai globalement apprécié Rue des voleurs, je pense quand même que le roman s’inscrit dans la mouvance des thèmes à la mode et que dans sa manière de les traiter, il use et abuse des idées bien-pensantes actuelles. Dans le top 10 des voleurs, Mathias Enard s’érige à la plus petite place : celle du pickpocket.



09/04/2023
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