Olivier Adam : je vais bien, ne t’en fais pas /Ça baigne !
Si par malheur à l’immuable « comment ça va ? » tu réponds « ça va pas », tu jettes un froid, pour sûr ! Pourtant, il y a bien des moments où rien ne va ! Moral en berne, ras-le-bol du train-train, envie de rester au lit, pas envie de vivre. Mais rassurez-vous tous ! « Je vais bien, ne t’en fais pas », déclares-tu quand même pour n’inquiéter personne. Je vais bien, ne t’en fais pas, c’est aussi le titre du très beau premier roman d’Olivier Adam paru en 1999 aux éditions Le Dilettante.
Claire est caissière dans un Shopi parisien. Elle vit seule, a très peu d’amies, n’arrive pas à dépasser le coup d’un soir, au niveau amoureux. Elle a également beaucoup de mal à vivre l’absence de son frère Loïc, parti sans laisser d’adresse à la suite d’une dispute familiale ; en effet, Claire est très attachée à Loïc. Cependant, les vacances d’été approchent et Claire décide de passer quelques jours chez ses parents, en banlieue. Là, elle tombe sur une carte postale de Loïc postée à Portbail, dans le Cotentin. Ainsi, sa destination de vacances est-elle toute trouvée ! Allons-y pour Portbail dans le Cotentin. Rencontre avec Antoine, passionné de photographie. Une idylle se noue. Du côté de Loïc, c’est peine perdue : Claire ne le croise pas. Par contre, elle croise par hasard… son père, Paul, et le surprend à glisser une carte postale dans une boîte à lettres. C’est ainsi que la jeune fille comprend que jamais Loïc n’a écrit, que toutes les cartes étaient écrites par son père et postées depuis divers endroits afin de la rassurer, elle, Claire, de la guérir de tout ce chagrin de l’absence d’un frère. Retour à Paris après les vacances. Antoine laisse tomber Claire pour une aventure avec Nadia, caissière au même Shopi que notre héroïne. Cependant, une autre histoire se profile à l’horizon : Julien, un client, est amoureux de la jeune fille. Julien connaissait vaguement Loïc : son propre frère était dans la même classe que ce dernier. Alors qu’il va rencontrer les parents de Claire, Julien passe par le cimetière et découvre la tombe de Loïc… Faut-il dire à Claire la vérité ? Lui épargner la douleur ? Julien ne peut se résoudre à briser le cœur de son aimée alors même que le bonheur pointe le bout de son nez pour la première fois.
Avec je vais bien, ne t’en fais pas, Olivier Adam signe un très beau premier roman, tout en non-dits et en silences. Tout d’abord, il y a le personnage de Claire, femme fragile et solitaire. A la suite de la disparition de son frère Loïc, elle a sombré dans la dépression et l’anorexie : voilà pourquoi son père, Paul a imaginé le coup des cartes postales envoyées de ci de là, cartes laconiques mais néanmoins rassurantes puisqu’immuablement, Claire pouvait y lire le fameux « Je vais bien, ne t’en fais pas », signé Loïc. Elle ne retrouvera pas son frère à Portbail, mais elle y rencontre un homme : cependant, de la même manière que les cartes de Loïc sont des mensonges, l’homme rencontré, Antoine, s’avère être une illusion. A une grande fragilité, s’ajoute, chez Claire, une bonne dose de naïveté : rencontres et égarements avec de multiples garçons d’un soir que la jeune fille tente désespérément de satisfaire sexuellement afin de les retenir. Et puis, Claire n’est pas une intello : elle est caissière dans un Shopi. Sa collègue, Nadia est étudiante en sociologie et son boulot de caissière lui permet de se payer des études. Les jeunes femmes sortent cependant ensemble, de temps à autre. Claire est cependant très mal à l’aise lorsqu’elle se retrouve au milieu de tous ces intellos qui se la pètent débats sur « les théories Bourdieusiennes ». Antoine par contre, se sent comme un poisson dans l’eau en compagnie de Nadia, et abandonne bien vite Claire : la jeune femme sera donc doublement trahie. Visiblement, Olivier Adam a assez peu de considération pour tous ces intellos de comptoir. Il montre assez bien leur vulgarité, leur vanité, et ce n’est certainement pas moi qui m’irriterais de tels propos puisque je partage tout à fait son point de vue concernant ces loustics qui pullulent dans ma profession.
Outre ce portrait de femme fragile, le roman explore le thème de l’incommunicabilité. Par pudeur, par peur de gêner, on tait ses souffrances et ses angoisses. Irène et Paul souffrent de la disparition de Loïc, mais ils n’en parlent jamais. Ils s’inquiètent pour Claire, aimeraient la voir davantage, mais n’osent pas lui téléphoner. Je vais bien, ne t’en fais pas. Quelques mots rassurants qui masquent parfois une réalité bien plus noire, une réalité qu’on tait. Ces silences, Olivier Adam les restitue parfaitement au travers d’une écriture dépouillée, simple, qui suggère sans dire : un geste, une expression croquée à la va-vite en disent plus long que de longues pages d’analyse psychologique.
Avec Julien, c’est une autre forme de difficulté à communiquer qui est abordée : l’amour et les blocages qu’il engendre. Julien est amoureux de Claire mais ne sait pas le lui montrer, n’ose pas l’aborder, lui parler. Pendant des semaines, il rode dans le Shopi, dans le café où Claire a ses habitudes, sans oser aller plus loin qu’un regard.
Et puis, la nostalgie, la fugacité des choses qu’on cherche à fixer quand même sur une photo, tant d’autres thèmes qui affleurent dans Je vais bien, ne t’en fais pas, roman profondément juste et sensible derrière des apparences simples et anodines.
Quelques mots de l’univers esquissé dans le roman : le Shopi, le défilé des produits Nestlé, Père Dodu, Bonduelle, les tickets de caisse. Et puis, la banlieue, triste, impersonnelle. A toute cette grisaille qui pèse sur les êtres et leur donne envie de se recroqueviller sur eux-mêmes s’oppose le Cotentin et son allure de bout du monde, le Cotentin tourné vers l’ailleurs, le Cotentin apaisant et vivifiant.
Hier, j’écoutais la très belle chanson de Bruce Springsteen : Queen of the supermarket, et je n’ai pu m’empêcher de songer à Je vais bien, ne t’en fais pas tant il y a dans la petite musique d’Olivier Adam quelque chose de la fêlure si particulière à la voix du Boss. Claire, petite Queen of the supermarket, si touchante et si émouvante, ou comment faire d’une simple caissière une héroïne de roman en forme de ballade folk américaine.
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